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À Blois, un front citoyen et politique contre la loi Duplomb : colère froide sous la pluie

Sous une pluie battante et un vent persistant, 300 personnes se sont rassemblées jeudi 5 juin 2025 à 18h30 devant la préfecture de Loir-et-Cher à Blois. Répondant à l’appel de la Confédération paysanne 41 et d’une série d’organisations politiques — Génération.s, La France insoumise, Les Écologistes, le Parti socialiste et le Parti communiste —, les manifestants dénonçaient la proposition de loi Duplomb. Déjà examinée au Sénat, et bientôt soumise à une commission mixte paritaire, cette loi est, selon ses opposants, non seulement une attaque contre l’environnement et la santé publique, mais aussi un coup porté au processus démocratique lui-même. Malgré les conditions météorologiques, la mobilisation était forte. Et les prises de parole se sont succédé, composant un réquisitoire implacable contre un texte perçu comme l’un des plus rétrogrades de ces dernières années en matière agricole.

contre la loi Duplomb

Une colère ancienne, un désaveu politique

David Peschard, co-président du Groupement des agriculteurs biologiques du Loir-et-Cher (Gablec), a pris la parole pour rappeler l’origine d’une colère qu’il juge partagée et fondée : « Il y a 18 mois, quand les agriculteurs sont sortis dans la rue, nous partagions leur colère. La revendication d’un revenu digne, c’était notre revendication aussi. » Il rappelle les chiffres : sur 100 euros dépensés par un ménage pour son alimentation, seuls 6 euros reviennent à l’agriculteur. Et pendant que le prix d’une brique de lait a augmenté de 50 % en vingt ans, le prix payé à l’agriculteur a baissé de 4 %. « Des données inacceptables, sur lesquelles tout le monde, quelles que soient les filières, était d’accord. »

Mais pour David Peschard, la loi Duplomb constitue une réponse catastrophique : « Elle prétend libérer les ‘agris’, mais en réalité elle les enferme dans un système dépassé. Un modèle qui nivelle notre agriculture vers le bas, au nom d’une prétendue concurrence internationale contre laquelle on n’a jamais pu lutter. » Il dénonce un texte « à rebours des enjeux climatiques, environnementaux, économiques ». Et rappelle que les collectivités dépensent chaque année des millions d’euros pour rendre l’eau potable à cause des nitrates et pesticides. Pourtant, dit-il, des alternatives existent : « L’agriculture bio en est la preuve. »

Sabordage de la bio

Ce même jour, note David Peschard, le ministère de l’Agriculture annonçait une série de coupes dans les aides à l’agriculture biologique. « La campagne nationale de promotion de la bio, validée par tous les acteurs agricoles, a été supprimée. Le Fonds Avenir Bio a été réduit de 18 à 8 millions d’euros. » Il cite un exemple : des agriculteurs du nord de la France qui souhaitaient développer une filière de sucre bio à base de betteraves — une culture ordinairement très consommatrice de néonicotinoïdes — ne pourront probablement pas concrétiser leur projet, faute de soutien.

« Aujourd’hui, 2 % du budget de la PAC est consacré au bio, alors que 14 % des fermes françaises sont engagées dans ce mode de production. Pourquoi un tel déséquilibre ? » interroge-t-il, avant de conclure : « Oui, l’agriculture bio peut produire, peut nourrir, peut faire vivre nos territoires. Elle protège les ressources, elle permet à la société de faire des économies sur le long terme. Elle est au service du vivant. »

« Un retour en arrière »

Même tonalité chez Bertrand Monier, secrétaire de la Confédération paysanne de Loir-et-Cher. « Cette loi ne répond pas du tout aux causes profondes du malaise agricole. Elle a été quasiment écrite par la FNSEA, elle sert l’agro-industrie, comme d’habitude. » Pour lui, « ce n’est pas en construisant des mégabassines, en réintroduisant des pesticides ou en développant l’élevage industriel qu’on répondra à la crise du monde paysan. Le problème est ailleurs. Le modèle dominant est encore celui qui utilise des pesticides et des intrants. C’est plus difficile d’y résister que de s’y conformer. » Pourtant, dit-il, un autre chemin est possible : « Il y a 50 ans, on comptait un million de paysans en France. On a réussi à industrialiser l’agriculture. Avec des choix politiques inverses, on peut faire machine arrière. C’est l’objectif de la Confédération paysanne : revenir à un million de paysannes et de paysans. »

Santé publique et pollinisateurs : le cri des apiculteurs

Guillaume Marchand-Treguer, militant du Parti socialiste et apiculteur, a livré un témoignage personnel : « L’effondrement des colonies est une réalité. Grâce aux interdictions successives de néonicotinoïdes, on a réussi à freiner un peu le phénomène. Mais si on en réintroduit un, comme l’Acétamipride, ce sera une catastrophe annoncée. » Il souligne : « Les abeilles domestiques sont déjà fragiles, mais les abeilles sauvages, elles, meurent dans l’indifférence générale. On ne pourra pas maintenir les ruches si cette molécule revient dans les cultures. » Le Parti socialiste, dit-il, milite désormais pour la démarchandisation de certains biens, « dont le vivant ». Il conclut : « Il n’y a pas besoin d’être député ou ministre pour faire de la politique. Il suffit de se réunir comme on le fait aujourd’hui, pour tenter de bloquer des lois qui vont contre la science, contre l’intérêt général, contre l’avenir de l’humanité. »

Hélène Menou et Bertrand Monier
Hélène Menou et Bertrand Monier

Une loi contre le vivant

Isabelle Nouari au nom de Génération.s a résumé le contenu de la loi Duplomb comme une « entreprise de démolition » de tous les garde-fous construits depuis des années : réautorisation de substances toxiques, suppression du cloisonnement entre vendeurs et conseillers en phytosanitaires, priorisation de la captation de l’eau au profit de l’agriculture intensive. « Les cultures doivent être adaptées au climat. Ce n’est pas le bien des paysans qu’on sert ici, mais celui de quelques exploitants industriels. L’argent ne pousse pas. Et vouloir croire le contraire coûte cher — à tout le vivant. »

Un militant de La France insoumise a pris la parole pour souligner que « cette loi posait d’abord un problème démocratique : elle est soumise à une commission mixte paritaire, sans débat public réel. C’est une régression démocratique. »

Une vision politique du temps long

Enfin, Nicolas Orgelet, représentant des Écologistes et vice-président de l’agglomération en charge de la biodiversité, a clos les prises de parole : « Aujourd’hui, nos eaux sont déjà polluées par des substances interdites il y a trente ans. Ce que vous buvez aujourd’hui, c’est ce qui a été répandu hier. Et ce que vous répandez aujourd’hui, vos enfants le boiront demain. »

L’élu blésois rappelle : « 80 % des insectes ont disparu en trente ans. Ce n’est pas une projection, c’est une donnée. L’Agence régionale de santé fait le lien entre hausse des cancers et usage des pesticides. Et l’ANSES, qui devrait alerter sur ces dangers, va être mise sous tutelle viticole si cette loi passe. » Pour lui, la loi Duplomb n’est « pas une loi pour les paysans, ni pour les citoyens, ni pour l’avenir. C’est une loi pour la finance, pour les intérêts à court terme, contre le temps long. »

Il revient longuement sur les mégabassines, les décrivant comme un mécanisme de « privatisation de l’eau » : « Tant que l’eau est dans la nappe, elle est cogérée. Une bassine, c’est je pompe l’eau commune, je la stocke, je la privatise, je la pollue potentiellement, je la fais s’évaporer — et je l’interdis aux autres. »

Il évoque aussi l’élevage industriel, facilité par le texte, qu’il distingue de l’élevage extensif : « L’élevage industriel maltraite les bêtes, détruit les sols, augmente le risque épidémique. Ce n’est pas un modèle viable. » Et rappelle : « La biodiversité, ce n’est pas un luxe, c’est la condition de notre survie. » Puis il conclut : « La nature est notre premier bien commun. L’eau, l’air, les sols. Sans eux, on ne vivra pas. Alors ensemble, luttons. »


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