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A Blois, « un nom, un visage, pour ne jamais oublier »

Ce jeudi 8 mai marque les 80 ans de la capitulation de l’Allemagne nazie et de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. À Blois, l’anniversaire n’est pas seulement un moment de commémoration officielle. Il s’incarne, cette année, dans une série de regards muets et pourtant saisissants, exposés sur les grilles de la préfecture et de l’hôtel du Département : ceux de vingt-deux femmes et hommes de Loir-et-Cher, déportés parce que résistants, juifs, communistes, engagés, ou tout simplement désignés comme indésirables par une idéologie d’exclusion.

Intitulée Un nom, un visage, pour ne jamais oublier, cette exposition a été conçue par la section départementale de la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (ADIRP 41), avec le soutien des services d’archives et des familles. Elle offre un éclairage singulier, intime et documenté sur les parcours de ces Blésois, Bauziens, Braciliens ou Montais, arrêtés entre 1941 et 1944, envoyés dans les camps de Dachau, Buchenwald, Ravensbrück, Auschwitz ou Dora, parfois morts en convoi, parfois revenus, brisés mais vivants.

À travers leurs portraits en noir et blanc, parfois tirés de documents d’époque, parfois retrouvés dans des albums familiaux, c’est une mémoire locale et profondément humaine qui s’élève, bien au-delà des chiffres et des grandes dates. Les biographies font apparaître des existences interrompues, des jeunes gens torturés à Fresnes, des couples séparés par l’arbitraire, des enfants gazés à leur arrivée au camp. Rien n’est amplifié. Rien n’est romancé. Et c’est précisément cette sobriété, cette volonté de s’en tenir aux faits, qui bouleverse.

On y découvre les itinéraires croisés d’Alice et Jean Leleu, frère et sœur arrêtés à Bauzy à quelques heures d’intervalle, déportés à Leipzig, libérés à un mois d’écart. Le destin de Yolande Masson, déportée à Ravensbrück après avoir transité par les prisons d’Orléans et de Sarrebruck, croise celui de son frère René, mort à Flossenbürg l’année même de sa déportation. On y voit la photographie floue de Micheline Racine, première femme déportée du département, arrêtée en 1942, condamnée aux travaux forcés, détenue à la prison de Jauer, rescapée.

Les frères Bühler, Gilbert Aubry revenu à Blois pesant trente-deux kilos, la famille Lévy arrêtée à Saint-Dyé-sur-Loire, dont seuls le père Haim échappa aux chambres à gaz d’Auschwitz : chaque histoire rend tangible ce que la logique industrielle de la déportation a tenté de rendre abstrait. Le camp de Dora et ses tunnels de production de missiles V2, la barbarie de Ravensbrück et ses expérimentations médicales, l’enfer de Compiègne ou de Romainville avant les trains vers l’Est : ces noms résonnent dans les panneaux comme autant de points de rupture dans les vies racontées.

Le travail de mémoire engagé par la FNDIRP ne se contente pas de rappeler les faits : il les restitue à hauteur d’homme. Ce n’est pas une exposition sur la déportation ; c’est une série de rencontres. Chacune s’ouvre sur une identité : un prénom, un visage, un âge. Parfois dix-neuf ans, parfois soixante-deux. Des existences civiles, souvent modestes, des instituteurs, des ouvriers, des artistes de cirque, des militants, dont le seul tort fut de résister ou d’exister. Les textes, sourcés, s’appuient sur les archives d’Arolsen, les fonds de la FNDIRP, les témoignages familiaux recueillis par Georges Larcade, et parfois des extraits de journaux d’époque, comme La Dépêche du Centre, qui titrait en août 1941 « Un bon coup de filet », à propos de jeunes communistes arrêtés pour avoir distribué des tracts patriotiques.

Certaines histoires résonnent avec une force particulière. Celle de Pierre Sudreau, par exemple, futur ministre et maire de Blois, arrêté pour faits de résistance, suspendu vingt heures par les poignets par la Gestapo à Fresnes, déporté à Buchenwald avec Stéphane Hessel. Ou encore celle de la famille Strassburger, artistes juifs réfugiés à Blois et engagés dans le cirque Amar, dont seuls quelques membres survécurent à la Shoah grâce à la solidarité du monde du spectacle.

Rien n’est édulcoré dans cette exposition. Pas même la complicité de l’administration de Vichy. À travers le cas de Maurice Parent et d’autres jeunes militants de Mont-près-Chambord, livrés aux nazis après un jugement pour « propagande antinationale », c’est aussi la responsabilité française qui est rappelée, sans détour.

En cette année 2025, où la mémoire de la Seconde Guerre mondiale entre dans un nouveau cycle – celui des anniversaires sans les témoins –, cette exposition assume une fonction essentielle : donner une forme, une voix, une présence, à celles et ceux que les camps voulaient effacer. Elle ne cherche pas à raconter l’Histoire avec un grand H. Elle oppose à l’oubli l’entêtement du détail : une date, un nom, un trajet, une photo. Elle ne s’adresse pas à la foule, mais à chacun.

Un nom, un visage, pour ne jamais oublier

« Pour ne jamais oublier » : le sous-titre ne relève pas du slogan. Il s’actualise ici dans la lumière du printemps, sur les grilles d’un bâtiment administratif, à la croisée de l’espace public et du recueillement. On peut passer devant par hasard. On peut aussi s’y arrêter, lire un prénom, voir un regard, et mesurer ce qu’il en coûte de céder à l’oubli.

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