A la découverte des faluns du Blésois avec Claude Le Doussal
Lorsqu’on évoque les paysages du Loir-et-Cher, peu imaginent qu’ils recèlent des trésors géologiques, vestiges d’une mer disparue ayant recouvert le territoire il y a environ 15 millions d’années. Cette mer, associée à la période du Miocène moyen, a laissé derrière elle des formations sédimentaires spécifiques appelées les faluns. Mélange de sable et de coquillages fossilisés, ces roches témoignent d’un environnement côtier ancien, marqué par un climat tropical et une biodiversité riche.
Claude Le Doussal, géologue et référent départemental pour l’inventaire du patrimoine géologique, consacre une grande partie de ses recherches à ces formations singulières. À travers ses études et ses interventions publiques – comme ce mercredi 8 janvier 2025, Salle Kléber-Loustau, à Blois – il dévoile les secrets des faluns du Blésois, leur genèse, leur diversité, et leur importance scientifique. Son approche ne se limite pas à une simple description géologique : elle englobe également une réflexion sur la préservation de ce patrimoine naturel et sur la place de l’Homme face à l’immensité des temps géologiques.
Qu’est-ce que les faluns ?
Claude Le Doussal commence par définir ce qu’est un falun. Il s’agit d’une roche sédimentaire particulière, composée principalement de sable et de coquilles mélangées. La présence de nombreux restes de coquillages témoigne de l’origine marine de ces dépôts. Les faluns sont ainsi qualifiés de « sable coquillier ».
Ces formations géologiques sont présentes dans plusieurs régions de France, notamment dans le Loir-et-Cher (faluns du Blésois), mais aussi en Anjou, en Touraine, en Bretagne, en Vendée et dans le Cotentin. Dans le Blésois, les faluns sont de nature côtière, ce qui signifie qu’ils se sont formés dans des environnements marins proches du littoral. Les indices géologiques, tels que les figures sédimentaires et les chenaux de marée, confirment cette hypothèse. Ces chenaux, témoins de l’époque où la mer recouvrait la région, sont visibles dans certaines zones d’affleurement.
Les principaux gisements du Blésois
Parmi les gisements les plus remarquables, Claude Le Doussal mentionne ceux de Villebarou, et de La Chapelle-Saint-Martin-en-Plaine (Morvilliers). Ce dernier est particulièrement intéressant, car il n’avait pas été décrit en détail auparavant. Seules des études préliminaires avaient été menées par le BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) lors de la réalisation des cartes géologiques. Grâce à des travaux de fouille menés avec une pelleteuse, Claude Le Doussal a pu analyser ce site et confirmer la présence de dépôts marins caractéristiques.
Dans ces gisements, on trouve une grande variété de fossiles, notamment des coquilles d’huîtres, marqueurs typiques de l’époque. Ces huîtres creuses sont présentes dans presque tous les sites du Blésois. On y découvre également d’autres bivalves, comme les arches, des mollusques similaires aux coques actuelles.
Une mer peu profonde et un climat tropical
Il y a environ 15 millions d’années, une mer peu profonde recouvrait Blois et ses environs. Le climat était alors tropical à semi-tropical, avec deux grandes saisons. Cette configuration climatique est attestée par les types de fossiles retrouvés dans les faluns. Claude Le Doussal compare cette mer ancienne à des milieux actuels comme les côtes sénégalaises ou malgaches.
Sous les faluns se trouvent des dépôts plus anciens, notamment le calcaire de Beauce (-23 à -20 Ma), formé dans un milieu lacustre ou palustre. Après la formation de ce calcaire, une période d’érosion a suivi, avant que la mer ne vienne progressivement, apportant avec elle les sédiments qui constituent les faluns. Leur épaisseur varie considérablement d’un site à l’autre. Elle peut aller de quelques mètres à une vingtaine de mètres, selon l’érosion subie au fil du temps.
Une richesse fossile exceptionnelle
Les faluns du Blésois renferment une grande diversité de fossiles. Outre les coquilles d’huîtres et d’autres bivalves, on y trouve occasionnellement des dents de requin. Ces dernières sont beaucoup plus petites que celles découvertes dans les faluns d’Anjou et de Touraine, où des spécimens de requins géants, tels que le mégalodon, ont été identifiés grâce à la découverte de grandes dents et de fragments de mâchoires. Dans certaines régions, comme en Bretagne et en Anjou, les faluns contiennent également des restes de bryozoaires, de petits animaux coloniaux semblables à des coraux.
L’importance de la préservation des faluns
Claude Le Doussal insiste sur l’importance de préserver les sites de faluns en tant que patrimoine géologique. Il cite l’exemple de la carrière du Four à Chaux, située dans la réserve naturelle géologique de Pontlevoy. Cette carrière constitue une véritable fenêtre sur le passé, offrant une vue directe sur les couches sédimentaires et les fossiles qu’elles contiennent.
L’État a d’ailleurs entrepris un inventaire national du patrimoine géologique, avec des déclinaisons régionales. Dans la région Centre-Val de Loire, une commission spéciale travaille à recenser et à évaluer les sites d’intérêt. Claude Le Doussal, en tant que référent départemental, participe activement à ces travaux. Chaque site inventorié fait l’objet d’une fiche descriptive détaillée, qui est ensuite soumise à une évaluation avant d’être inscrite à l’inventaire national.
Utilisations passées et présentes des faluns
Dans le passé, les faluns ont été largement utilisés pour la construction. Certains types de faluns, durcis par la présence de calcite, ont été employés comme matériaux de construction dans les maisons anciennes de la région. Cependant, leur dureté rend leur taille difficile, ce qui limite leur utilisation.
Aujourd’hui, les faluns sont encore utilisés, notamment pour remblayer des tranchées de gaz, d’électricité ou d’eau, ainsi que pour aménager des chemins. En Bretagne, où les faluns sont plus consolidés, ils ont également été employés pour fabriquer des pierres de taille et de la chaux, indispensable à la confection des mortiers.
Un autre usage important des faluns était l’amendement des sols agricoles. Riche en calcaire, cette roche était utilisée pour corriger l’acidité des sols et favoriser les cultures, notamment sur des terrains sableux et filtrants, comme ceux de Sologne.
Les faluns, un patrimoine à valoriser
Malgré les efforts entrepris pour préserver ce patrimoine géologique, Claude Le Doussal estime que beaucoup reste à faire en matière de valorisation. Il évoque l’exemple de certains sites géologiques classés en ENS (Espaces Naturels Sensibles) dans le département, comme ceux de Mareuil-sur-Cher, Savigny-sur-Braye et La Chaussée-Saint-Victor.
En conclusion, Claude Le Doussal invite à une réflexion plus large sur le temps et la place de l’humanité dans l’histoire de la planète. Il rappelle que l’apparition de l’homme moderne, il y a environ 100 000 à 200 000 ans, représente une période infime à l’échelle géologique. Cette prise de conscience peut, selon lui, conduire à une forme de sagesse et inciter à une meilleure préservation de notre environnement. « Quand on voit notre dimension par rapport à ce qui a été, on prend beaucoup de recul, même face aux événements actuels. » Une pensée philosophique qui trouve tout son sens dans l’étude des faluns et de ce qu’ils nous révèlent sur un passé lointain, mais ô combien fascinant.