Bernard Lorjou s’expose à la Galerie Wilson : hommage nécessaire à un peintre blésois

Jusqu’au 2 août 2025, la Galerie Wilson rend hommage à Bernard Lorjou (1908–1986), en partenariat avec l’association qui porte son nom. Une exposition estivale et colorée, accrochée dans le quartier même où le peintre est né, à Blois-Vienne.
Un nom longtemps à l’écart à Blois
Dès ses premiers mots, lors du du vernissage, mercredi 2 juillet, Miguel Lebron, responsable de la Galerie Wilson, a rappelé le caractère presque fortuit de cette exposition : « Junko est passée une fois dans la galerie, elle nous a dit : “Pourquoi ne pas organiser une expo sur Lorjou ?” Je ne connaissais pas vraiment, je le connaissais un peu comme tout le monde. J’ai fouillé… et je me suis aperçu qu’en fait, Lorjou menait un combat très proche du nôtre : rendre l’art moderne et contemporain accessible, populaire. » Junko, c’est Junko Shibanuma qui a assisté 18 ans durant Bernard Lorjou, et qui aujourd’hui met dans la lumière son œuvre.

Cette résonance entre l’histoire du peintre et l’esprit de la galerie a donc précipité la décision. L’exposition a été montée en quelques mois, conçue et scénographiée par Michel Bizieux, qui a privilégié une sélection enjouée, volontairement légère, « pour la période estivale », comme le souligne Bertrand Michel, président de l’Association Bernard Lorjou.
Pour autant, ce nouvel hommage à Blois ne gomme pas une histoire tumultueuse. « Blois et Lorjou, ce n’était pas copain-copain », a résumé Bertrand Michel au micro de RCF, partenaire de l’événement. À l’époque, Lorjou dérange. Il gêne. Il n’est pas l’artiste qu’on célèbre dans les salons. Il peint le réel, les douleurs du monde, la guerre, les ravages de la société, la mort, la violence. Et ce regard-là ne passe pas. Il sera banni des murs officiels. Il faudra attendre les années 1980 pour qu’un dialogue timide se rouvre — et près d’un demi-siècle pour que la Ville s’engage enfin, de manière durable.
Un combat pictural et humain
Né le 9 septembre 1908 à Blois, Bernard Lorjou grandit dans une famille modeste du quartier Vienne. Cancre et turbulent, il quitte l’école à treize ans, travaille, émigre à seize vers Paris avec l’idée de devenir peintre. Il entre comme apprenti chez les ateliers Ducharne, où il apprend à dessiner pour la soie. Autodidacte, il fréquente les académies libres, recopie les maîtres au Louvre, découvre Goya en 1931 au Prado de Madrid : c’est un choc fondateur. À sa suite, il ne cessera plus de peindre l’horreur et la beauté du monde, avec la conviction que l’art doit déranger.

Peintre, mais aussi graveur (eau-forte, lithographie, bois), illustrateur, cartonnier de tapisserie, sculpteur, Lorjou s’engage dans un expressionnisme figuratif fulgurant, violemment opposé à l’abstraction alors en vogue. Il cofonde en 1948 avec sa femme Yvonne Mottet et d’autres artistes le groupe L’Homme Témoin, et reçoit cette même année le Prix de la Critique, ex aequo avec Bernard Buffet. « Il a pris l’homme à bras-le-corps pour exprimer sa rage, ses colères, l’expression d’une époque historique difficile, » observe Bertrand Michel.
Une œuvre de combat, mais pas que
Si le choix de la Galerie Wilson s’est porté cette fois sur une sélection accessible — « le Lorjou gai, joyeux, festif », dit Bertrand Michel —, certaines toiles historiques ont tout de même été accrochées. Notamment Le Croque-Mort du Rond-Point. On y voit une figure décharnée, presque spectrale, assise sur une chèvre noire, tenant une sébile dans une main. Ce croque-mort porte sur la tête un chapeau plié dans une page de journal, où l’on lit : « La souscription du Figaro » — une référence directe à l’appel à dons lancé par le quotidien lors de la guerre d’Algérie. La scène est austère, l’ironie violente : Lorjou tourne en dérision l’injonction faite au peuple de financer l’effort de guerre, en associant l’appel aux dons à l’image d’un mendiant squelettique coiffé du journal.

La série, comme tant d’autres, place Lorjou dans une tradition politique du peintre qui dérange. Il s’en prend aussi aux armes nucléaires, aux ravages de l’atome, à la guerre bactériologique. Il peint La Peste en Beauce en 1953. Il accuse.
« Aujourd’hui, les Blésois commencent à s’y faire. Mais il y a encore quelques années, on évitait de parler de Lorjou. C’était un personnage atypique, qui heurtait les consciences. »
— Bertrand Michel
Une fidélité silencieuse
Au centre de ce renouveau, une figure discrète, mais essentielle : Junko Shibanuma. Interprète au Japon à la fin des années 1960, elle croise le chemin de Lorjou en 1968 à Tokyo. Elle accepte de l’accompagner en France. Elle reste. Elle vit dix-huit ans à ses côtés, dans leur maison-atelier de Saint-Denis-sur-Loire. Elle ne peint pas, mais elle est là, à tout moment, à laver les pinceaux, à traduire, à subir les colères, à tenir. Un jour, il hurle. Elle lève un tabouret. Il comprend. Leur relation change. La violence recule. La confiance aussi. Mais Junko reste. Fidèle (lire ici). Elle organise des expositions. Elle veille.

Une promesse tenue : l’Hôtel-Dieu
Dans son discours au vernissage, Galerie Wilson, Marc Gricourt, maire de Blois, a évoqué l’ouverture en 2028 du lieu consacré à Bernard Lorjou à l’Hôtel-Dieu, en plein cœur de ville. Les œuvres seront mises à disposition de la Ville par l’héritière du maitre, aujourd’hui installée aux États-Unis. « C’est un geste extraordinaire, qui témoigne d’un attachement non seulement à Lorjou, mais aussi à Blois », a souligné l’édile. À la demande expresse de cette héritière, Yvonne Mottet sera pleinement associée au projet. Jusqu’alors éclipsée derrière la figure imposante de son mari, la peintre retrouvera enfin une place à part entière. « Je connaissais son nom, bien sûr, mais pas ses œuvres. Je les ai découvertes à Saint-Denis il y a deux semaines. Et j’ai été séduit. » Ce lieu, confié à la direction de Gilles Rion, référent culturel de la Ville et directeur de la Fondation du Doute, deviendra un espace pérenne pour accueillir les œuvres, exposer, transmettre, faire dialoguer deux trajectoires artistiques complémentaires et, sans doute, encore trop peu connues.
Un Lorjou à soi ?
Aujourd’hui, posséder un Lorjou chez soi est devenu presque banal. « C’est de bon ton », sourit Bertrand Michel. Pourtant, le combat n’est pas terminé. Certaines œuvres rebutent encore. Certains visiteurs s’offusquent. Lui-même raconte les réactions de ses patients face aux tableaux accrochés dans sa salle d’attente. « Pourquoi avez-vous mis ça au-dessus de votre tête ? » — Parce qu’il faut faire réagir. Parce que l’art est là pour troubler, pas pour décorer. « Un petit bouquet de fleurs, sans intérêt, ne suscite aucune interrogation… »
Avec ce futur musée, il sera question de contribuer à ce que Bernard Lorjou a toujours voulu : un art pour tous, un art debout, un art vivant. 2028, ce n’est pas loin.
Exposition à la galerie d’art Wilson jusqu’au 2 août 2025 – Entrée libre pour l’exposition à tout public, du mercredi au vendredi de 14h à 19h et le samedi de 10h à 19h – 23 avenue Président-Wilson, à Blois.