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De la Sologne aux confins de l’univers : les visions d’Annie Raveau-Pinon

En ce mois d’avril, à la Galerie Wilson, dans le quartier Vienne à Blois, les toiles d’Annie Raveau-Pinon instillent la lente évidence d’un rêve ancien. Comme des fragments d’univers intérieurs, des visions d’âme. Peintre de l’imaginaire, elle expose actuellement une série d’œuvres déjà présentées dans de grands salons parisiens, choisie en toute liberté, dit-elle, mais qui entre en résonance avec les préoccupations actuelles d’un possible crépuscule. « Je suis un peu visionnaire, je crois. On m’a souvent dit que j’étais en avance sur mon temps. Et quand je vois ce qui se passe en ce moment… j’espère que je ne l’étais pas trop. » Car le monde qu’elle peint – dans la série exposée à la Galerie Wilson – est presque vidé de présence humaine. « Je pense que c’est peut-être comme une fin du monde. Des bribes de notre Terre. Des vestiges, oui. Et l’humain n’y est plus. » Dans certaines œuvres, la végétation reprend, comme un signe de continuation muette.

Annie Raveau-Pinon

Née à Montrichard, élevée en Sologne au cœur des forêts, Annie Raveau-Pinon a forgé un langage pictural singulier, hors des modes. Sa trajectoire est jalonnée d’expositions en France et à l’étranger, au Grand Palais, au Carrousel du Louvre, en Allemagne, en Chine, en Italie, au Japon. Elle a reçu une médaille de bronze de la Société Nationale des Beaux-Arts en 2007.

Les œuvres exposées à la Galerie Wilson appartiennent à une série qu’elle qualifie elle-même de « paysages dans l’univers ». Une forme d’abstraction figurative, habitée par des volumes, des colonnes, des perspectives, des masses flottantes, des failles, des signes. Le tableau devient alors le lieu d’une narration symbolique et silencieuse, où la solitude, la séparation, les sentiments, mais aussi l’aspiration spirituelle trouvent leur expression plastique. « Celui-ci, c’est la solitude. Elle se trouve à gauche, un peu brisée, un peu effritée, séparée par une faille. Avec un couple à droite. »

Solitude par Annie Raveau-Pinon

La présence des colonnes, récurrente dans ses paysages, provient d’une révélation au Louvre. « J’ai vu une stèle funéraire datant de 500 ans avant Jésus-Christ. Il y avait écrit, en grec, “Pinon”, comme mon nom de jeune fille. Et “Pinon”, en grec, c’est celui qui n’a pas d’attache, qui est libre, ou peut-être un peu largué… mais en tout cas, qui n’a pas vraiment d’attache. » Une étymologie flottante, mais qui entend résonner avec sa propre trajectoire. « C’est un nom qui me correspond, un peu. »

Les colonnes deviennent dans ses toiles des ponts entre les temps, des signes d’ancrage dans l’histoire de la civilisation, mais aussi des figures de solitude et de verticalité. « Pour moi, les thèmes de l’univers représentaient le côté moderne, futuriste des buildings, par ces volumes-là. Et le reste, c’était plutôt l’Antiquité, quelque chose de solide, de pérenne, qui nous reste encore, même en ruines. »

Un style identifiable

Les toiles d’Annie Raveau-Pinon frappent d’abord par leur rigueur formelle. Leur style, immédiatement reconnaissable, mêle onirisme structuré et tension métaphysique. Ce sont des paysages mentaux suspendus dans un vide sans gravité, où la matière semble flotter dans un espace indéfini, où les lois physiques sont défiées par la logique du rêve. Tout obéit à une gravité intérieure, plus psychique que terrestre.

La peinture est habitée de formes pures, de volumes angulaires, de colonnes brisées, de perspectives architecturales silencieuses. La répétition de colonnes antiques, l’alternance de ruines et de structures futuristes, évoquent tout autant le souvenir d’un passé effondré que la projection dans un avenir post-humain. Les masses flottent, les failles fracturent le sol, les chemins fuient à l’horizon. Le regard est toujours dirigé vers une ouverture, un axe, une issue incertaine.

La palette chromatique, dominée par des bleus acier, des gris profonds, des teintes pierreuses et des touches végétales, accentue cette impression de suspension, de silence, de lenteur. Tout est maîtrisé, sans éclat décoratif. La lumière est froide mais précise, elle sculpte les formes, découpe les ombres, renforce l’impression d’élévation. On pense parfois à De Chirico ou à Yves Tanguy, sans citation ni imitation : ce qui compte ici, c’est l’espace mental, l’univers symbolique autonome que chaque toile engendre.

Le Mystère n’est pas ici une stratégie esthétique : il est au cœur de l’acte de peindre. Il est enraciné dans l’enfance, dans le rêve, dans les correspondances imprévues. Annie Raveau-Pinon raconte ainsi qu’elle jouait, enfant, dans une petite rivière, un ru qui traversait la propriété familiale et qui s’appelait « Le Néant ». « J’ai beaucoup joué dans Le Néant », dit-elle en souriant.

Onirisme et spiritualité se rejoignent dans son travail, dans un registre personnel qui échappe aux dogmes. La perspective est une métaphore visuelle de l’invisible. « J’aime beaucoup travailler la perspective, l’idée de l’univers, de l’espace, de ce qu’on ne sait pas. Il y a peut-être quelque chose, ou peut-être rien. J’ai le goût du Mystère. »

À côté de ces paysages cosmiques ou post-apocalyptiques, elle a exploré d’autres thèmes — les chevaux, les masques, l’opéra, le théâtre, les ruines, les châteaux — mais la série actuellement visible à Blois est celle qui, selon ses propres mots, parle le mieux à notre époque. « On m’a laissé le choix. J’ai dit que je ressortirais bien des grands formats. Et comme on m’a dit oui, et que la galerie s’y prête… »

Et en effet, la Galerie Wilson accueille ces œuvres avec justesse. Les grands formats y trouvent l’espace nécessaire pour respirer, pour déployer leur architecture silencieuse. « Uchronia », « Le voyage vers l’invisible », « Le néant serein » : les titres eux-mêmes indiquent une géographie intérieure, une cartographie du doute, de l’invisible, du lointain.

Une invitation à faire silence

Plus que des tableaux, ce sont des seuils. Il ne s’agit pas de comprendre, mais de regarder longuement, sans vouloir nommer. Car Annie Raveau-Pinon ne raconte pas. Elle suggère, elle installe. Ce qu’elle propose, ce sont des lieux du regard, des points d’attente. Des fragments de silence, des architectures de l’âme. En ce sens, c’est une peinture de résistance — résistance à l’immédiat, à l’évidence, à la saturation du sens.

Pour en savoir plus : annie-raveau-pinon.fr
L’entrée est libre du mercredi au vendredi de 14h à 19h, et le samedi de 10h à 19h, à la Galerie Wilson, dans le quartier Vienne à Blois.

l'amour qui s'éprouve

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