Des expositions sur Patrick Moerell et Ginette Kolinka à la Maison de la BD
La bande dessinée, medium à la croisée des arts graphiques et narratifs, a toujours eu le pouvoir d’immerger ses lecteurs dans une multitude d’univers. Que ce soit pour confronter les tragédies de l’histoire humaine ou pour s’évader à travers l’humour et la fiction, elle offre une fenêtre incomparable sur la complexité de la condition humaine. À travers deux expositions majeures à la Maison de la BD à Blois, nous explorons des récits aussi divers que poignants. D’un côté, l’épopée tragique de Ginette Kolinka, survivante d’Auschwitz, dont la vie est magistralement mise en scène, et de l’autre, la plongée dans l’univers espiègle et distinctif de Patrick Moerell, figure marquante de la BD francophone. Ces deux expositions, bien qu’opposées dans leur tonalité, démontrent la portée et la richesse du 9ème art.
« Moerell ou la cuisse ? » : Immersion au cœur du génie de Patrick Moerell à la Maison de la BD
Du 5 septembre au 21 octobre, la Maison de la BD, dans la Salle Gotlib, ouvre ses portes à une exposition mettant en lumière le talent singulier de Patrick Moerell, icône discrète de la bande dessinée francophone.
Sous le commissariat avisé de Christophe Vilain et de BD BOUM, le public est invité à redécouvrir ou à s’immerger pour la première fois dans l’œuvre de ce Parisien né en 1951, enfant de l’imprimerie. Son parcours atypique, de l’école de la Rue Madame à un CAP de relieur, lui a permis de se frotter à la complexité des arts graphiques dès son plus jeune âge. Si Moerell se cherche d’abord dans le dessin, c’est dans la bande dessinée qu’il trouvera véritablement sa voie.
À la fin des années 70, Moerell initie sa carrière en plaçant discrètement quelques bandes dessinées dans des revues peu connues en France telles que Saga ou Prisme. Mais c’est au Québec, loin de sa terre natale pour suivre un amour passion, qu’il se révèle véritablement. Intégrant la rédaction de Croc, le « Fluide québécois », en 1979, il deviendra rapidement un de ses piliers.
L’amour du pays natal l’appelle et en 1986, Moerell revient en France. Il rejoint l’équipe de Fluide Glacial, une prouesse pour l’époque. Pionnier de l’autofiction, Moerell excelle dans la création de bandes dessinées psychanalytiques où il est à la fois héros et auteur. Pour parfaire ses illustrations, il use d’une méthode particulière : il travaille à partir de photographies, souvent prises en collaboration avec sa compagne Claude, en utilisant divers accessoires pour saisir l’essence de chaque scène.
Au fil de sa carrière, Moerell publie cinq albums marquants, dotés d’un humour qui lui est propre, oscillant entre calembours et blagues assumées. Mais l’artiste est aussi un homme engagé politiquement, rejoignant les rangs du Parti Socialiste.
La disparition tragique de Moerell en 2003, d’un infarctus pulmonaire, a laissé un vide dans le monde de la bande dessinée. C’est d’autant plus poignant que rien ne présageait un tel dénouement. Un dernier album posthume, « Oh quel blocus ! », sort cette même année, apportant un point final à l’œuvre de cet artiste unique.
L’exposition « Moerell ou la cuisse? » offre une plongée profonde et touchante dans le monde de Patrick Moerell, permettant aux visiteurs de célébrer la mémoire de cet artiste hors norme.
« Itinéraire d’une survivante d’Auschwitz » : une ode à la mémoire et à la résilience
La Maison de la BD à Blois accueille également du 15 septembre au 21 octobre 2023 une exposition d’une importance capitale, rendant hommage à Ginette Kolinka, survivante de la Shoah, avec l’exposition « Itinéraire d’une survivante d’Auschwitz ».
Née de l’union de plusieurs grands esprits, cette exposition a été minutieusement organisée par Tal Bruttmann, historien éminent, et Caroline François, chargée des expositions au Mémorial de la Shoah. Elle bénéficie également du soutien précieux des artistes JD Morvan et Victor Matet, ainsi que du regard inestimable de Ginette Kolinka elle-même. Cette collaboration a été rendue possible grâce au partenariat avec les éditions Albin Michel.
En avril 1944, alors qu’elle n’était qu’une jeune femme de 19 ans, Ginette Kolinka a été brutalement arrachée à son quotidien pour être déportée à Auschwitz avec son père, son frère et son neveu. Le destin tragique voulait que seuls leurs souvenirs accompagnent Ginette à la sortie de cet enfer, les trois hommes ayant été assassinés dès leur arrivée.
Plutôt que de succomber à la douleur de la perte et aux traumatismes, Ginette a choisi la lumière, devenant pendant deux décennies une guide hors pair à Auschwitz. Sa dernière visite, en octobre 2020, accompagnée d’élèves à Birkenau, a marqué un tournant majeur. Avec elle se trouvaient un auteur de bande dessinée et un journaliste, ce qui a donné naissance à une œuvre unique retraçant la vie de Ginette avant, pendant, et après la Shoah. Cette bande dessinée est bien plus qu’une simple histoire : elle est un témoignage pour tous ceux qui n’ont pas eu la chance de revenir.
Ginette Kolinka, avec une détermination sans faille, a fait de la transmission de mémoire son combat quotidien. L’exposition « Itinéraire d’une survivante d’Auschwitz » s’efforce de transmettre ce même message. À partir des planches dessinées, elle retrace le parcours de Ginette Kolinka et le replace dans le contexte plus large de la persécution des Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, le tout enrichi par des documents d’époque, des archives et des photographies poignantes.
Il ne s’agit pas seulement d’une exposition, mais d’un rappel à la conscience collective, d’une invitation à ne jamais oublier et à toujours enseigner les horreurs du passé pour éviter qu’elles ne se répètent.
L’exposition est ouverte au public de 9h30 à 12h et de 14h à 17h30. Une occasion à ne pas manquer pour honorer la mémoire, l’histoire et la résilience humaine.