Illusions, freaks et sortilèges : la saison 2025 de la Maison de la Magie

Dans un monde saturé d’images et de technologies, la Maison de la Magie Robert-Houdin, à Blois, s’autorise une plongée délibérée dans un imaginaire d’un autre temps. Pour sa saison 2025, elle consacre son exposition, ses spectacles et ses animations à l’univers fascinant des fêtes foraines d’antan.
« Le thème de la fête foraine est universel et fédère tous les publics », souligne Arnaud Dalaine, magicien et directeur de l’établissement. « Dès le Moyen Âge, le bonimenteur montre ses tours lors des grandes foires. Au fil des siècles, les attractions ont évolué : théâtre de marionnettes, science populaire, jongleurs… L’illusionnisme est issu de cette tradition. »

Au cœur de Blois, dans cette grande maison XIXe située face au château, la magie prend la forme d’un hommage vivant à Robert-Houdin, l’enfant du pays devenu le père de la magie moderne. Mais plus encore, la maison se pense comme un laboratoire d’expérimentations autour des perceptions, des croyances, de l’émerveillement. « L’illusion sollicite tous les sens. Les décors torsadés, les miroirs incrustés, les lumières mouvantes. »

Une scénographie entre chapiteau et cabinet de curiosités
Dès l’entrée, le décor est planté : guirlandes lumineuses, éléments de baraque foraine, esprit de campement. Une nouvelle salle, aménagée durant la fermeture hivernale, propose une initiation à l’univers du close-up, cette magie de proximité exécutée à quelques centimètres des spectateurs. Un art auquel la Maison de la Magie consacre désormais un espace permanent, en plus d’un festival dédié, du 28 au 30 novembre 2025. « Le close-up est né de ces petits tours présentés entre deux grandes illusions, quand il fallait refermer le rideau pour changer de décor. Le public a commencé à les préférer, et certains magiciens s’y sont spécialisés », raconte Arnaud Dalaine.

L’espace s’articule autour d’un hommage à Dai Vernon, surnommé le Professeur, figure mythique du close-up et maître incontesté du tour de cartes. C’est lui qui parvint à mystifier sept fois de suite Harry Houdini, sans que ce dernier ne comprenne la manipulation. Ses secrets ? Il les attribuait à un livre culte, The Expert at the Card Table, publié en 1902 par un certain S.W. Erdnase, auteur dont l’identité reste à ce jour inconnue. « Même aujourd’hui, ce livre reste une référence. On l’appelle la Bible », affirme le directeur.
L’exposition 2025 : les entre-sorts et l’ambiguïté du réel
Point central de la saison : l’exposition Magie foraine, le palais de l’insolite, issue de la collection du magicien-brocanteur Frédéric Dautigny. « Il s’est spécialisé dans les freaks, les monstres de foire, les entre-sorts. » Le terme désigne ces petites baraques installées à la lisière des foires, dans lesquelles on payait quelques francs pour voir une créature étrange ou un objet rare : sirène empaillée, femme à barbe, fée capturée. « Vous rentrez dans la tente, quelqu’un vous explique ce que vous allez voir, et rapidement, on vous fait ressortir sous un prétexte : la créature ne supporte pas la lumière, elle ne veut pas de foule… Et ainsi de suite toute la journée. »

Pour Arnaud Dalaine, la magie opère pleinement dans cette zone d’incertitude. « Toute la question, c’est : est-ce que c’est vrai ou pas ? Même moi, quand j’en parle à mes amis, ils me demandent : “Tu es en train de me raconter quelque chose de vrai, là ?” Et souvent, je ne sais plus. » On découvre ainsi une série de créatures et de personnages, entre folklore et faux-semblants : la sirène de Barnum, un crâne de dodo momifié, un chat à dents de sabre, la femme-araignée, la tête sans corps… Tous présentés comme autant d’objets de croyance. Des illusions d’optique comme celles utilisant des miroirs — la fameuse « table à tête » — côtoient les mises en scène pseudo-scientifiques. « C’est un peu le principe du train fantôme : on sait que c’est faux, mais on paie pour avoir peur. »
Personnages inclassables, arts forains et mythe d’Edward Mordrake
Le parcours s’enrichit de portraits d’individus singuliers, véritables ou non : homme-tronc, femmes à barbe, sœurs siamoises, voyants, fakirs, clowns, ventriloques… L’un des plus marquants : Edward Mordrake, homme au visage doublé à l’arrière du crâne. « Il ne parlait pas, mais il murmurait. Seul Edward pouvait l’entendre. Il aurait fini par se suicider à 23 ans, ne supportant plus les cris dans sa tête. » Légende urbaine ou fait réel ? La Maison de la Magie donne une clé. « Quand on parle de Mordrake, on termine par cette interrogation : comment se fait-il qu’il y ait plusieurs crânes dans plusieurs collections ? »

La scénographie joue ainsi sur le trouble. Les objets sont présentés dans des vitrines, mais sans explication dogmatique. « On laisse sous-entendre que c’est probablement faux, mais on ne vous dit pas clairement. On veut que le visiteur doute. » L’ensemble évoque le film Freaks ou l’univers de Barnum, sans jamais céder au spectaculaire gratuit. « Ces personnages formaient aussi une communauté. C’était un moyen pour eux de se protéger, de créer une famille, en dehors du regard des autres. »
Le spectacle : magie visuelle et hommage au chapiteau
Côté scène, la création annuelle intitulée Magie sous les lanternes – avec en duo Soria Ieng, Sarah Derardgia, ou Akemi Yamauchi et Denis Neyrat – s’inscrit dans la même veine foraine. Joué d’avril à septembre, il entraîne les spectateurs dans un univers entre roulottes, diseuses de bonne aventure, lévitation et têtes coupées. « C’est une vraie cour des miracles », résume Arnaud Dalaine.
Le spectacle des vacances de la Toussaint, L’étonnant Lord Martin, se déroulera dans un manoir écossais, avec un magicien du temps et de l’espace perturbé par un petit ours en peluche, dans une mise en scène mêlant humour, fantaisie et magie narrative. Celui des vacances de Noël, Magie en Mouvement, fera la part belle à la magie visuelle, aux projections et aux effets futuristes, avec le duo Kenris Murat & Aurélia.
Chaque jour, dans la salle d’exposition, quatre artistes se succèdent. En costume forain, ils assurent des mini-performances de 15 minutes et prolongent le spectacle dans les salles. En tout une quinzaine de magiciens œuvreront lors de la saison 2025.
Une pièce rare : le diplôme algérien de Robert-Houdin
Autre nouveauté de la saison : la réapparition dans les collections d’un document diplomatique rare. Il s’agit du diplôme remis à Robert-Houdin par des marabouts lors de sa mission en Algérie, en 1856, sur demande de Napoléon III. Le magicien avait été envoyé pour désamorcer l’influence spirituelle des chefs religieux en montrant que la magie n’était que spectacle. Peine perdue : les marabouts admettent simplement au final qu’il existe un sorcier plus fort qu’eux.

Une saison complète, cohérente, vivante
En 2024, la Maison de la Magie a battu un record d’affluence avec 123 000 visiteurs. Avec cette nouvelle saison du 5 avril au 28 septembre (puis lors des vacances de Toussaint et de Noël), elle poursuit une démarche exigeante : celle d’un musée-spectacle, où chaque espace raconte une histoire et où l’on apprend autant que l’on rêve. La magie y est toujours au travail.
Plus d’informations et billetterie ici : maisondelamagie.fr