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Joséphine Marchais, Blésoise et communarde : l’enquête menée par Francis Brunet

Francis Brunet retrace, entre archives et roman, le destin tragique et méconnu d’une communarde née dans la misère à Blois et morte en Guyane.


Il arrive parfois qu’une simple plaque sur un mur d’école ouvre une brèche dans l’histoire oubliée. Ce fut le cas pour Francis Brunet. À l’occasion du 150e anniversaire de la Commune de Paris, en 2021, il découvre dans un article de La Nouvelle République que l’école élémentaire Bel-Air, à Blois, a été rebaptisée « école Joséphine Marchais ». Un nom qui, jusqu’alors, ne lui disait rien. La curiosité est immédiate, et le déclic se produit : « J’ai voulu savoir qui était cette femme, pourquoi on avait donné son nom à une école. » Faute de réponse convaincante de la mairie, le retraité blésois, passionné d’histoire, se tourne vers les archives. Il ne le sait pas encore, mais ce premier geste va l’engager dans quatre années de recherches sur une vie singulière : celle d’une Blésoise née dans la misère, devenue prostituée, communarde, condamnée à mort, déportée au bagne, et peut-être disparue dans l’oubli — ou pas.

Son ouvrage, Joséphine Marchais, de Blois à l’île du Diable, publié à compte d’auteur, reconstitue avec rigueur documentaire et modestie assumée le parcours chaotique d’une figure à la fois secondaire et emblématique de la Commune. Il mêle matériaux d’archives, hypothèses circonstanciées et reconstitution romancée là où l’histoire se tait. « J’ai comblé les trous », dit-il, sans jamais trahir ce qu’il nomme la « cohérence du réel ».

Une enfance marquée par la pauvreté et la violence sociale

Joséphine Marchais naît sous le nom de Rabier le 13 avril 1837 à Blois, dans le quartier populaire de Vienne. Elle est déclarée de père inconnu. Sa mère, Marie Rabier, est rapidement condamnée à cinq ans de prison pour incitation à la débauche, accusée d’avoir mis sa propre fille sur le trottoir. « Ce fardeau familial, Joséphine l’a porté toute sa vie », explique Francis Brunet. La fratrie est nombreuse. Tous les enfants sont issus de pères différents, et les premières années de Joséphine se déroulent dans un enchaînement de déménagements précaires et d’humiliations judiciaires. Elle est arrêtée à plusieurs reprises pour racolage, vol, rixe.

Son adresse est d’abord relevée en Vienne, puis dans les Degrés-Saint-Honoré. Après les grandes crues de 1846 et 1856, la famille déménage plusieurs fois. « Elle faisait le tapin place de la Préfecture », affirme l’auteur. « Elle était connue comme prostituée bien plus que comme blanchisseuse ou couturière, même si ces termes apparaissent dans les registres. » La sœur cadette, Madeleine, n’est pas épargnée non plus : arrêtée à douze ans pour avoir volé quelques épis de maïs à un voisin, elle est enfermée en maison de correction à Tours jusqu’à ses vingt ans.

Un départ énigmatique vers Paris

À partir de ses vingt ans, les traces de Joséphine à Blois s’estompent. Et c’est à Paris qu’on la retrouve, au moment de la Commune. Comment et pourquoi s’est-elle rendue dans la capitale ? Rien ne permet de l’établir. Francis Brunet imagine qu’elle aurait suivi l’armée de la Loire après la guerre de 1870. Il consulte les archives militaires, les journaux de marche, les études sur Chanzy et la défense de la région. « Elle a pu accompagner les militaires blessés, ou simplement fuir une ville où elle était trop connue. »

À Paris, elle est signalée comme blanchisseuse dans le quartier de Charonne. L’auteur suppose qu’elle a continué à se prostituer, mais dans son récit, il lui invente une autre trajectoire : celle d’une ouvrière engagée dans les clubs révolutionnaires, gagnée aux idées nouvelles. « J’ai préféré lui écrire une conduite militante, sans nier la misère, mais en soulignant aussi l’espoir. »

Une communarde à la marge, mais bien réelle

Lors de la Commune de Paris, Joséphine Marchais s’engage comme vivandière au sein du bataillon des Enfants Perdus. Elle est arrêtée avec d’autres femmes pour avoir transporté du linge, des armes, des écharpes rouges. Les autorités l’accusent de pillage, d’obscénité, d’injures, mais aussi d’avoir participé à des incendies — notamment celui du palais de la Légion d’honneur. Les historiens s’accordent à dire que ces accusations étaient largement fabriquées.

Dans les rapports de gendarmerie, elle est décrite comme habillée « comme une indienne », avec des vêtements criards. « Elle était déjà rebelle, dans son allure, dans sa manière d’être », commente Francis Brunet. « Une femme du peuple, sans rien à perdre. »

Elle est jugée aux côtés de deux autres femmes : Léontine Suétens et Élisabeth Rétiffe. Victor Hugo, qui assiste au procès des dites « pétroleuses », évoque alors l’une d’elles, enceinte. Il ne la nomme pas, mais laisse entendre que l’enfant à naître sera abandonné. Cela pourrait être Joséphine : « Elle a eu plusieurs grossesses, dont deux enfants mort-nés. Une fille a vécu deux ou trois ans avant de mourir. Peut-être qu’un autre enfant a survécu, mais je n’ai pas retrouvé de descendance. »

Joséphine Marchais

Du bagne à la disparition

Condamnée à mort, Joséphine voit sa peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Alors que la majorité des communards déportés sont envoyés en Nouvelle-Calédonie, elle est transférée en Guyane, au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni, avec ses deux codétenues. « Le bagne de Cayenne, c’était bien plus dur que la Nouvelle-Calédonie », souligne Francis Brunet.

Elle arrive en 1872. Elle s’évade une première fois en novembre de la même année, mais est rapidement rattrapée. Les registres du bagne, consultés par l’auteur, sont lacunaires et truffés d’erreurs. La date officielle de son décès est fixée au 20 février 1874. Mais une rumeur veut qu’elle ait été vue vivante bien après cette date, mariée à un gendarme. « Je n’ai retrouvé aucun document sérieux pour valider cette thèse. C’est invérifiable. »

Une figure à part entière

Au fil des recherches, Francis Brunet s’est attaché à son sujet. Il admet volontiers l’avoir transformée, dans ses pages, en personnage de roman. Une sorte de figure archétypale de la femme du peuple, broyée par la société, relevée par la révolte. « Je pense qu’elle était féministe avant l’heure. J’ai imaginé une scène où elle distribue des tracts dans une blanchisserie de Belleville. Je crois qu’elle voulait se lever, tout simplement. » À la question de savoir s’il voulait faire passer un message, il répond prudemment : « Je ne sais pas. Mais ce qui m’étonne, c’est que cette femme soit née ici, à Blois, dans le quartier de la Vienne, et qu’elle ait traversé un moment aussi brûlant de notre histoire. »

En lui consacrant un livre, Francis Brunet replace dans la lumière une mémoire oubliée, tout en acceptant ce que l’histoire a d’insaisissable. Il restitue ce qu’il a pu établir, complète ce qu’il a dû imaginer, sans jamais trahir le fil de l’enquête. Son récit ne prétend pas faire autorité. Mais il propose un visage, une voix, un destin, et c’est déjà beaucoup.


🡆 Joséphine Marchais, de Blois à l’île du Diable – Une Blésoise sous la Commune, par Francis Brunet
Autoédité – ISBN : 979-10-415-6682-2 – 20 € TTC. En vente à la Librairie Labbé et l’Espace culturel Leclerc. Lien pour commander en ligne : pumbo.fr/boutique/livre/josephine-marchais-de-blois-a-l-ile-du-diable

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