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Laura Desprein : « Ma priorité, c’est le théâtre et le roman »

Cette semaine est pour beaucoup dédiée au théâtre à Blois. Le festival « Vite au Théâtre ! » bat son plein. L’occasion parfaite pour une discussion avec Laura Desprein, artiste aux multiples talents, auteure notamment des succès « Cœurs sourds », « L’enfant aux cheveux bleus », et à Blois, « Le bataillon des femmes perdues ». D’autant plus que son actualité est chargée avec une lecture publique de sa nouvelle création « Freak Connection » au Théatre Peskine, aujourd’hui, jeudi 29 février 2024, le spectacle « Saltimbanques ! » dimanche à la Halle aux grains, la prochaine sortie du roman « Georges », et plus encore.

Blois Capitale : Parlez-nous de la pièce « Freak Connection » qui vient de sortir en livre et qui sera lue ce jeudi…

Laura Desprein : La lecture aura lieu à 19 heures, sur le site du Théâtre Peskine, lieu du festival. Elle rassemblera douze comédiens professionnels et amateurs de tous les âges. « Freak Connection » est une pièce qui vient de paraître aux éditions Ex-aequo, que j’ai écrite en 2021. J’ai attendu un peu pour la faire publier parce que je voulais qu’elle ait vraiment la forme que je désirais. Et donc, elle est sortie là, au mois de février. C’est l’histoire de ces jeunes qui sont tous un peu dans un état de fragilité. Mais, malgré tout, ce n’est pas un drame mais une comédie dramatique, j’y tiens, parce qu’il y a beaucoup d’humour dedans. En fait, c’est vraiment une pièce sur la résilience et sur l’amitié, parce qu’ils vont tous se retrouver ensemble alors qu’ils ne se connaissent pas, et ce qu’ils vont vivre ensemble va être leur première vraie expérience de solidarité, bien qu’ils viennent tous d’horizons très différents. Il y a une dynamique intéressante. Je ne veux pas nécessairement dévoiler tout le texte, mais parmi eux, il y a une jeune femme qui est intégralement voilée et un jeune homme qui est handicapé. Et tous se retrouvent ensemble, avec les frictions et les rencontres que cela peut engendrer. Ils décident de monter un spectacle et vont le faire pour la fin de la semaine. Ils décident cela spontanément, alors que personne ne les y pousse. Leur compagnie éphémère s’appellera « Freak Connection », parce qu’ils sont tous un peu ‘cassés’. C’est une bande de jeunes qui font un pari avec quelqu’un d’encore plus ‘cassé’ qu’eux.

Blois Capitale : Un goût pour les récits liés aux jeunes ?

Laura Desprein : C’est vrai qu’il y a eu trois pièces pour la jeunesse qui sont sorties à ce jour, mais celle-ci est un peu moins jeunesse, on dirait qu’elle s’adresse plus à de jeunes adultes. En tout cas, elle parle de jeunes adultes, d’adolescents qui sont vraiment à la frontière de l’âge adulte, certains étant déjà indépendants. Par exemple, « Hallali » n’est pas du tout dans cette veine-là, et d’autres pièces que j’écris en ce moment, parce que j’en ai plusieurs en même temps sur le feu, ne sont pas dans cette catégorie non plus. Donc, ça a été une série, mais je ne me considère pas pour autant comme une auteure jeunesse, parce que ce n’est pas le cas, pas seulement.

Blois Capitale : Que pouvez dire de la pièce « Hallali » que personne n’a encore vu ?

Laura Desprein : C’est un monologue avec la présence d’une deuxième personne qui peut être là ou pas. C’est comme une voix. Et en fait, une femme kidnappe un homme, le fait venir chez elle, puis le drogue. Quand il se réveille, il est attaché. Elle va tenter de lui faire avouer quelque chose. J’ai essayé de rester le plus elliptique possible sur le texte parce qu’il faut que ce soit vraiment une pièce à suspense, un thriller au théâtre avec un seul personnage principal. Et cela rappelle un peu l’ambiance des films de Chabrol, des années 90. On pourrait rapprocher le personnage féminin d’Isabelle Huppert, avec son côté un peu inquiétant, très inquiétant même, comme dans « La Cérémonie ». Pour moi, c’était vraiment elle, avec ce côté très froid mais en même temps capable de grosses crises de folie. Donc, le personnage, du début à la fin, chacun peut se construire son opinion : est-elle folle ou pas ? Est-ce qu’elle peut sembler complètement folle par moments ? Il y a du suspense à ce sujet, jusqu’à la fin.

Blois Capitale : Il y aussi une pièce en devenir, « Terradoration »

Laura Desprein : C’est une pièce qui est en cours d’écriture. Je l’ai commencée il y a deux ans peut-être. Je vais poursuivre l’écriture en mai à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, au Centre national des écritures du spectacle. J’y terminerai aussi « Coup de grâce », dont les premières pages sont lauréates d’un appel à texte des EAT Méditerranée pour le Printemps des poètes. Ce n’est pas la première fois que j’y vais; je suis déjà allé une fois en résidence là-bas pour une pièce musicale, « Orphée=Eurydice », qui a a été créée au théâtre de Vienne en 2006. 

Blois Capitale : L’esprit ne divague pas vers d’autres idées de texte quand on est à résidence sur un projet spécifique ?

Laura Desprein : Ça demande d’écrire avec beaucoup d’imagination, d’inspiration, à se concentrer sur des thèmes précis. Mais bien sûr, l’esprit est tout le temps en marche. Juste au moment où je me dis qu’il serait sage d’aller se coucher, tout d’un coup, j’ai une super idée qui vient… mais j’ai pris l’habitude de travailler jusqu’à 3h du matin. J’ai achevé les corrections de « Hallali » ces dernières nuits… On peut avoir toute la journée pour écrire, et ça se passe la nuit. J’ai plusieurs pièces en cours en même temps. J’écris quand ça vient. Depuis que je suis en disponibilité, c’est très intense. Cela a été possible grâce au Centre National du Livre, avec une bourse de création et une résidence « auteur à l’école » (qui aura lieu à Mont-près Chambord), grâce à la Région Bourgogne Franche-Comté avec une résidence d’écriture de trois mois dans le Morvan, et je suis très reconnaissante d’avoir reçu ces aides.

Blois Capitale : Vous êtes une artiste aux multiples talents. A la fois chanteuse, actrice, auteure et metteure en scène. Mais vous semblez vous concentrer sur l’écriture…

Laura Desprein : J’ai chanté, j’ai joué… c’est très amusant, car c’est vraiment une question récurrente : « Mais pourquoi, Laura, n’es tu pas plus souvent sur scène ? Pourquoi n’es tu pas celle qui vit ces rôles ? Pourquoi ne chantes-tu pas plus ? » Parce que les gens, quand ils me voient, ils ont envie de me revoir. Sauf que, avant d’arriver ici, j’ai eu une vie. Il se trouve que cette vie a été consacrée à l’art, entre 1988, début de mes études à la Comédie de Saint-Étienne, et puis 2011, moment où je suis arrivée ici, j’ai été intermittente du spectacle : comédienne et chanteuse, entre autres dans des Centres Dramatiques Nationaux, metteuse en scène et directrice artistique d’une compagnie de théâtre musical, et auteure, bien sûr, avec mes trois romans, de manière plus personnelle. En fait, je faisais tellement de choses en même temps que j’avais l’impression de ne jamais me poser. Ça faisait des années que je voulais vraiment choisir une seule voie, et je n’y arrivais pas parce que tout m’intéressait. Quand je suis arrivée au conservatoire, je me suis consacrée uniquement au conservatoire. Donc là, j’avais qu’une seule voie. Mais je suis une artiste avant tout. Il fallait vraiment que je recommence. Ce qui s’est imposé à moi, c’était l’écriture, cette fois-ci. C’était mon choix, on va dire, le choix de la maturité. Cela ne veut pas dire que je n’aime pas monter sur scène, ça ne veut pas dire que je n’aime pas mettre en scène. C’est pour cela que j’étais ravie de faire la mise en scène de « Hallali » dans le cadre du festival, mais ce n’est pas ma priorité. Ma priorité, c’est le théâtre et le roman.

Blois Capitale : Et un nouveau roman arrive…

Laura Desprein : Oui, normalement fin mars ou début avril, il s’appelle « Georges ». Alors, la particularité, c’est le premier que j’ai écrit ! En 1996. C’est donc extrêmement touchant pour moi. Je l’avais laissé de côté. En fait, c’est un récit très court, un récit de voyage, mais complètement atypique. À cette époque-là, j’ai beaucoup voyagé. Et donc, je l’avais laissé de côté, et puis à chaque fois que je partais en voyage, je rajoutais quelque chose. Et puis, comme ça, il a continué à voyager jusqu’au milieu des années 2000, et je l’ai laissé dans un coin. Il faut parfois laisser reposer un manuscrit. Il n’est pas le seul dans ce cas. Il est publié par l’Atelier du Grand Tétras, comme deux autres de mes romans . On avait envie de faire quelque chose ensemble depuis un petit moment. J’ai dit, pourquoi pas « Georges » ? Puisque Daniel Leroux, le directeur, aime beaucoup, on s’est dit : Allons-y, parce que si on ne fait pas maintenant, quand le ferons-nous ?

Blois Capitale : Votre actualité est donc intense !

Laura Desprein : Ce que j’aime dans ces deux sorties, c’est qu’elles me replacent vraiment sur les deux terrains à la fois, à la fois le théâtre et en roman. Je n’ai pas du tout abandonné l’écriture de roman, mais mon inspiration est plus du côté du théâtre actuellement. Chaque forme d’expression artistique que je pratique m’enrichit et influence l’autre. Le théâtre me donne la vivacité et l’immédiateté, tandis que l’écriture de romans me permet d’explorer en profondeur les pensées et les émotions des personnages. « Georges » représente un pont entre mes voyages physiques et mes voyages intérieurs, une œuvre qui, je l’espère, touchera ceux qui la découvriront. Ce n’est pas une question de prioriser une passion sur l’autre, mais plutôt de suivre mon inspiration là où elle me mène, que ce soit sur scène, derrière un pupitre, ou devant une feuille blanche. Mon aventure artistique est un voyage constant, et je suis reconnaissante pour chaque opportunité de partager mes créations avec le monde. Donc, je me suis replongée dans mon voyage, repartie à la découverte d’autres cieux.

Blois Capitale : Est-ce qu’on peut dire que votre vie est dédiée à l’art ?

Laura Desprein : On peut le dire, je pense. Je n’aime pas le mot « vocation », mais j’ai commencé à écrire quand j’avais sept ans, commencé à faire des scènes dans le salon de mes parents, j’en avais huit, et puis voilà, ça s’est enchaîné comme ça. On m’a demandé ce que je voulais faire, c’était ça. Et puis, dès que j’en ai eu l’occasion, même si j’ai fait des études, car mes parents n’étaient pas tellement pour… J’ai fait des études de lettres, j’ai fait prépa, j’ai fait master de lettres, et je suis allée passer le concours de l’école de la Comédie de Saint-Étienne, et je l’ai eu, parce que c’était ma vie. Alors, oui, bien sûr, ma vie est dédiée à l’art. J’ai même essayé l’art plastique, j’ai adoré faire de la photo, et je trouve que c’est vraiment incroyable. D’ailleurs écrire, c’est comme tremper une page blanche dans du révélateur : on ne sait pas ce qui va en sortir. On a une idée en tête, mais tant qu’on n’a pas plongé la page et attendu qu’elle sèche, le résultat reste incertain. C’est une métaphore que je trouve très juste pour décrire le processus créatif, une expérience à la fois excitante et pleine d’incertitudes.

Blois Capitale : Pensez-vous au public en écrivant ?

Laura Desprein : L’écriture est pour moi une façon de projeter des idées, sans nécessairement penser à la réaction du public. Toutefois, je travaille beaucoup sur le rythme, en m’assurant que le lecteur ou le spectateur reste accroché, même lorsque le thème implique d’adopter un tempo plus lent. Mon approche de l’écriture est influencée par mon expérience théâtrale : j’écris comme si je composais de la musique, en visualisant les scènes dans ma tête et en jouant avec les perspectives comme le ferait une caméra.

Blois Capitale : Et quand vous voyez votre œuvre sur scène ?

Laura Desprein : Quand je vois une de mes pièces jouées, je tente de m’en détacher pour l’apprécier comme si elle n’était pas la mienne, en observant notamment les réactions du public. Les surprises, bonnes ou mauvaises, font partie de l’expérience, surtout lorsqu’elles viennent des interprétations des acteurs ou des choix de mise en scène. Une de mes plus grandes surprises a été une mise en scène allemande de « Cœurs sourds », où les acteurs portaient des masques de chèvre et interagissaient avec des ballons, une approche très éloignée de ce que j’avais imaginé. Et je vais encore avoir d’autres surprises, puisque « L’enfant aux cheveux bleus » sera joué au festival d’Avignon par la compagnie Kumzitz, une troupe composée de comédiens de nationalités différentes, tous issus de l’école Jacques Lecocq.

Blois Capitale : Un projet dans le coin de votre tête ?

Laura Desprein : Je suis toujours en quête de projets qui me permettent d’exploiter pleinement mon énergie et mes émotions. Bien que l’idée d’écrire une saga à l’univers totalement inventé me séduise, je doute de m’y atteler un jour, car je préfère les formats qui permettent une expression plus immédiate et percutante. Pour l’avenir, je prévois de continuer à explorer différents médias et formats artistiques, tout en restant ouvert aux surprises et aux opportunités inattendues que le processus créatif peut révéler.

Blois Capitale : Et puis il y a ‘Saltimbanques » dimanche, à la Halle aux grains, une création collective signée aussi par Madeline Fouquet, Nathalie Kiniecik, et Agnès Verlinde…

Laura Desprein : Nous nous sommes attelées toutes les quatre à la conception du projet, mais il appartient à tous les membres du festival, et nous le mettons en scène collectivement. Il ne s’agit pas, comme sur « Le bataillon des femmes perdues », d’une pièce écrite spécialement pour l’occasion, car je n’ai pas reçu de commande d’écriture cette année. C’est donc un montage de scènes d’auteurs de théâtre, sur l’acte de jouer et les conditions de vie des comédiens. Le prix d’entrée est de 2€ seulement, rendant l’événement accessible à tous, même à ceux qui n’auraient pas les moyens de s’offrir une place de théâtre. La création collective est un projet fantastique qui nous unit tous, et j’y crois beaucoup. C’est important, c’est ce qui forge l’identité de ce festival par rapport à d’autres qui sont une suite de spectacles intéressants mais sans notre touche personnelle. À l’origine, l’idée était que toutes les troupes se réunissent pour travailler ensemble, collaborer, et inventer une création collective incluant les élèves du conservatoire, de la spécialité théâtre du lycée Dessaignes, et les amateurs désireux de participer. Je trouve cela extrêmement important, c’est la signature du festival et ce qui le différencie de beaucoup d’autres. C’est ce travail fait avec amour qui nous réunit. C’est une belle aventure à laquelle nous tenons. On parle de la grande famille du théâtre, et là, c’était l’occasion de la mettre en œuvre.

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