Les quatre vérités de Stéphane Buret

Dans un contexte économique marqué par des crises successives, les artisans font face à une accumulation de difficultés : hausse des prix des matières premières, explosion des coûts de l’énergie, spéculations sur les marchés mondiaux, et charges toujours plus lourdes. Stéphane Buret, artisan pâtissier-chocolatier à Blois et président de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat du Loir-et-Cher, tire la sonnette d’alarme. Dans cet entretien sans concession, il revient sur les défis majeurs qui touchent les petites entreprises artisanales et dénonce certaines politiques publiques qu’il juge déconnectées des réalités du terrain.
Entre la gestion des crises locales, les dysfonctionnements au sein de la gouvernance régionale de la CMA et la concurrence écrasante des grandes industries, Stéphane Buret plaide pour des mesures concrètes afin de préserver l’artisanat, qu’il considère comme une richesse essentielle des territoires.

Blois Capitale : Les hausses des prix du beurre, de l’énergie et d’autres matières premières impactent directement les artisans. Comment ces contraintes affectent-elles les entreprises ?
Stéphane Buret : En tant qu’artisan et président de la Chambre de Métiers, je constate que les augmentations successives des coûts, depuis la crise Covid jusqu’à aujourd’hui, mettent nos entreprises sous pression. À cela s’ajoutent les conséquences de la guerre en Ukraine et des ajustements budgétaires de l’État, qui cherche des moyens pour rembourser ses dettes. On veut nous imposer maintenant des taxes sur des produits jugés « dangereux » pour la santé, comme le chocolat. C’est absurde ! Le chocolat est avant tout un plaisir, notamment pour les enfants. J’ai interpellé les sénateurs et députés pour souligner le non-sens de cette mesure. En parallèle, on voit des augmentations continues, comme celle du beurre, qui n’est pas une taxe, mais résulte de la spéculation sur les marchés mondiaux.
Blois Capitale : Pouvez-vous expliquer ces augmentations sur des produits comme le beurre ?
Stéphane Buret : Le marché mondial est dominé par des groupes comme Lactalis. Par exemple, une grande partie de notre production de lait est exportée vers la Chine, car ils paient plus cher. Cela réduit la disponibilité en France et fait monter les prix. Aujourd’hui, nous payons le beurre à 10 € le kilo, contre 6,50 € l’année dernière. Avec la demande qui augmente en période de fêtes, comme pour les galettes, on s’attend à d’autres hausses d’ici la fin de l’année. En gros, la production est répartie entre la poudre de lait et le beurre. Selon la demande, il peut arriver qu’il y ait moins de beurre disponible. C’est ce que l’on nous dit.
Blois Capitale : Outre les matières premières, qu’en est-il des coûts de l’énergie et des autres charges ?
Stéphane Buret : L’année dernière, les factures d’électricité ont explosé. Certains artisans, comme un boulanger de La Chapelle-Vendômoise, ont vu leurs factures passer à 12 000 € pour deux mois. Sur l’année, cela représente jusqu’à 40 000 €, pour un chiffre d’affaires de 350 000 €. C’est insoutenable.
Blois Capitale : Quid des augmentations des matériaux dans le secteur du bâtiment ?
Stéphane Buret : Après le Covid, nous avons vu une flambée des prix des matériaux comme le bois et les métaux. Cela a rendu la gestion des coûts extrêmement difficile pour les entreprises du bâtiment et a fait grimper les prix dans l’immobilier. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une crise majeure dans ce secteur. Les promoteurs construisent moins, car cela coûte trop cher. Les banques, quant à elles, ne veulent plus financer ces projets. Cela pénalise aussi les jeunes, qui peinent à trouver des logements abordables.
Blois Capitale : Ces hausses mettent-elles en danger la pérennité des petites structures ?
Stéphane Buret : Oui, beaucoup d’entreprises sont en grande difficulté. Certaines avaient déjà contracté des prêts garantis par l’État (PGE) pendant le Covid et doivent maintenant les rembourser. Si vous ajoutez les hausses des matières premières, de l’énergie et des assurances, c’est intenable. Je crains qu’en 2024, on voie encore davantage de fermetures d’entreprises artisanales. Nous sommes face à une situation très préoccupante. Malheureusement, le gouvernement ne semble pas en mesure d’apporter une solution. Après le « quoi qu’il en coûte », on nous dit : « Débrouillez-vous maintenant ». Mais les petites entreprises n’ont plus les moyens. Beaucoup de petites structures, comme les boulangeries et les charcuteries, ne peuvent plus absorber ces coûts. Les grandes chaînes, avec leurs unités de production centralisées, peuvent encore s’en sortir. Mais les petits artisans, qui travaillent souvent 12 heures par jour, voient leurs marges se réduire dangereusement. Les banques ne suivent plus non plus. Avec des bilans fragilisés par les hausses des charges, elles refusent de financer les jeunes qui souhaitent reprendre des entreprises. Mon assureur, spécialisé dans le secteur alimentaire, a augmenté nos contrats commerciaux de 30 % cette année. Ils justifient cette hausse par les aléas climatiques, comme les tempêtes ou les inondations. Mais pour nous, cela représente un coût supplémentaire que nous ne pouvons pas absorber. Et c’est encore une fois les petites entreprises qui trinquent.
Blois Capitale : Quelles mesures pourraient être mises en place pour éviter que cette situation ne s’aggrave ?
S.B. : J’avais demandé aux députés, l’année dernière, d’adapter les contrats d’électricité en fonction du chiffre d’affaires des entreprises. Cela aurait permis de répartir la charge de manière plus équitable. Mais rien n’a été fait. Même Olivia Grégoire, alors ministre des PME, avait promis de s’engager pour régler ces problèmes. Lors d’une inauguration dans le Vendômois, elle avait garanti des solutions pour les boulangers. Aujourd’hui, il n’y a eu aucun suivi. Les artisans se sentent abandonnés. Dans de nombreuses communes rurales, des aides ont été mises en place pour maintenir les derniers commerces de proximité. Par exemple, des locaux ont été construits avec des budgets communaux, des subventions régionales et des fonds des contribuables. Mais aujourd’hui, ces efforts sont réduits à néant parce que les charges sont trop élevées. Les artisans ne peuvent pas en vivre. C’est un immense gâchis.
B.C. : Les banques devraient-elles prendre davantage de risques pour soutenir les artisans ?
S.B. : Oui, les banques ont un rôle crucial à jouer. Aujourd’hui, elles sont trop frileuses. Dès qu’un projet ne rentre pas dans leurs « cases », elles refusent de financer. Il faudrait des prêts à taux préférentiels pour les jeunes qui souhaitent reprendre des entreprises artisanales. Mais avec les charges actuelles, comme les hausses de l’électricité et des matières premières, les bilans des entreprises sont fragiles. Cela dissuade les banques et freine les reprises. Les artisans travaillent 12 heures par jour, parfois plus, pour des revenus très faibles. Qui voudrait reprendre une entreprise dans ces conditions ?
Blois Capitale : Pensez-vous que l’artisanat est menacé par les grandes structures ?
Stéphane Buret : Oui, c’est une vraie menace. Les grandes structures industrielles, avec des centaines de magasins, produisent sur des sites centralisés et peuvent proposer des prix imbattables. Pour survivre, les artisans doivent miser sur la qualité et se démarquer. Mais cela devient de plus en plus difficile. Si l’artisan ne propose pas un produit nettement meilleur que celui de l’industrie, il est condamné.
Les difficultés internes à la Chambre des Métiers
Blois Capitale : Vous avez dénoncé début 2024 des problèmes au sein de la gouvernance régionale de la Chambre des Métiers. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Stéphane Buret : La situation s’est aggravée ! La CMA Centre-Val de Loire affichait un déficit de 3,5 millions d’euros, et un plan de restructuration a été imposé. Cela a conduit à un plan de restructuration avec la suppression de 81 emplois. La présidente régionale, Aline Mériau, refuse de collaborer avec les élus territoriaux. Ce qui est scandaleux, c’est que ce plan repose sur un budget erroné. Initialement, le déficit était estimé à 3,5 millions d’euros. Ensuite, on nous a dit qu’il était en réalité positif de 500 000 €. Puis, dernièrement, on parle d’un surplus de 6 à 8 millions d’euros grâce à des provisions oubliées liées aux fonds de l’apprentissage. On ne sait plus où on en est ! En attendant, des collaborateurs compétents quittent la structure à cause de l’ambiance délétère. Rien que récemment, nos directeurs départementaux ont été licenciés. Il y a un réel problème de gouvernance. C’est pour cela que deux présidents de département ont déjà démissionné : Julien Chéron en Eure-et-Loir (28) et Marie Teyssou dans le Cher (18). Ils ne se sentaient plus à leur place dans cette gouvernance.
Blois Capitale : La gestion des CFA est-elle également impactée par ces difficultés ?
S.B. : Oui, et c’est inquiétant. Dans notre région, nous gérons quatre CFA en direct : Blois, Tours, Orléans et Châteauroux. Ces centres forment plus de 7 000 apprentis chaque année. À Blois, par exemple, nous avons entrepris la construction d’un nouveau campus. Deux bâtiments sont déjà opérationnels, mais il reste encore des phases à finaliser. Malheureusement, les hausses des coûts des matériaux ont impacté le budget global. Initialement, le projet était financé à hauteur de 30,7 millions d’euros grâce à des subventions régionales et locales, mais il manque aujourd’hui 4 millions d’euros pour le terminer. La présidente régionale avait refusé d’inclure des prêts garantis dans le financement, ce qui aurait permis de couvrir ces aléas. Aujourd’hui, on se retrouve avec un projet inachevé. Pourtant, ces infrastructures sont essentielles pour former nos futurs artisans.

L’importance de valoriser le commerce local
B.C. : Vous êtes implanté à la fois à Blois, en centre-ville, et à Saint-Gervais-la-Forêt, dans une zone commerciale. Pourquoi ce choix stratégique ?
S.B. : Nous avons choisi de diversifier nos implantations. À Blois, nous sommes en centre-ville depuis 32 ans. À Saint-Gervais, nous avons ouvert une seconde boutique au cœur d’une zone commerciale, pour toucher une clientèle différente. Le centre-ville reste important, mais il souffre de problèmes structurels : stationnement payant, difficulté d’accès… Les clients préfèrent souvent les zones où ils peuvent se garer facilement. Cela dit, je reste convaincu de l’importance des centres-villes. Ils sont le cœur de nos communes et doivent être soutenus.

B.C. : Faut-il plus miser sur une clientèle touristique ?
S.B. : Le tourisme, c’est quelque chose que nous connaissons bien, car nous travaillons énormément avec les touristes à Blois. C’est moins le cas à Saint-Gervais, car c’est une clientèle différente, plus orientée vers des achats quotidiens. Mais pour nous, le tourisme reste un axe de développement majeur, notamment avec l’essor des vélos. Par exemple, depuis quelques années, nous voyons arriver de plus en plus de cyclotouristes qui viennent prendre leur petit déjeuner avant de partir pour une balade à vélo. On peut servir 40, 50, voire 60 petits-déjeuners par matinée, sous forme de brunchs bien garnis. Cela témoigne d’une nouvelle génération de « tourisme vert », qui s’est développée grâce aux itinéraires cyclables. C’est un segment intéressant, et on le voit bien : ce commerce lié aux vélos continue de croître. En parallèle, il y a bien sûr le tourisme traditionnel, avec les visiteurs des châteaux et des monuments historiques. En Loir-et-Cher, nous avons la chance d’avoir des sites exceptionnels. Il faut donc capitaliser sur cette dynamique. Cela passe par des aménagements comme ceux réalisés pour les itinéraires cyclables et par des efforts pour adapter nos offres à cette clientèle de passage. Que ce soit en hôtellerie, en restauration ou en hébergement, l’objectif est de maximiser le temps que les touristes passent sur le territoire. Il faut leur proposer des animations, des visites, et leur donner envie de rester. Pour nous, le tourisme est un atout majeur pour le Loir-et-Cher. Nous avons mis en place une terrasse, nous servons des petits-déjeuners, des boissons et des glaces. Mais cela ne suffit pas : il faut animer ces espaces, donner envie aux gens de s’arrêter, et surtout de rester. C’est essentiel.