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Libre comme Samuel Tasinaje et son « Théâtre des Fées »

Fondateur de compagnie la « Théâtre des Fées », dans le Loir-et-Cher, Samuel Tasinaje est un artiste polymorphe dont le parcours atypique ne cesse d’évoluer, en liberté, avec un intérêt particulier pour la multiplicité des formes artistiques. Son parcours mêle théâtre, cinéma, programmation de festivals et écriture, témoignant d’une curiosité sans fin et d’un refus catégorique d’abandonner quoi que ce soit.

Samuel Tasinaje n’a jamais eu l’intention de limiter ses passions. Dès son plus jeune âge, il est exposé à la scène, au spectacle. Mais au collège et au lycée il développe d’abord un goût pour le dessin. Une passion qui lui vaut de faire « deux cinquièmes et deux secondes », car il passait tout son temps à dessiner au fond de la classe. Cette passion précoce pour l’art visuel ne s’arrêtera pas là, puisqu’il y reviendra plus tard. Son parcours académique prend toutefois une tournure différente lorsqu’il découvre le théâtre. Cette rencontre l’amène à se tourner vers une section spécialisée au lycée, la fameuse A3 Théâtre. Il obtient par ce biais son bac.

Raconter des histoires

Samuel entre alors à l’École Nationale Supérieure des Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT), communément appelée Rue Blanche. Là-bas, il fait une rencontre qui va influencer profondément sa carrière : Alain Knapp. « C’est un professeur extraordinaire qui est le grand théoricien de l’improvisation depuis très, très longtemps. Il a une approche de la mythologie, du répertoire classique, et actuel par le biais de l’improvisation, qui m’a énormément influencé », explique-t-il

Cette initiation à l’improvisation change sa perspective : il veut désormais non seulement jouer, mais aussi raconter des histoires en tant qu’auteur et metteur en scène. Le désir de construire des récits devient central dans son travail. En cela, l’improvisation n’est pas seulement une technique de jeu, mais une méthode pour appréhender la création en profondeur, en plongeant dans la compréhension des auteurs et des textes classiques.

Un premier pas

Armé de ces nouvelles compétences, Samuel Tasinaje fonde sa première compagnie, qui devient pour lui un laboratoire de création. Pendant sept ans, il dirige une dizaine de spectacles avec une approche comique, satirique et collective. Cependant, le chemin n’est pas toujours facile. « Nous, on voulait faire du théâtre plutôt comique, satirique, de troupe. Mais on n’avait pas nos entrées dans le subventionné, et on ne voulait pas non plus faire du théâtre privé avec des stars vues à la télé », se souvient-il.

Cette voie, qu’il appelle la « troisième voie », est difficile à maintenir. Le théâtre qu’il propose cherche à plaire au plus grand nombre tout en restant intelligent et stimulant. Pourtant, l’absence de soutien institutionnel et le choix de ne pas céder aux exigences du théâtre commercial le placent dans une situation précaire. Face à ces obstacles, il décide de bifurquer vers le cinéma, une autre de ses passions.

Écriture et montage

Le cinéma devient alors un nouveau terrain d’exploration pour Samuel Tasinaje. Il travaille sur des courts-métrages, puis des longs-métrages, tout en étant monteur pour gagner sa vie. Mais l’écriture de scénarios prend une place centrale dans sa vie. « J’ai fait beaucoup de scénarios, de script doctoring où je conseillais les gens sur la façon de réorienter leur scénario quand ils étaient coincés », explique-t-il.

Cependant, même en étant rattrapé par le cinéma, Samuel Tasinaje n’a jamais vraiment abandonné son premier amour : le théâtre. Ce qui l’intéresse profondément, c’est la mise en scène et la création de récits scéniques. « Ce qui m’a toujours habité, c’est de mettre en scène. »

La création du Théâtre des Fées

Juste avant la pandémie de Covid-19, Samuel Tasinaje vit une expérience qui va transformer sa carrière. Sa sœur, Pauline Labib-Lamour, crée un petit festival de théâtre en Lozère, en pleine campagne, dans un village de 700 habitants qui monte à 3 000 l’été. Là, une aire de pique-nique à côté d’un terrain de foot, il redécouvre une énergie théâtrale qu’il croyait perdue. Il raconte :

« Pauline avait monté La Tempête de Shakespeare, qui est quand même une pièce très décousue. C’est la dernière de Shakespeare, c’est râpeux, c’est rugueux. Il y a trois histoires qui s’entremêlent, qui ne sont pas sur le même mode de jeu, de code. Donc je me disais que ça allait être difficile de leur faire avaler ça. On avait ronéotypé quelques petits flyers, vraiment avec le truc de la mairie, c’était en noir et blanc. On en avait affiché dans deux-trois commerces. On avait mollement tracté dans le camping, un jour de concours de boulistes. Et puis bon, la mairie nous avait prêté 200 chaises. À 21h05, moi, je me suis dit que c’était vraiment un fiasco. Il y avait les 10-20 personnes, amis, famille, qui étaient là. Et puis, le quart d’heure languedocien nous a pris de court. A 21h20, il y avait un embouteillage dans le parking, et on a regretté de ne pas avoir désigné quelques copains pour montrer aux gens comment mieux se garer pour que ce ne soit pas le bazar. Donc en fait, c’était plein à craquer ! Alors on s’est dit : bon, bah ça c’est le premier jour. Mais rebelote le lendemain. Et surtout, ce que j’ai adoré, c’est découvrir la soif absolue de culture des gens en ruralité. La soif, l’envie, la curiosité que j’avais un peu perdue de vue aussi bien en tant que spectateur en allant voir des spectacles dans les grandes villes qu’en montrant des choses. Et puis, je m’étais un peu lassé de tout ça. Et là, je me suis dit que j’aurais dû partir déjà il y a 25 ans en province et créer là-bas, parce que c’est là que ça se passe. C’est là qu’il y a un engouement, c’est là qu’il n’y a pas de lassitude. Alors, je ne veux pas enfoncer les gens des villes, mais il y a une curiosité, une érudition aussi que j’ai rencontrée. Ce n’est pas du tout, cela m’a donné envie de recommencer à faire du théâtre, absolument. Et je me suis dit, personne ne m’empêchera de refaire du théâtre tous les étés, avec une troupe de potes, le plus professionnel possible. Mais s’il faut qu’on reste amateur, parce qu’il n’y a pas d’argent, on s’en fout ! On va jouer en province, et tout est plus facile. Les logements, l’entraide, le bénévolat, la bouffe… Enfin voilà, ce fut vraiment touchant de découvrir cela. »

C’est cette révélation qui l’incite à fonder une nouvelle compagnie en 2020, Le Théâtre des Fées.

Une écriture propre et une exploration de la comédie

Cette nouvelle aventure artistique est marquée par un changement radical. Samuel décide de se consacrer à ses propres pièces. En 2021, il écrit et met en scène En passant par la Loire, une comédie inspirée de l’épidémie de peste de 1347. La pièce raconte l’histoire d’une troupe de théâtre itinérante qui, en fuyant la peste, rencontre un inquisiteur, une sorcière et d’autres personnages hauts en couleur. « C’est une comédie, car la troupe veut monter un spectacle pour se renflouer, mais les nouveaux acteurs sont de vrais mauvais comédiens, et ça part en vrille », dit-il avec un sourire.

L’année suivante, il monte une autre pièce, Sauvez ma classe !, une satire sociale sur la fermeture des écoles en milieu rural. « C’est l’histoire d’une classe qui ferme dans un petit village. La maire se bat par tous les moyens pour éviter la fermeture, allant même jusqu’à essayer d’obtenir des migrants pour maintenir les effectifs. » Cette pièce aborde avec humour un sujet grave et trouve une résonance particulière dans un contexte de désertification des services publics.

La programmation : une nouvelle casquette

Outre son travail de création, Samuel Tasinaje s’essaie également à la programmation. Ainsi, la quatrième édition du festival En passant par la Loire s’est déroulée en juillet dernier à Onzain. « J’ai appris un autre métier, celui de programmateur. Ce qui m’amuse, c’est de proposer aux gens ce que j’aime, et espérer qu’ils l’aimeront aussi », dit-il. Une affaire de famille aussi. Au programme, Debout les mouches ! par la compagnie Espère un peu fondée par Pauline Labib-Lamour, la sœur. Mais aussi La belle histoire de Coline Serreau, seule en scène de sa mère. Ou encore, Le chant des insectes de et avec Mathilde Grosjean, sa compagne, un spectacle musical pour enfants avec des extraits d’opéra.

Dimanche dernier, le lyrique fut une nouvelle fois mis en lumière. Samuel Tasinaje a rempli la salle Charles de Rostaing, à Veuzain-sur-Loire, avec un concert unique : Les Sirènes Sisters chantent l’opéra.

Samuel Tazinaje Veuzain

Le duo composé de Clémence Lévy et d’Analia Téléga a interprété de grands airs d’opéra, accompagnées par le pianiste Frédéric Isoletta. L’idée du concert, organisé par le Théâtre des Fées, était de rendre l’opéra accessible à tous en combinant humour, virtuosité et interaction avec le public.

À travers leur approche ludique et décalée, les trois artistes ont cassé les stéréotypes d’un art perçu comme élitiste. Et il suffisait de regarder les visages des spectateurs pour constater que la magie opérait. Une impression confirmée par les applaudissements nombreux et les deux rappels. Une forme de reconnexion avec l’essence de l’art.

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