L’odyssée posthume de Catherine de Médicis, de Blois à Saint-Denis

Catherine de Médicis meurt le 5 janvier 1589, au château royal de Blois, alors qu’elle y réside depuis plusieurs mois dans un contexte politique tendu. Elle y avait rejoint son fils Henri III, réfugié à Blois après avoir fui Paris, ville soulevée par la Ligue catholique. La reine-mère, âgée de 69 ans, n’assiste pas à l’assassinat du duc de Guise dans la chambre du roi quelques semaines plus tôt, mais c’est dans cette atmosphère de crise et de fin de règne qu’elle s’éteint, au terme d’une existence marquée par les luttes religieuses, les deuils et le pouvoir.
Sa mort ne donne lieu à aucune grande cérémonie. Le royaume est en guerre civile, et le corps de la reine ne peut être transporté vers Saint-Denis, la nécropole traditionnelle des rois de France. L’état de trouble général, l’insécurité des routes et le climat politique empêchent un cortège funèbre digne de son rang. Le cadavre est placé dans la chapelle Saint-Calais du château de Blois, où il reste exposé plusieurs semaines. Mais aucun embaumeur n’est alors disponible dans la ville. L’hiver rigoureux de cette année-là ne suffit pas à empêcher la décomposition du corps. L’odeur devient rapidement insoutenable, forçant les proches à organiser une inhumation provisoire.
Le lieu choisi est l’église Saint-Sauveur, située à proximité immédiate du château, dans ce qui constituait alors son avant-cour. Église millénaire, fondée vers l’an 1000 et reconstruite au fil des siècles, la collégiale Saint-Sauveur est un édifice imposant, bien qu’endommagé par les passages successifs des troupes protestantes et catholiques durant les décennies précédentes. C’est là, sans grande pompe, sans monument funéraire, que le cercueil de Catherine est placé, vraisemblablement dans une crypte ou une chapelle latérale. Il n’y a ni épitaphe, ni signalement particulier. À ce moment-là, la reine n’a plus de royaume à protéger ni de famille pour s’occuper de son souvenir. Son fils Henri III est assassiné en août de la même année. Henri de Navarre, protestant converti au catholicisme sous le nom d’Henri IV, n’est pas encore reconnu comme roi légitime par tous ses sujets.
La suite de l’histoire est marquée par un long oubli. L’église Saint-Sauveur de Blois, qui avait accueilli d’autres sépultures royales ou princières par le passé, est peu à peu abandonnée. Elle est fortement dégradée durant la Révolution française, vendue comme bien national, puis détruite définitivement dans les années 1820. Aujourd’hui, il n’en reste rien, si ce n’est un espace vert aménagé sur l’esplanade du château : les parterres Saint-Sauveur. Aucune stèle, aucune plaque ne rappelle qu’une reine de France y reposa pendant plus de deux décennies.

Ce n’est qu’en 1610, plus de vingt ans après la mort de Catherine, que ses restes sont enfin transférés à la basilique Saint-Denis. Cette décision est prise par son fils adoptif et successeur, le roi Henri IV, dans un contexte de stabilisation du royaume. Le roi a réussi à imposer son autorité, à signer l’édit de Nantes, à restaurer une forme de paix civile. Il entreprend à cette époque de réparer les offenses symboliques faites à la monarchie durant les années de guerre. Le transfert des dépouilles de Catherine de Médicis et de son époux Henri II vers leur tombeau définitif en fait partie.
Ce tombeau, commandé par Catherine elle-même dans les années 1570, avait été sculpté par Germain Pilon. Il était resté vide ou inachevé pendant plus de trente ans. C’est dans ce monument situé dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste de la basilique Saint-Denis que les deux souverains sont enfin réunis, dans le marbre et la solennité que le chaos leur avait refusés de leur vivant. Le transfert est financé par le trésor royal. Il est voulu autant pour des raisons personnelles que politiques : Henri IV, en tant que premier roi Bourbon, entend s’inscrire dans la continuité dynastique des Valois. Restaurer la mémoire de sa prédécesseure, bien qu’elle ait été honnie par une partie du peuple et des pamphlétaires pour son rôle supposé dans la Saint-Barthélemy, participe à cette stratégie d’unité.
Il n’est pas certain que l’ensemble des restes de Catherine aient été exhumés en totalité à Blois, ni que l’identification ait été parfaite après vingt ans de décomposition dans un lieu modeste. Mais le geste symbolique, lui, est bien documenté : une reine sans sépulture digne devient enfin la veuve d’un roi dans l’éternité de Saint-Denis.
L’épisode révèle la fragilité des symboles monarchiques à la fin du XVIe siècle. Une souveraine morte dans un château déserté, enterrée en hâte faute d’embaumeur, puis oubliée sous une pelouse avant d’être rachetée par la dynastie suivante : Catherine de Médicis, si attachée au cérémonial, aux arts et à la grandeur, eut un destin posthume à rebours de sa vie. Ce n’est qu’au prix d’un effort politique tardif qu’elle a retrouvé une place visible dans la mémoire funéraire du royaume. À Blois, aucun vestige n’en témoigne. Mais les archives, les récits de l’époque et les absences architecturales racontent, en creux, le long purgatoire d’une reine de France.