Taxis en colère : Pierre Bouffart alerte sur un système au bord de la rupture

Entretien au long cours avec Pierre Bouffart, président de l’Union Nationale des Taxis de Loir-et-Cher, en première ligne d’un mouvement d’ampleur nationale contre la nouvelle convention sur les transports sanitaires. Depuis Blois, il alerte sur les conséquences d’une réforme qu’il juge inapplicable, brutale et déshumanisante. Témoignage sans filtre.
Lundi 19 mai, ils étaient 110 véhicules à s’élancer pacifiquement dans les rues de Blois, rejoints par les agriculteurs de la Coordination Rurale. Une « opération escargot » sans débordement, mais avec un message clair : les taxis refusent le nouvel encadrement imposé par la convention nationale sur les transports de santé. Parmi eux, Pierre Bouffart, figure locale et président de l’UNT 41, porte une parole franche, argumentée. Il parle pour les siens : les taxis de la ruralité, les transporteurs qui maintiennent un lien entre les patients et le soin. « Le département a été moteur. On a été les seuls à déclencher le mouvement localement, et la Coordination Rurale nous a rejoints. Lundi, 110 véhicules. Tout s’est déroulé pacifiquement, comme je l’avais annoncé. Aucun débordement. » Ce mercredi, le mouvement continue à Paris, Marseille, et même à Pau, ville du Premier ministre.
La mobilisation n’est pas conjoncturelle. Elle s’inscrit dans une lutte prolongée contre des mesures qui, selon Pierre Bouffart, ne tiennent aucunement compte des réalités de terrain. Au cœur du conflit : l’imposition des transports partagés, l’obligation faite aux taxis d’en organiser la logistique, l’absence de rémunération pour les trajets retour et les temps d’attente. Le tout, dans un contexte d’appauvrissement général du secteur. « On veut nous faire organiser le transport partagé, mais c’est impossible. Prenez un exemple : de Romorantin à Blois, pour un rendez-vous de chimiothérapie à 9 h. Si j’emmène deux patients du secteur, il y en a forcément un qu’on prend d’abord, et un autre ensuite. Or, chacun veut être pris en dernier pour arriver pile à l’heure. Résultat : c’est la guerre entre patients. »
Et la colère monte. Pas seulement contre les mesures, mais aussi contre la manière dont elles sont imposées, sans concertation réelle, dans une opacité dénoncée avec vigueur. « La convention est tombée lundi. On va avoir du bonus-malus, de la géolocalisation, des contraintes techniques… Et on ne sera même plus payés pour l’attente ou le retour. On chiffre à 40 % la baisse du chiffre d’affaires. C’est ingérable. »
Des chiffres qu’il martèle sans détour : 90 % des taxis du département travaillent sous convention. L’impact est donc immédiat et massif. D’autant que les coûts explosent : +20 % sur les assurances, +20 % sur les mutuelles, sans aucune compensation. Le système devient, selon lui, insoutenable. « Les salariés nous demandent des ruptures conventionnelles. Il va y avoir du licenciement économique. Et je vous le dis : on ne peut pas continuer comme ça. »
Ce combat, Pierre Bouffart dit le mener aussi au nom des patients. Il évoque la population vieillissante, les personnes isolées en ALD (Affection de Longue Durée), celles qui n’ont pas de voiture, pas de famille, pas d’autre solution. « On est un service d’utilité publique. Mais demain, ce sera fini. Aujourd’hui, une patiente sort de la clinique, je l’emmène chercher ses médicaments. Ce n’est pas facturé. Je le fais parce que sinon, qui le fera ? »
Ce « lien » humain, le président de l’UNT 41 y tient profondément. Il en fait même le cœur de sa critique envers la plateforme généralisée que la réforme semble appeler de ses vœux. « Avec les plateformes, fini le lien. On clique, on prend quelqu’un, on le dépose. Il n’y a plus d’histoire, plus de visage. Le taxi devient un pion. » Et c’est aussi un cri d’alarme sur la déshumanisation du soin, et l’impact psychologique sur les chauffeurs eux-mêmes. Ceux qui, chaque jour, conduisent des malades vers des traitements lourds — radiothérapie, chimiothérapie — sans formation, sans encadrement, mais avec un sens aigu de leur mission
Pierre Bouffart pointe les inégalités territoriales, l’oubli des zones rurales, le désert médical, et l’aberration d’une politique uniforme dans un pays si disparate. « On ne peut pas comparer le Loir-et-Cher à Paris. Ici, les gens n’ont pas de transport, pas de spécialistes. Ce sont les médecins qui prescrivent le transport vers Tours, Orléans, Paris. Et demain, on va dire quoi ? Qu’on ne peut plus y aller ? » Il accuse le gouvernement de ne pas dire la vérité. De cacher l’effondrement budgétaire derrière une réforme technocratique.
Dans sa bouche, les mots sont simples, mais le constat est rude : c’est la Sécurité sociale elle-même qui est en train de se déliter. Et avec elle, une certaine idée de la solidarité nationale. Il évoque les assurés qui devront désormais payer une consultation non annulée 48 h à l’avance. Ceux qui ne pourront plus se déplacer. Ceux que le système laissera au bord du chemin. « 500 assurés du Loir-et-Cher n’ont pas pu aller à leurs soins lundi dernier. Et ce n’est que le début. »
Et il anticipe une suite difficile. Un bras de fer, qu’il espère pouvoir résoudre par la négociation. Mais il le dit clairement : il ne transigera pas sur la dignité. « On est prêts à faire des efforts, mais pas à la tronçonneuse. Pas encore une remise sur une remise. »
En parallèle, il réclame une prise de conscience du corps médical : des horaires mieux coordonnés, des efforts partagés, une écoute. Il dénonce l’asymétrie : le taxi arrive avec 15 minutes de retard, c’est un drame ; le médecin a une heure de retard, c’est normal. Et il conclut : « On est devenus les larbins des prescripteurs. Et ça, ce n’est plus possible. »
La contestation est à l’échelle nationale. Une montée à Paris est en préparation. Pour lui, le bras de fer engagé n’aura de fin que dans une négociation honnête, lucide, et respectueuse des réalités de terrain.