Nathalie Kiniecik, ou le théâtre vivant à la recherche d’un présent ultime
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Depuis près de vingt ans, Nathalie Kiniecik anime la scène blésoise avec sa compagnie L’Intruse. Metteuse en scène, comédienne et pédagogue, elle a su imposer un style, mêlant création artistique, ancrage territorial et transmission. Entre souvenirs marquants et réflexions sur le théâtre, elle revient sur son parcours, ses projets et sa vision du spectacle vivant.
Des débuts marqués par la littérature et la scène
Nathalie Kiniecik a grandi dans un environnement propice à l’imaginaire et à la création. Dès son plus jeune âge, elle se distingue par un goût prononcé pour la mise en scène. « À chaque fois qu’il y avait le sapin de Noël, j’utilisais ça comme une scène de théâtre. Je travaillais des entrées, des sorties… Ce n’était pas pour les autres, c’était pour moi. » Ce premier contact instinctif avec l’univers de la représentation annonce déjà une vocation. L’enfance de Nathalie est également marquée par des lectures et des spectacles qui nourrissent son imaginaire.
Sa découverte du théâtre se fait progressivement, notamment au centre aéré, où elle improvise un spectacle avec une marionnette qu’elle avait confectionnée elle-même. Cette expérience suscite chez elle un déclic fondamental : « Quand j’ai entendu les rires de mes camarades, ça m’a produit une sensation immense. » Ce plaisir de susciter une réaction, d’être entendue et vue, restera un moteur essentiel de son parcours.
Parallèlement, la danse occupe une place importante dans son enfance et son adolescence. « J’ai commencé en CE1 et j’en ai fait jusqu’à ma deuxième année de fac. Cette pratique m’a beaucoup influencée dans ma manière de concevoir l’espace scénique. » La danse, tout comme le théâtre, lui permet d’explorer différents modes d’expression corporelle et de créer un lien singulier avec le public.
Le passage par le lycée et les premières expériences de troupe
Au lycée, elle intègre l’option théâtre, une chance qu’elle mesure pleinement. « C’était vraiment un coup de chance que cette option ouvre juste au moment où j’y allais. » Sous la direction de Nicolas Peskine, elle apprend les rudiments du jeu scénique. « Il n’était pas dans l’encouragement facile, mais il pointait toujours ce qui allait et ce qui n’allait pas. Ce regard exigeant m’a beaucoup aidée. » Ces années marquent aussi ses premières expériences de création collective. Elle raconte avec enthousiasme les journées de travail intensif et les petits spectacles montés avec ses camarades. C’est à cette époque qu’elle découvre l’importance du travail de groupe et du rôle d’un metteur en scène pour guider une équipe vers une création commune.
Une double formation : lettres et art dramatique
Après le bac, Nathalie choisit de poursuivre des études en lettres modernes tout en intégrant le conservatoire de Tours. Ce double parcours témoigne de son amour des textes et de la littérature. « J’avais besoin de comprendre les textes de l’intérieur, de les travailler sous plusieurs angles. » Bien qu’elle n’ait pas été admise au conservatoire dès sa première tentative, elle persévère et réussit l’année suivante. Cette expérience lui apprend la patience et la résilience, des qualités qu’elle transmettra plus tard à ses propres élèves.
Son passage au Théâtre National de Bretagne constitue une étape décisive dans sa carrière. Sous la direction de Stanislas Nordey, elle travaille avec des metteurs en scène variés et s’ouvre aux écritures contemporaines. « Il avait une vraie pensée pédagogique. Il cherchait à comprendre ce dont chaque élève avait besoin pour progresser. » Cette expérience lui permet d’acquérir une solide formation et de se constituer un réseau professionnel.
La fondation de L’Intruse : une aventure personnelle et collective
En 2006, elle fonde la compagnie L’Intruse. Le nom de la compagnie n’est pas choisi au hasard : il fait référence à la première pièce qu’elle a mise en scène, L’Intruse de Maurice Maeterlinck. « C’est l’auteur qui m’a le plus marquée. Ses textes résonnaient en moi d’une manière particulière. »
Avec L’Intruse, Nathalie développe un théâtre ancré dans le territoire. Elle collabore étroitement avec la ville de Blois pour proposer des spectacles en plein air, notamment sur l’esplanade du château. Ces créations, souvent liées à l’histoire locale, rencontrent un grand succès. Parallèlement, elle anime des ateliers de théâtre et de lecture à voix haute. « Dès le début, j’ai voulu transmettre. Pour moi, le théâtre a une dimension sociale essentielle. » Sous l’intitulé « Nathalie lit », elle propose des lectures théâtralisées d’albums jeunesse, une activité qui lui tient particulièrement à cœur.
Créer pour transmettre : une vision du théâtre en constante évolution
Depuis la création de la compagnie L’Intruse, Nathalie Kiniecik n’a jamais cessé de réinventer sa manière de concevoir le théâtre. Pour elle, tout commence par l’acte de créer, qu’il s’agisse de mettre en scène une pièce, d’interpréter un rôle ou de monter un projet de territoire. « Il faut être à la base du projet. Quand on crée une mise en scène, c’est comme quand on crée une interprétation : il y a toujours quelque chose de vivant. »
Cette vision du « spectacle vivant » est au cœur de sa pratique artistique. Ce qui stimule Nathalie, c’est cette nécessité d’être présente, ancrée dans l’instant, à chaque représentation. « On peut avoir tout travaillé, tout calé, mais cela ne nous dédouane jamais d’être là, au présent. » Pour elle, le théâtre n’a jamais une finalité fixe. Chaque spectacle est une œuvre en perpétuelle recréation, car le public, les circonstances et l’énergie du moment influent sur la manière dont il est joué. « Il y aura toujours une autre finalité, car le jour d’après, il faut rejouer. Et rejouer, c’est se remettre en question. »
Des projets qui s’entrelacent et se répondent
Le théâtre de Nathalie Kiniecik est marqué par une cohérence. En 2023, lorsqu’elle reprend Bulles Bleues de Maurice Maeterlinck dans le cadre du festival blésois Vite au Théâtre !, elle se rend compte que cette œuvre était déjà présente dans son parcours bien avant sa mise en scène. « Bulles Bleues, je l’avais travaillée en partie dans la mise en scène d’Aglaven et Sélizette en 2002, quand nous avions pu monter un projet personnel durant l’été. Revenir à cette œuvre, c’était comme boucler la boucle. » Cette expérience lui donne un sentiment d’accomplissement et de cohérence. « Tous les projets trouvent une cohérence. C’est comme les pièces d’un puzzle qui s’assemblent au fil du temps pour dessiner quelque chose de plus grand. »
Ce cheminement logique, presque naturel, l’a également conduite à un nouveau défi : la mise en scène de Macbeth de Shakespeare. « J’adore Hamlet, mais Macbeth s’est imposé à moi. Cette pièce a quelque chose de fascinant, presque de l’ordre de la fable noire. On ne sait pas vraiment à quel moment elle se déroule. Bien sûr, c’est en Écosse, mais cela pourrait être partout et nulle part. Cela m’a beaucoup fait penser à Maeterlinck. »
Cette résonance entre les œuvres de Maeterlinck et Shakespeare l’a même poussée à explorer différentes traductions de Macbeth, dont celle réalisée par Maeterlinck lui-même. « C’est la seule pièce de Shakespeare que Maeterlinck a traduite. Finalement, ce n’est pas un hasard si j’ai choisi cette œuvre. C’est quelque chose qui était là, dans un coin de mon cerveau, et qui a fini par émerger. »
Une ouverture vers le répertoire classique
Avec Macbeth, Nathalie renoue avec un désir de transmettre les grandes œuvres du répertoire classique à des publics variés, notamment les jeunes. Cette démarche s’inscrit dans la continuité de son travail sur Les Fourberies de Scapin, présenté sous une forme originale dans les collèges. Cependant, elle est consciente des défis que pose la diffusion de ces œuvres. « On pense toujours aux théâtres et aux scènes nationales, mais il y a plein d’autres endroits où l’on peut jouer ces pièces. Les grandes œuvres du répertoire sont attendues : il suffit de prononcer le nom d’une pièce comme Macbeth ou Les Fourberies de Scapin pour attirer l’attention. »
Pour Nathalie Kiniecik, le théâtre ne se limite pas aux grandes institutions : il peut vivre partout, dans une salle des fêtes de village, une médiathèque ou un collège. C’est cette conviction qui l’anime et qui donne à son parcours une singularité précieuse.
La transmission, un moteur essentiel
Au fil des années, Nathalie Kiniecik a trouvé un équilibre entre création artistique et transmission. Cette dimension pédagogique, elle la cultive à travers des projets variés et ambitieux, mêlant art, patrimoine et nature. « L’année dernière, nous avons créé un spectacle dans la carrière de la Mutte, à Sargé-sur-Braye, dans une carrière de grès roussard. Moi, j’apprends plein de choses sur la nature. Comme j’adore ça, tout va bien. »
Ces spectacles itinérants, souvent en lien avec des espaces naturels sensibles (ENS), ont une double vocation : divertir tout en sensibilisant le public à la préservation de l’environnement. « C’est une manière d’être proche des gens et, pédagogiquement, de faire passer tout un tas de choses importantes. » Ce lien entre l’art et la nature est devenu une marque de fabrique de la compagnie L’Intruse, qui collabore étroitement avec le département du Loir-et-Cher.
Réaliser des rêves artistiques
Malgré un parcours riche, Nathalie Kiniecik nourrit encore de nombreux projets artistiques. Après avoir coché la case Shakespeare avec Macbeth, elle envisage de s’attaquer à d’autres auteurs majeurs. « J’aimerais bien monter une pièce de Tchekhov. Et puis, il y a La Princesse Maleine de Maurice Maeterlinck. Je sais que je ne pourrai pas y couper. J’ai vraiment besoin de faire cette pièce. »
Cette volonté de monter des œuvres majeures n’est pas qu’un objectif personnel ; elle s’inscrit dans une démarche artistique profonde, tournée vers le texte et sa transmission. Pour Nathalie, tout part des mots. « Finalement, on revient toujours au texte. L’essentiel, c’est le texte : comment on fait entendre l’œuvre d’un auteur, comment c’est ciselé, comment c’est écrit. Les mots ont une grande importance : la poésie, la manière dont c’est agencé… Pas juste les concepts, mais aussi les sonorités, la musique du texte. »
Une quête permanente de création
En presque vingt ans de carrière avec la compagnie L’Intruse, Nathalie Kiniecik n’a jamais cessé de créer, d’explorer de nouvelles voies artistiques et de multiplier les casquettes. Comédienne, metteuse en scène, auteure, formatrice, elle assume ce rôle polyvalent, même si elle avoue parfois rêver de n’être « que » comédienne. « Ce serait intéressant d’être uniquement interprète, de se remettre entre les mains d’un metteur en scène. Je ne dirais pas que ce serait des vacances, mais ce serait reposant de ne pas devoir tout gérer : le planning, le chargement des décors, le lavage des costumes, leur entreposage… »
Cette réflexion sur son rôle d’interprète l’a amenée à aborder son métier avec une grande humilité et une profonde écoute du texte. « Quand je joue, je ne me dis jamais : « Il faut que je fasse ça comme ça. » J’attends que le texte fasse son œuvre à l’intérieur de moi. C’est à force de le dire, de le répéter, que certaines choses émergent naturellement. »
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Une approche ludique et intuitive du jeune public
Au fil des années, Nathalie Kiniecik a su développer un lien particulier avec le jeune public. Pour elle, tout a commencé par une passion profonde pour la littérature jeunesse. « À la base, c’est parce que j’adore cette littérature. Ce sont toujours les mots, les histoires, la manière dont elles sont racontées qui m’attirent. » Cette passion a rapidement évolué vers une volonté de transmettre, d’éveiller l’imaginaire des enfants et de créer un pont entre eux et le spectacle vivant.
Ce travail minutieux de mise en scène, notamment dans les spectacles pour enfants, repose sur une connaissance fine de ce public exigeant. Elle évoque avec amusement l’un de ses spectacles, Les livres font leur cirque, une création originale où les livres deviennent des personnages réalisant des numéros de cirque. Parmi eux, un « livre sauvage » devait être dompté. « Ce livre sauvage ne parlait pas. Je décide alors de lui apprendre à parler et je me dis : le premier mot que je vais lui faire dire, c’est “maman”. Le livre répond “papa”, et là, les enfants explosent de rire. » Pour Nathalie, ce type de réaction montre à quel point l’humour naît souvent de l’inattendu. Elle raconte avec modestie qu’elle ne s’attendait pas à une telle explosion de rires : « Quand j’ai écrit ce passage, je pensais que ça allait faire sourire, mais pas autant. Ce que les enfants apprécient, c’est le caractère inattendu de la situation. Ils s’attendent à une chose et en entendent une autre. »
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Un théâtre toujours en mouvement, au contact des spectateurs
Si Nathalie Kiniecik se plaît à créer pour les enfants, elle ne se limite pas à ce public. La diversité des spectateurs, qu’ils soient jeunes ou adultes, issus de milieux différents, fait partie intégrante de son projet artistique. « C’est important d’avoir des publics variés et de proposer des choses différentes. Peut-être que c’est pour ça qu’on s’appelle L’Intruse. On cherche toujours à aller là où on ne nous attend pas. »
Cette philosophie l’amène à repenser la place du théâtre dans la société. « J’aime l’idée de casser les codes. Les gens pensent souvent que le théâtre, c’est un endroit où l’on s’assoit dans une salle sombre et où l’on doit écouter religieusement un texte écrit il y a des décennies. Mais non, le théâtre peut se jouer ailleurs : au milieu d’un espace naturel, dans un village, sur une place publique. » Cette volonté de surprendre et d’innover fait partie intégrante de l’identité de la compagnie L’Intruse. Pour Nathalie, le théâtre est une expérience vivante qui doit toucher les spectateurs là où ils ne s’y attendent pas. « Emmener les spectateurs dans des lieux inattendus, leur montrer qu’une scène peut se dresser n’importe où, c’est ça, l’idée. »
Cette démarche s’inscrit dans une quête de sens et d’utilité. « Peut-être que dans le public, il y aura un enfant qui va se dire : “Mais incroyable ! Je vais peut-être faire ça, moi, plus tard.” On ne sait jamais. Si on peut éveiller des vocations, c’est merveilleux. »
Nathalie Kiniecik conçoit le théâtre comme un art au service des autres, une passerelle entre les mots, les histoires et les émotions. Que ce soit en adaptant des textes classiques pour les collégiens, en jouant devant des tout-petits ou en emmenant les spectateurs dans des lieux patrimoniaux, elle cherche à créer un théâtre qui dialogue avec son public. « Ce que je veux, c’est que le théâtre reste un espace de rencontre, un moment de partage où les spectateurs, quel que soit leur âge, vivent une expérience. »
Vingt ans de créations et un avenir en pleine ébullition
Pour Nathalie Kiniecik, vingt ans de carrière avec la compagnie L’Intruse n’ont pas entamé son énergie créatrice ni son envie d’explorer de nouvelles voies. Si l’aventure a commencé avec des spectacles historiques ou littéraires, elle s’est progressivement élargie vers des formes plus participatives et ancrées dans le territoire. La metteuse en scène et comédienne insiste d’ailleurs sur l’importance de cet ancrage local : « On travaille pour les gens, et les gens nous le rendent bien », dit-elle, évoquant les partenariats réguliers avec des structures du Loir-et-Cher et les nombreux projets montés en collaboration avec le département et les collectivités.
Mais Nathalie n’est pas dupe des difficultés économiques que peuvent rencontrer les compagnies théâtrales : « Politiquement, avec toutes les réductions de budget, on sent que les choses vont devenir de plus en plus compliquées. » Malgré tout, elle reste optimiste, convaincue que la culture a un rôle essentiel à jouer, non seulement sur le plan économique, mais aussi en termes de cohésion sociale : « Regarder ensemble un spectacle, c’est un moment de partage unique. À une époque où on peut être très isolé, chacun devant son écran, ça fait du bien de se rassembler et de vivre une expérience commune. »
Un festival, un rôle central et une quête permanente
Avec le festival Vite au Théâtre ! (11 au 15 février 2025), plusieurs compagnies s’emploient à rendre le théâtre accessible à toutes et tous. L’événement, qui attire chaque année un large public à Blois, témoigne de leur volonté de créer des moments forts et fédérateurs autour du spectacle vivant. Nathalie, qui endosse à la fois les casquettes de metteuse en scène, comédienne et organisatrice, évoque avec enthousiasme la préparation de l’édition à venir : « On espère qu’il y aura du monde, mais normalement oui. C’était plein l’année dernière, et cette année, ça peut être encore plus que plein ! »
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Interrogée sur son rapport au jeu et à la répétition, Nathalie décrit un processus complexe, entre rigueur et lâcher prise, toujours au service du présent : « Répéter, c’est approfondir le texte jusqu’à ce qu’il soit complètement intégré. Mais sur scène, il faut que tout se dise comme si ça venait d’être inventé. C’est ça, le présent ultime. » Une quête exigeante qui anime chacune de ses représentations, qu’il s’agisse de drames ou de comédies, de moments graves ou de scènes légères. Et pourtant, cette exigence ne la prive jamais du plaisir de jouer : « Tout au théâtre est absolument faux et absolument vrai à la fois. On sait que c’est préparé, et pourtant, quand ça arrive sur scène, c’est tout à fait réel. C’est cette magie-là qui fait qu’on ne se lasse jamais. »
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