Nïx, un mois après Bury : ce qui s’éloigne, ce qui s’ouvre

Un mois après la fin de sa résidence artistique à La Source de Bury (lire ici), grâce à Artecisse et donc Isabel Da Rocha, l’artiste plasticienne Nïx — Anaïs Beaucourt de son vrai nom — revient sur cette expérience. Le temps de la création s’est achevé. Certaines œuvres ont trouvé acquéreur. De cette parenthèse, elle garde une autonomie technique, un état de flow rare, et la sensation d’avoir franchi un seuil. Sans revendiquer de virage, elle avance à son rythme, portée par ce qui circule entre ses œuvres — et entre elle et ceux qui les regardent.
Un attachement qui ne se vend pas
Le vernissage n’était pas encore terminé que certaines pièces étaient déjà vendues. Le renard, notamment — une œuvre à laquelle elle tenait — a été la première à partir. Elle ne s’en étonne pas. Les vernissages favorisent les ventes immédiates, les coups de cœur. Mais il y a toujours, dans ces départs, quelque chose d’un peu arraché. Chaque pièce représente plus qu’un objet. Ce sont, dit-elle, des entités naturelles ou surnaturelles, habitées d’une présence avec laquelle elle a vécu pendant toute la durée du travail. Quand elles s’éloignent, un lien se rompt, même si la confiance en l’acheteur apaise un peu ce sentiment de perte.

La difficulté, cependant, ne tient pas qu’à l’attachement. Il y a aussi l’enjeu de la série. Une série encore jeune, cohérente, traversée d’un souffle commun qu’une visiteuse a qualifié de « fluide » — mot qu’elle reprend volontiers. Elle voit dans cette continuité un mouvement, une circulation organique, presque comme l’eau. C’est ce lien qu’elle souhaite préserver aussi longtemps que possible, en reconstituant la série dans son ensemble pour d’éventuelles expositions à venir. Tant qu’il reste un nombre suffisant d’œuvres, elle veut continuer à les montrer ensemble. Mais elle sait aussi que l’équilibre est fragile. Il suffit de quelques absences pour que l’ensemble vacille.

Prolonger ce qui circule
Ce n’est pas une impasse. Elle projette déjà de prolonger cette série, de l’enrichir, de la transformer. La technique hybride qu’elle a explorée pendant sa résidence — cyanotype et aquarelle mêlés — lui ouvre un champ fertile. Elle envisage d’y intégrer d’autres médiums encore. Ce ne sera pas un simple prolongement, mais une suite vivante, évolutive. L’exposition pourrait alors continuer à exister, non comme un corpus figé, mais comme une forme mouvante, ouverte à la mutation.
Donner un nom à ce qui émerge
Dans ce travail, les titres arrivent parfois très tôt, parfois tardivement, parfois pas du tout. Certains noms s’imposent. Anahita, par exemple. Inspirée d’une déesse fluviale, issue à la fois de mythes perses et indiens, figure incarnée d’un courant d’eau. Dans certaines légendes, elle est vêtue de trois cents castors. Ce détail mythologique l’a touchée. Il résonne avec une conscience écologique vive, nourrie de lectures, de rencontres, de constats. Elle rappelle l’importance écologique du castor, trop longtemps ignoré, et les efforts de certains pour favoriser son retour.

Un or vivant dans la matière
Cette attention portée aux nuances, aux écarts subtils, se retrouve aussi dans le traitement formel. Les rehauts dorés, les touches brillantes, les contrastes entre le bleu du cyanotype et les teintes orangées de certaines figures, évoquent une dimension quasi sacrée. Elle y voit une filiation instinctive avec les icônes, les peintures votives, sans jamais la revendiquer. C’est un clin d’œil, un langage de la matière, plus qu’un discours esthétique.
Créer seule, intensément
La résidence à La Source de Bury s’est terminée mi-avril. C’était sa première en création personnelle. Elle avait déjà participé à une autre, en collaboration avec une compagnie de théâtre pour la création de décors, mais cette fois, il s’agissait d’un tout autre engagement : un face-à-face, sans commande, sans contrainte, entièrement livré au geste.
Le bilan, avec un mois de recul, est sans ambiguïté. Elle en garde une profonde satisfaction, autant pour la quantité d’œuvres produites que pour la qualité du temps vécu. Ce qui l’a surprise, c’est sa propre efficacité. Seule, concentrée, sans interférence, elle a découvert une capacité à créer vite, beaucoup, sans forcer. Les idées venaient. Les formes prenaient place. Le doute a été là au départ, bien sûr. Mais dès qu’elle a trouvé sa direction, le travail s’est enchaîné avec une fluidité presque troublante. Le fruit de l’état de flow. Une forme de présence intense à ce que l’on fait, où le temps se suspend, où la création devient un mouvement intérieur continu. Elle en avait déjà entendu parler. Elle l’a expérimenté pleinement là-bas. Et depuis, ce manque commence à se faire sentir. Elle réfléchit à se dégager du temps, sans attendre forcément une autre résidence, pour retrouver cette immersion. Elle a compris que ce rythme-là, ce type d’environnement, produit en elle un engagement rare.
Il y a aussi l’évolution du geste. Avant Bury, le cyanotype faisait déjà partie de sa pratique, mais d’une manière très différente : encadrée, technologique, dépendante d’impressions numériques. Cette fois, elle est revenue aux origines du procédé. Pas de films transparents, pas d’ordinateur : seulement du papier, du soleil et de l’eau, celle de la Cisse. Une version primitive et immédiate, mais plus puissante. Et les dessins, eux aussi, sont venus directement de l’esprit. Pas de modèles, pas de références. Elle a senti qu’elle pouvait désormais créer à partir de ce qu’elle portait déjà.
Ce n’est pas un point d’arrivée, mais un commencement. Elle dit sentir qu’elle est « au début de quelque chose ». Elle connaît sa manière de fonctionner. Elle change souvent de technique. Ce n’est pas de l’instabilité, mais une forme de curiosité active, qui fait rebondir d’un geste à l’autre. Ce travail au cyanotype, enrichi de matières et de pigments, pourrait prendre une direction encore plus dense, plus libre. Elle ne sait pas encore jusqu’où cela la mènera. Mais quelque chose s’est ouvert.

Ce qu’elle retient également, c’est l’écho du public. Elle a ressenti une forme d’accord entre ce qu’elle a voulu exprimer et ce que les autres ont perçu. Et dans ce dialogue silencieux, elle a reconnu une confirmation. Une manière de savoir qu’elle était sur la bonne voie. Une voie mouvante, peut-être, mais ancrée. Une voie qui, comme les poissons dans ses diptyques, suit sa propre direction — parfois solitaire, parfois collective, mais toujours en mouvement.
Instagram de Nïx : instagram.com/nixcrea/