Dans la lumière de la Cisse, Nïx retisse le lien entre l’humain, la faune et la flore

En résidence artistique à La Source de Bury, via Artecisse et un coup de cœur d’Isabel Da Rocha, la plasticienne Nïx – Anaïs Beaucourt de son vrai nom – a vécu deux semaines d’immersion totale dans la création. Loin des contraintes de commande ou de production pédagogique, elle a poursuivi une transformation : passer d’un art référencé et réaliste à une pratique intuitive, libérée, où le geste précède le sens. Entre silence habité, état de flot et surgissement inconscient, cette expérience a été riche.
Quand on demande à Anaïs Beaucourt pourquoi elle a choisi le nom de Nïx, elle répond sans détour : elle ne l’a pas choisi. « Nïx, c’est un surnom qui est venu avec le temps, par mes amis, mes proches. » Si elle le conserve, c’est parce qu’il incarne une forme de filiation affective, un ancrage dans les liens. « J’aime bien être “baptisée” à force de l’expérience, par les gens auxquels je tiens. » Ce prénom d’artiste, qui évoque à l’oreille la déesse grecque de la nuit, trouve un écho inattendu dans sa symbolique. D’autant plus que « Nix » est la neige en latin. « Ce nom vient de quelque chose que je n’ai pas choisi, et pourtant je suis en accord avec les symboliques, les significations que ça peut véhiculer. »

Créer au rythme du vivant
Avant de devenir plasticienne à plein temps, Nïx a connu une autre vie. Elle a longtemps travaillé dans le secteur de la haute joaillerie à Paris. Mais cette activité ne répondait plus à ses besoins profonds. Elle décide alors de rompre avec ce cadre. Ce déménagement se veut existentiel. L’artiste veut désormais un ancrage territorial fort, mais aussi une forme de congruence, en lien avec son rapport au vivant. « J’aimerais dans cette idée reverser une partie de mes revenus à des associations de défense de la vie sauvage. »
Sa résidence à La Source de Bury, au bord de la Cisse, dans un environnement paisible et riche, fait écho à ces engagements. « C’est tellement apaisant. J’ai la porte ouverte en permanence : j’ai les oiseaux, la rivière, je vais dans les bois, je peux cueillir des végétaux… » Elle ne cherche pas à dominer ou à interpréter la nature, mais à entrer en résonance avec elle. Elle dit vouloir « trouver une harmonie entre l’être humain et l’environnement », et ajoute : « L’idée, c’est de s’inspirer de la faune et de la flore de la vallée de la Cisse, ce qui tombe très bien parce que ce sont vraiment mes thèmes de prédilection. »
Cette philosophie de l’attention au vivant ne passe pas par des discours, mais par la pratique. Elle observe, écoute, s’imprègne. Une rencontre matinale avec un renard, au détour d’une balade, donnera naissance à une œuvre. Elle va jusqu’à personnifier certaines entités : « J’ai aussi choisi de personnifier certains phénomènes ou entités, comme l’eau ou la rivière. »

Cyanotypes solaires
Pendant ses deux semaines de résidence, Nïx s’est notamment consacrée à une technique ancienne qu’elle n’avait encore jamais explorée de cette manière : le cyanotype. « C’est un ancêtre de la photo, qui permet de créer, grâce au soleil, des tirages d’une couleur bleu cyan, avec des motifs blancs obtenus en masquant certaines zones. » Ce procédé, inventé au XIXe siècle, lui permet de travailler en lien direct avec la lumière naturelle, les formes végétales, les ombres réelles. Là encore, c’est une manière d’inscrire son geste dans une logique organique, en relation avec le paysage qui l’entoure. Le cyanotype devient un outil poétique de dialogue entre l’humain, le végétal et la lumière solaire.
Le basculement intérieur
Mais ce que cette résidence révèle surtout, c’est une transformation plus profonde. Depuis un an, Nïx a entamé un tournant radical dans sa manière de créer. Elle s’éloigne de la représentation réaliste pour inventer à partir de l’intérieur. « Mon style originel, c’est limite du photoréalisme. Je m’inspirais beaucoup d’images existantes. […] Et je composais mes images à partir de plusieurs images. […] Là, ces derniers temps, j’essaie de beaucoup plus créer d’après ma tête. » Cette décision s’est imposée à elle après s’être blessée à la main. « Je ne pouvais plus trop faire de travaux. Et je me suis mise à créer à fond, en me disant justement : “Je vais m’appuyer que sur le mental.” Je vais être dans des choses beaucoup plus spontanées, sans attente de résultats, sans cette idée d’image définitive dans la tête. »
Elle découvre alors une liberté neuve, et un accès inédit à ce que l’image contient de non verbal. « C’est plus libre, plus spontané. Et du coup, j’ai l’impression de montrer plus de choses de mon inconscient aussi, plus de symbolique. Il y a des choses, je ne sais pas pourquoi ça sort. […] Et je suis assez curieuse, même moi, de voir ce qui vient. »
Le message, c’est l’expérience
Nïx ne cherche pas à transmettre un message explicite. Elle ne théorise pas, elle ne moralise pas. Mais elle exprime avec constance une volonté de cohérence, d’écoute, de transformation. Son message passe donc par la forme, par la matière, par les symboles qui surgissent — sans qu’elle en maîtrise toujours l’origine. Il passe par l’acte même de créer en présence du monde, au milieu des oiseaux, de la rivière, des arbres, et cette fois du silence habité de Bury. Par cette attention aux éléments simples, elle trace une autre voie : ni démonstrative, ni explicative, mais profondément intuitive.

Depuis trois ans, Nïx vit et travaille dans un village du Loir-et-Cher, Les Roches-l’Évêque, entre Vendôme et Montoire. Elle y poursuit une pratique artistique polymorphe, en dessin, peinture, céramique, textile, parfois broderie, parfois sculpture. « Je me définis comme plasticienne parce que je touche un peu à tout. » Si elle enchaîne les sollicitations et les créations, cette résidence à La Source de Bury, dans la commune de Valencisse, est sa première. Et là, l’expérience a fait naître l’œuvre. « Oui, dans ce cas précis, j’ai d’abord expérimenté avant même d’avoir en tête des images achevées. C’est un peu l’inverse de ma manière habituelle de faire. Et je pense que c’est lié au caractère particulier d’une résidence : on dispose d’un temps long, entièrement consacré à la création — même dans les moments où l’on ne produit pas activement, où l’on ne “travaille” pas à proprement parler. Les idées affluent malgré tout. Pour ça, c’était vraiment précieux. » Ce temps long de création, entièrement dédié à l’exploration, n’est pas sans susciter un mélange de joie et de tension. « C’était la première fois pour moi. Et les deux sentiments étaient complètement mêlés : impatience, et anxiété. Parce qu’il y a quand même un attendu de résultats au final, parce qu’il y aura une exposition. » En l’occurrence à Loisirs Loire Valley, à Valloire-sur-Cisse, du 8 au 11 mai 2025 dans le cadre du festival Artecisse. Cette pression, malgré tout, n’a pas bloqué le geste : « Et en fait, c’est arrivé assez naturellement. Je pense que c’est une bonne manière de voir qu’on peut se faire confiance. »
Avec cette spontanéité, elle sort du régime de commande, de contrainte, de pédagogie appliquée — qu’elle assume pleinement par ailleurs, dans ses interventions en milieu scolaire, ou dans la création d’outils comme celui réalisé pour l’association Athéna sur l’évolution de la rivière — pour entrer dans un rapport d’invention pur. « Ce n’est pas la même chose. C’est parfois reposant de créer avec beaucoup de contraintes, parce qu’on se pose beaucoup moins de questions aussi. » La résidence, à l’inverse, la confronte au vide. Il faut choisir. Et dans cette confrontation, une confiance s’installe.

Ce lâcher-prise ouvre l’accès à un état mental particulier d’absorption totale, que certains appellent le “flot”, qu’elle connaît bien. « L’illustration, même la sculpture, ça me met dans un état que j’appelle, et que certains appellent, l’état de flot. C’est presque méditatif, mais c’est en pleine conscience quand même. On peut passer des heures sans s’en rendre compte, dans une forme de pleine sérénité, de parfait bien-être. »
Au terme de ces deux semaines de résidence, Nïx ne repart pas seulement avec des œuvres : elle repart avec une expérience : créer à partir de soi, sans modèle, sans plan, sans filet. Et faire confiance à ce qui vient. Le geste n’a pas toujours besoin d’être justifié pour être juste. Loin des impératifs de la commande, elle a trouvé dans ce temps suspendu un espace pour renouer avec une création plus instinctive, plus symbolique, où l’inconscient affleure et la nature s’invite à chaque étape du processus. Ce n’est pas un retrait du monde : c’est une façon de s’y relier autrement. Par le silence, par l’observation, par l’immersion lente. Par des cyanotypes solaires. Par un renard traversant un chemin. Présence au vivant, présence à soi. Une manière d’habiter le monde sans bruit, sans posture, sans surplomb. Juste assez proche pour l’écouter. Juste assez éloignée pour le laisser respirer.
Sur Instagram : nixcrea – site : nixcreation.com