Nucléaire et transparence : à Blois, une mobilisation pour exiger un vrai débat

Samedi 15 mars 2025, un petit groupe s’est rassemblé en bas de l’escalier Denis-Papin, à Blois, pour sensibiliser le public à la question du nucléaire quatorze ans après Fukushima. Parmi eux, Didier Narbeburu, militant de l’association Sortir du Nucléaire 41, qui souligne l’importance rappeler cet accident au Japon. La mobilisation, modeste mais déterminée, entend rappeler que le risque nucléaire n’est pas une abstraction et qu’il concerne directement la société française, alors que la politique énergétique du pays semble aujourd’hui aller dans le sens d’un développement accéléré de l’atome.
Didier Narbeburu insiste : « Un accident est toujours possible. C’est officiellement reconnu. Cela a été nié pendant des années par les autorités, mais aujourd’hui plus personne ne peut prétendre le contraire. » La catastrophe de Fukushima en est la preuve la plus évidente. « C’est très symbolique, parce que le Japon est un pays très développé, qui se croyait protégé. Et finalement, la nature l’a rattrapé. »
À ses yeux, cette catastrophe a révélé une faillite plus profonde : celle d’un certain aveuglement technologique. Il évoque ces bornes anciennes, disposées sur les coteaux bordant la plaine côtière japonaise, marquées d’avertissements adressés aux générations futures : ne pas bâtir d’infrastructures durables sur ces terres vulnérables aux tsunamis. « Et cette sagesse des anciens, personne n’en a tenu compte », constate-t-il.
La question se pose ailleurs. En France, par exemple, où des centrales sont implantées en zone inondable, notamment celle de Saint-Laurent-des-Eaux, sur les rives de la Loire. « Beaucoup de centrales sont en zone inondable, parce qu’elles ont besoin d’eau en quantité industrielle. » Un constat qui, selon lui, révèle une même logique : « Le technosolutionnisme, c’est cette idée que la technique va tout résoudre. Mais on ne prend pas en compte les connaissances anciennes. »
Un débat verrouillé sur le nucléaire
À Fukushima, la question des eaux contaminées reste un problème majeur. Depuis plusieurs mois, l’exploitant TEPCO rejette en mer l’eau ayant servi à refroidir les réacteurs endommagés. Filtrée par le système ALPS, elle contient néanmoins du tritium, un isotope de l’hydrogène que la technologie actuelle ne permet pas de confiner. Didier Narbeburu ne mâche pas ses mots : « Ils ne peuvent plus la stocker. Ils ne peuvent pas la garder. Alors ils la relâchent en mer, avec l’accord de l’Agence internationale de l’énergie atomique. »
La France, rappelle-t-il, n’est pas étrangère à ces pratiques. « À La Hague, on rejette du tritium en quantité dans la mer. Ici, en Loire, on en relâche régulièrement dans l’eau. » Ce point précis l’inquiète particulièrement. Car, si le tritium est souvent présenté comme inoffensif en raison de sa courte demi-vie radioactive, « c’est un postulat, pas un fait scientifique établi ». Il cite la CRIIRAD, un laboratoire indépendant, qui conteste l’idée d’un seuil d’innocuité pour cet élément. « C’est tout le débat, mais c’est ça le problème du nucléaire : c’est un sujet immense, très vaste. » Un autre sujet, moins visible, l’alerte également : l’absence d’études épidémiologiques approfondies sur l’impact sanitaire des rejets radioactifs. Santé publique France mène actuellement une grande étude nationale sur les bassins industriels. « Mais quand on regarde la cartographie, on voit une exception : les abords des centrales nucléaires ne sont pas étudiés. » Il estime que cette absence de données est problématique. « Il existe des registres des cancers dans plusieurs régions, notamment dans le nord de la France. Mais le long des cours d’eau où se trouvent certaines de nos centrales, il n’y en a pas. Pourquoi ? Qu’est-ce qui empêche d’observer finement les pathologies dans ces zones ? »
Un enjeu de transparence
Cette exception nucléaire se retrouve dans d’autres domaines, notamment dans la gestion de l’eau. Il évoque le SDAGE, le Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, un document stratégique mis à jour tous les cinq à six ans. « Il est censé veiller à la qualité de l’eau, mais le nucléaire y est quasiment absent. »
Face à cette situation, Didier Narbeburu plaide pour une transparence accrue. « Nous avons le droit, en tant que citoyens, d’exiger des études indépendantes, menées en toute neutralité. » Il regrette le manque de débat sur ces questions, alors même que la France s’apprête à relancer un vaste programme nucléaire. « On veut relancer le nucléaire, on veut mettre des petites centrales un peu partout. Très bien. Mais avant d’aller plus loin, faisons un vrai bilan. Un bilan sérieux. » Son constat est sans appel : « Il n’y a plus de débat sur le nucléaire. On nous dit que c’est non carboné, donc que c’est super. On n’en parle plus. »
Pour lui, l’énergie devrait être considérée comme un bien commun, et non être accaparée par des logiques partisanes. « Le nucléaire n’est ni de droite ni de gauche, comme l’eau potable d’ailleurs. » Et d’ajouter, en guise de conclusion : « Quand un sujet est verrouillé politiquement, cela empêche le progrès. Parce que le vrai progrès, c’est d’évaluer les choses et d’adapter nos stratégies en conséquence. »
Fukushima, quatorze ans après : un chantier titanesque et des questions sans réponse
La situation à Fukushima demeure un sujet de préoccupation internationale. Quatorze ans après la catastrophe du 11 mars 2011, la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi reste un immense chantier de démantèlement dont l’issue semble encore incertaine.
En novembre 2024, pour la première fois, TEPCO a réussi à extraire un échantillon de combustible fondu du réacteur numéro 2. Une quantité minuscule – 0,7 gramme – qui a été transportée dans un laboratoire de l’Agence japonaise de l’énergie atomique pour analyse. Cette avancée est symbolique, car elle marque la première tentative concrète d’extraction des 880 tonnes de corium encore présentes dans les trois réacteurs accidentés. Mais elle illustre aussi la lenteur et la complexité des opérations. Ce premier prélèvement aurait dû avoir lieu en 2021, mais les retards dans le développement des équipements ont repoussé l’échéance.
Le calendrier des extractions futures dépendra des résultats de l’analyse de cet échantillon. Cependant, le démantèlement total de la centrale pourrait s’étendre sur plusieurs décennies, voire un siècle, en raison des niveaux de radioactivité extrêmes qui rendent toute intervention humaine impossible sans assistance robotisée.
Les eaux contaminées, un problème sans solution immédiate
Parallèlement, la gestion des eaux contaminées continue de faire débat. Chaque jour, la centrale produit de nouveaux volumes d’eau radioactive, utilisés pour refroidir le combustible fondu. Cette eau est traitée par le système ALPS (Advanced Liquid Processing System) afin d’éliminer la majorité des radionucléides. Mais une substance reste impossible à filtrer efficacement : le tritium.
Depuis 2023, TEPCO procède à des rejets contrôlés de cette eau traitée dans l’océan Pacifique. Entre janvier et novembre 2024, 78 285 tonnes ont déjà été déversées. L’opération, qui devrait s’étaler sur au moins vingt ans, est réalisée sous la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et avec l’aval du gouvernement japonais. Tokyo assure que les concentrations de tritium sont bien en deçà des seuils réglementaires internationaux, mais la décision a suscité une vive opposition, notamment en Chine et en Corée du Sud.
Face à ces craintes, le Japon et la Chine ont convenu, en septembre 2024, d’un dispositif de surveillance commun. Pékin pourrait ainsi reprendre progressivement ses importations de produits de la mer japonais, suspendues après le début des rejets.
Un retour à la normale très limité dans les zones évacuées
Dans les environs de la centrale, les opérations de décontamination se poursuivent, mais leur efficacité reste relative. Certaines zones restent interdites d’accès, notamment dans sept municipalités voisines. D’autres, qualifiées de « zones à reconstruire et à redynamiser prioritairement », ont été partiellement réouvertes à la population à partir de 2022. En mai 2023, les autorités japonaises ont levé de nouvelles restrictions, permettant à davantage d’anciens résidents de revenir.
Mais le retour est loin d’être massif. Les infrastructures ont été reconstruites dans plusieurs communes, comme Ōkuma ou Futaba, mais la plupart des habitants n’ont pas souhaité s’y réinstaller. L’ordre d’évacuation de Futaba n’a été levé qu’en août 2022, faisant de ses habitants les derniers à pouvoir regagner leurs foyers. En mai 2024, un événement symbolique a marqué la ville : pour la première fois depuis quatorze ans, les cavaliers du festival de Sōma Nomaoi ont paradé à nouveau dans les rues, renouant avec une tradition locale ancestrale.
Le gouvernement japonais continue de planifier l’avenir des terres encore contaminées. En décembre 2024, une réunion ministérielle a acté l’élaboration d’un premier plan d’action pour gérer ces sols, avec un objectif de traitement avant mars 2045. Mais le défi reste immense, tant du point de vue environnemental que social.
Une relance du nucléaire malgré les controverses
Malgré Fukushima, le Japon a relancé plusieurs réacteurs nucléaires, arguant de la nécessité de réduire sa dépendance aux énergies fossiles et d’assurer sa sécurité énergétique. En octobre 2024, treize ans et sept mois après l’accident, le réacteur numéro 2 de la centrale d’Onagawa a redémarré. Le mois suivant, la Haute Cour de Sendai a rejeté une action en justice intentée par des résidents qui demandaient l’arrêt de cette installation, estimant que le plan d’évacuation en cas d’accident était insuffisant.
Les conséquences judiciaires de Fukushima continuent également de se faire sentir. En décembre 2024, la Haute Cour d’Osaka a cassé un jugement qui, en première instance, reconnaissait la responsabilité conjointe du gouvernement et de TEPCO dans la catastrophe. La nouvelle décision dégageait l’État de toute culpabilité et condamnait uniquement TEPCO à verser plus de 100 millions de yens (environ 630 000 euros) d’indemnisation aux 166 plaignants.
Quatorze ans après l’un des pires accidents nucléaires de l’histoire, Fukushima reste un site sous haute surveillance, où chaque avancée semble révéler l’ampleur du chemin qu’il reste encore à parcourir.