Pourquoi « canicule » signifie-t-il « petite chienne » ?

Parmi les mots de la langue française qui suscitent la surprise lorsqu’on en sonde les racines, canicule tient une place de choix. Employé pour désigner les épisodes de fortes chaleurs estivales, ce terme évoque à première vue une notion strictement météorologique. Pourtant, son origine est résolument astronomique, et remonte aux croyances savantes de l’Antiquité gréco-romaine. Une “petite chienne”, un ciel d’été embrasé, et une étoile à l’éclat redouté s’y entrelacent dans une filiation que le langage courant a depuis longtemps oubliée.
Une étymologie latine à l’ombre de Sirius
Le mot canicule provient du latin canicula, diminutif de canis, qui signifie littéralement « petite chienne ». Ce terme ne faisait pas référence à un animal domestique, mais à une étoile précise : Sirius, l’astre le plus lumineux de la voûte céleste après le Soleil. Située dans la constellation du Grand Chien (Canis Major), Sirius était surnommée Canicula par les Romains, qui l’avaient héritée des Grecs (Σείριος, Seirios, « l’ardent »).
À Rome comme à Alexandrie, les savants observaient depuis longtemps que Sirius effectuait son lever héliaque — sa première réapparition visible à l’aube après sa conjonction avec le Soleil — à la fin du mois de juillet, au cœur des plus grandes chaleurs. Cette coïncidence apparente entre la présence de Sirius à l’aube et l’âpreté du climat a conduit les Anciens à attribuer à l’étoile une influence malfaisante, un pouvoir d’embrasement qui viendrait s’ajouter à celui du Soleil. On entrait alors dans ce que les textes appellent les dies caniculares : les jours de la Canicule.
Une croyance astronomique, médicale et poétique
Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien consigne cette tradition qui associait la montée de Sirius à des désordres physiologiques et climatiques : « le lever de Sirius est brûlant et pernicieux, nuisible aux hommes, aux bêtes et aux plantes ». Le phénomène est d’ailleurs largement repris dans la médecine hippocratique : on considérait que cette période rendait le corps plus vulnérable aux fièvres, aux épidémies, aux maladies de peau.
Chez les poètes, Sirius devient un personnage en soi. Virgile, dans Les Géorgiques, le décrit comme l’étoile ardente du Grand Chien, dont l’apparition met la terre en feu et pousse les hommes à fuir le travail des champs : « Et Sirius ardent dessèche les herbes et les moissons mûres ». Dans l’imaginaire romain, la Canicule n’est donc pas qu’un mot : c’est un temps redouté, lié à l’observation du ciel, aux mythes cosmiques, à la santé publique, et au rythme du travail agricole.
Du ciel au climat : la sédimentation d’un mot
À partir du Moyen Âge, alors que les connaissances astronomiques se recomposent et que le lien entre le lever de Sirius et les températures perd de son évidence scientifique, le mot canicule demeure dans la langue. Il entre en français au XVIe siècle, conservant le souvenir des dies caniculares, mais débarrassé de son ancrage astronomique.
La canicule devient alors un phénomène météorologique, désignant les périodes de chaleur intense et prolongée, notamment en été. Ce sens s’impose progressivement, jusqu’à se fixer durablement dans la langue administrative, médiatique et populaire au XXe siècle. Le lexique médical continue toutefois de mentionner cette référence aux jours caniculaires dans des contextes de vigilance sanitaire.
Aujourd’hui, canicule ne renvoie plus qu’à des critères techniques : plusieurs jours consécutifs où les températures diurnes et nocturnes dépassent certains seuils (par exemple 35°C le jour et 20°C la nuit en plaine). L’étoile Sirius, pourtant à l’origine du mot, ne scintille plus que dans les marges d’un dictionnaire étymologique.