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« Saltimbanques », ou comment abolir la scène pour faire surgir le vivant

Il y avait bien une scène. Une estrade, un fond noir, des projecteurs : tous les signes d’un espace théâtral conventionnel étaient là, ce vendredi soir à l’Espace Beaumont de Chémery. Et pourtant, rien ne s’est déroulé comme dans un théâtre classique. Dès les premières minutes, Saltimbanques a opéré un subtil renversement : les rôles, les espaces, les regards — tout s’est déplacé. Ce que le duo formé par Audrey Lange et Bruno Bianchi propose, ce n’est pas un spectacle posé sur un plateau, mais une rencontre, un cercle dans lequel le public, invité à tirer des cartes et recevoir des objets, entre dans la ronde des récits. Le rideau, tendu entre deux montants dorés, n’est pas un rideau de coulisse mais une toile symbolique : celle d’un chapiteau imaginaire. L’espace est structuré par le tapis, les objets, le regard, et non par l’estrade.

Assise sur le bord, debout face à nous, accroupie ou retirée, Audrey Lange module sa voix, son corps, ses costumes pour faire surgir les portraits d’artistes qu’elle incarne. Tantôt diseuse de bonne aventure, tantôt femme à barbe enfantine, tantôt soldat couvert d’une toile de camouflage, elle passe d’un personnage à l’autre comme on passe d’un rêve à un autre — sans rupture ni chute. Bruno Bianchi, chapeau haut-de-forme vissé sur la tête, suit de près. Il joue en direct, entouré d’un bric-à-brac électroacoustique : gramophone, boîtes, tuyaux, instruments bricolés. Mais il ne commente jamais. Il respire avec. La scène est là, mais elle est retournée, comme un gant.

Saltimbanques

Brouiller les frontières

Cette bascule scénographique reflète l’essence même du spectacle. Saltimbanques est né d’un poème de Josette Pédelaborde, La Frontière et la Destinée, qui évoquait les vertiges intérieurs d’un funambule. Ce texte, découvert par Audrey Lange lors du Printemps des Poètes 2023, a été le point de départ d’un compagnonnage épistolaire. Sans jamais se rencontrer physiquement, l’autrice et la comédienne ont tissé ensemble une galerie de figures : saltimbanques de foire, artistes oubliés, créatures hybrides. « On a tricoté à deux mains, dit Audrey Lange. Elle proposait des personnages, je précisais des intentions, et elle écrivait en écho. »

Chaque tableau est associé à une carte, à un objet, remis à un spectateur. Ainsi il devient dépositaire d’un fragment du spectacle, parfois même d’un message. Ce geste simple — donner un objet — renverse le rôle passif du public, et installe une autre dynamique : plus proche, plus directe, presque rituelle.

Saltimbanques
Audrey Lange dans Saltimbanques

Une poétique de la proximité

Tout dans Saltimbanques repose sur la proximité. Physique d’abord — il n’y a plus de rampe, plus de gradin, plus de séparation entre scène et salle — mais aussi émotionnelle. Le musicien et la comédienne ne se cachent pas derrière une technique ou un quatrième mur. Ils assument l’imperfection, les petits ratés, les « accidents heureux », comme les appelle Bruno Bianchi. Un bruit de sabot surgit par hasard ? Il devient signe. Un frottement incongru ? Il devient évocation. Le son ne suit pas le texte, il le provoque, ou le précède.

Ce n’est pas un théâtre spectaculaire. C’est un théâtre évocatoire. Il travaille moins sur l’effet que sur l’empreinte. Il ne cherche pas à représenter, mais à transmettre, une vibration, une faille, une mélodie intérieure. C’est pourquoi la mise en scène, si elle semble dépouillée, est en réalité extrêmement précise : tout y est agencé pour que l’illusion tienne — non celle d’un monde fictif, mais celle d’une intimité retrouvée.

Saltimbanques

Un cirque de l’âme

Le pari de ce spectacle tient dans sa capacité à mobiliser les imaginaires. Les personnages, nés d’une poésie rimée, deviennent à travers le corps d’Audrey Lange des archétypes mouvants. Ils habitent un espace. Et cet espace, qu’il soit scène ou pas, devient celui d’un cirque mental, où les figures anciennes dialoguent avec nos vulnérabilités d’aujourd’hui.

Saltimbanques

Saltimbanques a été conçu pour être joué dans des lieux multiples : théâtres, salles municipales, granges, jardins, médiathèques, écoles, lieux de soin, voire chez l’habitant. L’équipe s’est d’ailleurs inscrite sur Hormur, plateforme de diffusion alternative, pour faire circuler le spectacle hors des circuits institutionnels. « On est encore en période de rodage, dit Audrey Lange. Le contact direct avec des petits publics nous permet de tester, d’éprouver. » On aimerait qu’il reste ainsi : léger, fragile, mouvant, humble. Et en même temps d’une force évocatrice, portée par la beauté des textes, la justesse du jeu et la générosité de la présence.

Prochaines dates de Saltimbanques :

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