Sirāt et Connemara aux Lobis : les choix de Laëtitia Scherier

Chaque lundi, Blois Capitale donne carte blanche à Laëtitia Scherier, directrice du cinéma Les Lobis. Après Valeur sentimentale de Joachim Trier et Chroniques d’Haïfa de Scandar Copti, elle présente cette semaine son nouveau coup de cœur : Sirāt d’Oliver Laxe, aux côtés de deux autres sorties, Connemara d’Alex Lutz et l’avant-première du film palestinien Put Your Soul on Your End and Walk.
Sirāt, une expérience sensorielle et spirituelle
« Mon gros coup de cœur cette semaine, c’est Sirāt », annonce Laëtitia Scherier. Réalisé par Oliver Laxe, cinéaste franco-espagnol dont plusieurs films ont déjà été programmés aux Lobis, il s’agit de son quatrième long métrage, présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2025.
« J’étais en projection dans la grande salle à Cannes, raconte-t-elle. Tout le monde est ressorti un peu abasourdi en se demandant : qu’est-ce qu’on vient de voir ? Parce que c’est un film imprévisible, très vivant, voulu comme une expérience sensorielle immersive. Et en plus, ça se passe dans un lieu qu’on n’a pas toujours l’habitude de voir au cinéma : les montagnes du sud du Maroc. »

Sirāt suit un père parti à la recherche de sa fille disparue. Accompagné de son jeune fils et d’un groupe de marginaux adeptes de rave party, il s’enfonce dans un désert brûlant, apocalyptique. « Le postulat est simple — un père à la recherche de sa fille — mais il y a une dimension biblique », souligne la programmatrice. « Après Cannes, certains ont qualifié le film d’odyssée. Je suis assez d’accord. Le titre veut dire littéralement : “chemin entre l’enfer et le paradis”. Ça dit déjà beaucoup sur ce que va vivre le personnage. »
La mise en scène renforce l’impression de quête initiatique. « On a l’impression d’Ulysse qui tente d’aller de son point A à son point B, mais avec le monde entier contre lui. » Tourné en 16 mm, le film conserve un grain brut et granuleux. « Comme le personnage marche dans le désert, on a l’impression qu’il est dans la poussière pendant deux heures. C’était très pertinent de tourner en pellicule », ajoute-t-elle.
Présenté comme un « road movie spirituel », le film réunit plusieurs langues — majoritairement l’espagnol, mais aussi du français et d’autres dialogues secondaires — et met en vedette Sergi Lopez dans le rôle principal.
Connemara d’Alex Lutz, entre romance et fracture sociale
Autre sortie de la semaine, Connemara est le quatrième film d’Alex Lutz. « Les spectateurs le connaissent bien. Ses films Guy et Une nuit avaient très bien marché ici. » Mais les critiques à Cannes ont été plus mitigées.
Le film était présenté dans la section Cannes Première, créée après le Covid pour donner une visibilité aux réalisateurs reconnus sans les retenir en compétition. « C’est une manière de permettre aux producteurs et aux réalisateurs français de présenter leur film au festival, même si le sélectionneur estime qu’il n’a pas sa place en compétition. »

Adapté du roman de Nicolas Mathieu publié en 2022, le film met en scène Mélanie Thierry et Bastien Bouillon. « Ils sont excellents dans leurs rôles. On est sur des thématiques du désir, de l’angoisse du temps perdu, mais aussi de la fracture sociale. Les deux personnages principaux ne viennent pas du même milieu, et leur romance en porte la trace. »
Laëtitia Scherier souligne la portée du film : « L’histoire parlera à beaucoup de spectateurs. Elle aborde aussi le rapport au travail : le personnage de Mélanie Thierry commence par un burn-out, un épuisement professionnel qui touche de plus en plus de gens. Cela la pousse à remettre en question ses choix de vie et à trouver, dans cette romance, une échappatoire. » Elle reconnaît toutefois : « J’ai trouvé ça très beau, mais un peu plus classique que ses précédents films. Ce n’est pas la claque de Sirāt, mais ça reste un film touchant et réaliste. Je n’ai aucune inquiétude : les spectateurs seront au rendez-vous, fidèles au travail d’Alex Lutz. »
Une avant-première palestinienne attendue
Les Lobis accueilleront mardi prochain l’avant-première du film palestinien Put Your Soul on Your Hand and Walk, suivie d’un ciné-débat avec l’association France Palestine 41.
« Le film était en sélection à Cannes et aussi retenu par l’ACID, l’Association pour le cinéma indépendant et sa diffusion », précise la directrice. « Il a suscité une grande émotion à Cannes. La réalisatrice avait travaillé avec une photojournaliste palestinienne de Gaza. Elles organisaient sa venue à Cannes, mais en avril, un drone a attaqué son immeuble et elle est décédée. La projection a été marquée par une énorme émotion. C’est un film attendu, et j’espère que ce sera une belle avant-première. »

Enfin, Les Lobis poursuivent leur collaboration avec la Halle aux Grains, scène nationale. Une fois par mois, une séance unique est organisée en écho à un spectacle. Ce dimanche 14 septembre à 14 heures, c’est L’Illusionniste de Sylvain Chomet, le réalisateur des Triplettes de Belleville. Inspiré d’un scénario inachevé de Jacques Tati, confié par sa sœur, le film met en scène un personnage qui reprend sa silhouette et sa démarche reconnaissables. « L’action se situe dans les années 1950, entre la fin programmée du music-hall et l’arrivée du rock’n’roll », rappelle Laëtitia Scherier. La séance, prévue en lien avec le spectacle Dérapage (lire ici), proposera au public un « très beau film d’animation, accessible à partir de 10 ans ».
A noter dans votre agenda, une soirée exceptionnelle avec Michel Hazanavicius !
Dans le cadre des Rendez-Vous de l’Histoire, Les Lobis organisent le vendredi 10 octobre à 20h30 une soirée “Double Dose” avec la projection de OSS 117 : Rio ne répond plus et La Classe américaine : Le Grand Détournement. La soirée sera présentée par Michel Hazanavicius, lui-même.
Pour en savoir plus : blois-les-lobis.cap-cine.fr