« Vue Intérieure » de Vegouz : les regards qui surgissent

À Blois, dans les murs de L’Hôte Bureau, Jean-Baptiste Dumont, connu sous le nom de Vegouz, expose une série de portraits rassemblés sous le titre Vue Intérieure. Des visages, des yeux, des silhouettes féminines ou féminisées, qui semblent à la fois proches et insaisissables. L’exposition se déroule jusqu’au 25 octobre 2025 et s’inscrit dans une démarche personnelle, revendiquée comme autonome, que l’artiste nous explique dans un entretien au long cours.

Le pseudonyme « Vegouz, c’est une longue histoire », nous confie Jean-Baptiste. Le nom vient d’un personnage de jeu vidéo, Vega. Un nom qui lui était donné. « Mes amis croyaient vraiment que je m’appelais Vega ! Certains ont décliné ça en Vegouz, je ne sais pas pourquoi. Du coup je l’ai préservé, en pensant à eux. Et aussi parce que c’était assez original. »
Autodidaxie et méfiance des écoles
Le parcours de Vegouz se définit d’abord par un refus : celui de l’enseignement académique. « Je suis autodidacte. J’ai fait le choix très tôt de ne pas aller en école d’art. À ce moment-là, c’était peut-être conscient, peut-être inconscient, mais j’avais peur et je n’avais pas envie qu’on m’impose une quelconque culture ou une quelconque méthode. » Pourtant, il se souvient avoir toujours dessiné : « J’ai dessiné avant de savoir marcher, avant de savoir écrire. » L’école d’art lui semblait menaçante : « Jusque-là, c’était un amusement, quelque chose de personnel. Rentrer dans une école où l’on ne fait que ça, ça me faisait peur. »
Son chemin passe alors par d’autres voies : artisanat, poterie, communication, puis jeu vidéo et bande dessinée. « Mon truc a toujours été d’explorer, de faire des découvertes, d’apprendre en profondeur sur différents sujets. » Les études en graphisme, en gestion, en design viennent enrichir ce parcours sans le détourner de son indépendance : « Mon plaisir a toujours été de garder pour moi cet univers créatif, cet univers personnel, cette patte. Qu’on ne me l’impose pas. »
Ce rejet des codes institutionnels s’accompagne d’une critique : « Tout ce que je voyais sortir des écoles d’art, je ne trouvais pas ça intéressant. Ce qui m’intéressait, c’était vraiment ce qui était à ma portée. Le cinéma, la bande dessinée. Je considère ça comme des arts majeurs. »
La rapidité comme méthode
Dans son travail actuel, la vitesse n’est pas un détail, mais une nécessité. « J’essaie d’aller le plus vite possible, de ne pas me perdre dans mes idées, de garder les émotions primaires et surtout de ne pas penser. » L’outil varie selon l’émotion : crayon, posca, acrylique, couteau, pinceau. « Quand j’ai une idée, une émotion, j’essaie de trouver le média. Souvent c’est le crayon dans le calepin. Quand j’ai commencé à le faire sur la toile, c’était différent : il s’agissait de montrer, pas seulement de garder pour soi. »

Crédit : Vegouz
Le regard naît immédiatement : « Je commence par les yeux, et rien qu’avec les yeux, j’ai tout de suite une personnalité, une émotion. Ensuite, je soutiens un peu avec le visage, le nez, la coupe de cheveux, les vêtements, pour muscler, donner de l’épaisseur. » Le temps passé importe peu. « L’idée, c’est de ne pas voir la différence entre celles qui m’ont pris quelques minutes et celles qui m’ont pris une journée. Ce n’est pas la valeur du temps qui compte, c’est le résultat. »

L’homogénéisation et la nuance
Ses toiles se ressemblent et cette ressemblance est volontaire : « Plus ça va, plus je tends vers une homogénéisation, pour que la confrontation entre chacune se voie. Si elles étaient très différentes, on les comparerait sur le style. Là, elles sont proches et, tout de suite, les personnalités sautent aux yeux. » Ce choix permet de mettre en valeur « ces petits détails qui changent sur chacune pour mettre en valeur chacune des personnalités ». Les yeux, fins, parfois presque invisibles, jouent avec la distance : « De loin, on croit qu’ils sont fermés ou blancs. C’est seulement en s’approchant qu’on se rend compte qu’elle nous regarde. »

Héritages et filiations
Vegouz revendique un héritage de la culture populaire. « J’ai appris en recopiant les mangas, les peintures, les films, les animés. » Il parle de « passion », d’« admiration pour les dessinateurs », pour « la ligne claire, le dessin en général, la pop culture en général ». Son exposition est aussi « un hommage au sentiment féminin » et « un hommage à la ligne claire, au dessin pur ». La peinture n’est pas absente pour autant.

À propos de Vue Intérieure, la question du féminin surgit. « Ce n’est pas forcément des femmes que je représente, mais un genre. Peut-être la matérialisation de la recherche de féminité chez moi ou chez les autres. » Il assume aussi une dimension personnelle : « J’ai le sentiment d’être très à l’aise avec mon moi féminin, mais continuer à l’explorer me paraît pertinent, peut-être même plus pertinent que mon moi masculin. »
Rencontres et oublis
Chaque portrait est une rencontre. « C’est même systématiquement une rencontre. Je commence par les yeux et peu à peu, je rencontre la personne. Une fois qu’elle semble stable, je l’oublie le plus vite possible et je passe à une autre. » Cet oubli n’efface pas la découverte : « C’est comme des amis imaginaires que je découvre. Et puis j’en découvre d’autres. Ça va à l’infini. » Dans le geste, il y a une discipline : « Quand je travaille, je pense le moins possible. Il ne faut pas que je sois parasité ni par mes idées, ni par ma technique. Ça doit être l’émotion pure. Sinon, je sais que ça va être raté. »
Ainsi se dessine Vue Intérieure. Une série homogène, faite d’élans rapides, de regards surgis, de féminités possibles. Une œuvre qui préfère l’émotion à la réflexion, la fulgurance à la maîtrise, la proximité au code. Vegouz y assume la solitude de son geste, mais aussi la nécessité du partage. Chaque portrait est une rencontre, chaque rencontre est aussitôt oubliée — pour que l’émotion reste vive, toujours prête à revenir.
L’Instagram de Vegouz : instagram.com/vegouz/