Un simple accident, Cervantès et Météors aux Lobis : l’œil de Laëtitia Scherier

Chaque lundi, Blois Capitale donne carte blanche à Laëtitia Scherier, directrice du cinéma Les Lobis. Cette semaine, elle revient sur trois sorties majeures : la Palme d’or 2025 Un simple accident de Jafar Panahi, le drame historique Cervantès avant Don Quichotte d’Alejandro Amenábar, et l’avant-première de Météors deuxième long métrage très attendu d’Hubert Charuel. À l’affiche également : une séance unique de La Strada de Fellini, une soirée horreur avec Exit 8 et Silent Hill, et la poursuite des projections pour le jeune public avec Shaun le mouton.
Un simple accident de Jafar Panahi : la Palme d’or en lice pour l’Oscar
Dès mardi, les Lobis accueilleront la sortie nationale d’Un simple accident, Palme d’or 2025. Douzième long métrage de Jafar Panahi, cinéaste iranien emblématique, plusieurs fois emprisonné et interdit de tournage, le film poursuivra désormais sa trajectoire mondiale : il a été choisi pour représenter la France à l’Oscar du meilleur film international.
« Comme toujours, il critique très violemment son gouvernement. En Iran, tout scénario doit être soumis et validé par les autorités. Lui refuse, donc il tourne illégalement, en petite équipe, caméra et moniteurs dissimulés dans un fourgon. » Certains de ses films, sortis clandestinement, ont franchi les frontières sur une simple clé USB.

Un simple accident met en scène un homme persuadé de croiser son ancien tortionnaire. À travers cette rencontre, Jafar Panahi interroge le spectateur : faut-il se faire justice soi-même ? Et, depuis l’Europe, sommes-nous légitimes à juger de ce que nous n’avons pas vécu ? Ses personnages sont fictionnels, mais nourris des récits entendus en prison : des voix restées derrière les barreaux, privées de la visibilité dont bénéficie Jafar Panahi.
Pour Laëtitia Scherier, la Palme d’or n’est pas seulement un geste de soutien : « Jafar Panahi est un grand cinéaste. Son film est fort. La récompense est à la fois artistique et politique, et donc pleinement justifiée. »
Cervantès avant Don Quichotte : l’imaginaire en captivité
Deuxième sortie nationale : Cervantès avant Don Quichotte, d’Alejandro Amenábar, huitième long métrage du cinéaste hispano-chilien. Déjà récompensé aux Oscars et habitué des Goya, Amenábar s’empare cette fois de la vie de Miguel de Cervantès, avant l’écriture de son chef-d’œuvre universel, Don Quichotte, vendu à près de 500 millions d’exemplaires et traduit dans plus de 145 langues.
Le film nous ramène à la fin du XVIe siècle. Cervantès, blessé à la guerre et rendu infirme d’un bras, est capturé par des corsaires puis emprisonné cinq années durant à Alger. Dans l’attente d’une rançon incertaine, il cherche un refuge contre la folie : il écrit, invente des récits, transforme la dureté du réel en fabulations capables de redonner espoir. Ses histoires captivent ses codétenus, mais aussi son propre geôlier, avec qui il noue une relation ambiguë.

« Le film met en avant la fonction salvatrice de l’imaginaire dans l’adversité », souligne Laëtitia Scherier. « Cervantès trouve une échappatoire dans l’écriture, mais aussi une forme d’acte de résistance, puisqu’il refuse d’édulcorer ses récits au risque de déplaire et de mourir. »
La réalisation impressionne par sa beauté visuelle. Tourné notamment dans le somptueux palais de l’Alcázar de Séville et ses jardins, Cervantès avant Don Quichotte plonge le spectateur dans une architecture marquée par l’influence d’Afrique du Nord. « On a vraiment l’impression d’être dans un palais des Mille et une Nuits. Les décors et costumes sont extrêmement convaincants », ajoute Laëtitia. Mais la réussite du film ne se limite pas à sa reconstitution. Elle tient aussi à son rythme, à son souffle romanesque. « C’est un biopic très prenant, je n’ai pas vu le temps passer. » À travers l’incarcération, Amenábar dessine un portrait de Cervantès encore méconnu, révélant combien ses années de captivité ont nourri l’écriture du Don Quichotte.
Laëtitia Scherier rappelle que le cinéma s’était rarement aventuré sur ce terrain. « Il existe bien quelques téléfilms espagnols, souvent de commande, réalisés pour commémorer des anniversaires, et le film maudit de Terry Gilliam autour de Don Quichotte. Mais aucun grand biopic n’avait vraiment permis de découvrir Cervantès comme personnage, dans son rapport à la liberté et à l’imaginaire. »
Météors d’Hubert Charuel : amitié, dérive et territoire intoxiqué
Mardi prochain, les Lobis accueilleront en avant-première Météors, deuxième long métrage d’Hubert Charuel, sept ans après le succès de Petit Paysan (2018). Réalisateur issu de la Haute-Marne, Charuel revient cette fois sur son territoire natal, Saint-Dizier, pour raconter la jeunesse à la dérive d’une petite ville en perte de repères. Le film, coécrit avec Claude Le Pape — déjà scénariste des Combattants et complice d’écriture d’Hubert Charuel depuis ses courts-métrages — met en scène Paul Kircher, dont le visage s’impose désormais dans le cinéma français. « Je pense que les spectateurs commencent à bien l’identifier », souligne Laëtitia Scherier. « Il a déjà tenu des premiers rôles dans Le Lycéen de Christophe Honoré, Le Règne animal ou encore La venue de l’avenir de Cédric Klapisch. »
À travers son personnage, Météors explore l’amitié masculine, la loyauté, mais aussi l’impuissance. « On assiste à la descente aux enfers d’un ami, et on ressent cette impuissance face à lui. Un des personnages incarne presque le spectateur, incapable d’intervenir autrement qu’en observant. »

Le film est profondément ancré dans son territoire, jusqu’à ses conditions de tournage. Certaines scènes ont été filmées près de Reims, sur une ancienne base militaire réaffectée, pour illustrer le site d’enfouissement des déchets nucléaires. « Le réalisateur explique que la Haute-Marne est complètement dépendante économiquement du nucléaire. Le film parle d’un territoire qui s’intoxique pour survivre, à travers les déchets nucléaires comme à travers l’alcool. »
Pour autant, malgré la gravité des thèmes — addictions, précarité, désespoir de la jeunesse — le film garde un équilibre narratif. « C’est ce qui m’a beaucoup marquée : ça croise plein de sujets, mais tout est toujours bien dosé. On ne se dit jamais que ça part dans tous les sens. » Dans cette fresque, l’alcool apparaît comme une échappatoire, symptôme d’un malaise social, tandis que l’enfouissement nucléaire devient une métaphore concrète : celle d’un territoire où la survie s’échange contre une contamination silencieuse. « Le film raconte des jeunes qui cherchent un but à leur vie, dans un environnement où les perspectives sont bouchées. » Laëtitia Scherier conclut : « J’ai beaucoup aimé ce film. C’est à la fois un récit intime et un portrait collectif, qui montre comment un territoire façonne ceux qui y grandissent. »
Fellini, l’onirisme forain de L’Astrada
Dimanche à 14h, projection unique de La Strada de Federico Fellini, en copie restaurée, dans le cadre du partenariat Passerelles avec la Scène nationale. Ce film, qui marque la reconnaissance internationale de Fellini, ouvre une nouvelle voie au cinéma italien, sortant du néo-réalisme pour y introduire une touche onirique. « Même ceux qui ne l’ont jamais vu connaissent sans doute son thème musical de Nino Rota, devenu culte », souligne Laëtitia.
Soirée horreur : Exit 8 et Silent Hill
Vendredi, place à une soirée spéciale films de genre, en partenariat avec l’association La Prochaine Séance. À l’affiche, Exit 8, thriller japonais adapté d’un jeu vidéo, tourné en huis clos dans des couloirs de métro. « Ce n’est pas un film d’horreur au sens strict, mais un film d’ambiance et de tension. J’avais peur du huis clos, mais ça fonctionne très bien. » La soirée se prolongera avec Silent Hill (2006), adaptation culte du jeu vidéo, devenue une référence pour les fans malgré l’accueil mitigé de la critique.
Shaun le mouton et le jeune public
Pour le jeune public, Shaun le mouton poursuit sa quatrième semaine à l’affiche. « Shaun est un personnage identifié par les enfants et leurs parents, issu du studio Aardman, pionnier du stop-motion depuis les années 70. C’est un personnage intergénérationnel, qui marche toujours. »
Pour en savoir plus : blois-les-lobis.cap-cine.fr