Magellan, Los Tigres et Kika : les nouveautés au cinéma les Lobis

Cette semaine du nouvel an, au cinéma Les Lobis, la programmation fait la part belle aux films majoritairement en langue espagnole — une demande récurrente du public. « Pour une fois, on en a plusieurs en même temps », souligne Laëtitia Scherier, la directrice.
La première sortie nationale est Magellan, nouveau film de Lav Diaz, qui signe ici l’un de ses films les plus accessibles sans renier la radicalité de son cinéma. Cinéaste philippin majeur, auteur d’une œuvre singulière et contemplative, Lav Diaz s’attaque à la figure du navigateur portugais Fernand de Magellan dans un drame historique ambitieux. Il s’agit bien d’un biopic — mais d’un biopic vu depuis les Philippines. « C’est un point de vue qui peut surprendre », précise la directrice des Lobis. Lav Diaz revendique depuis longtemps le désir de raconter Magellan non comme un héros des “grandes découvertes”, mais comme l’un des visages du colonialisme européen. L’arrivée de Magellan sur les côtes philippines constitue en effet un événement fondateur, aux conséquences historiques, culturelles et religieuses durables.

Le rôle principal est interprété par Gael García Bernal, acteur incontournable du cinéma hispanophone, vu notamment chez Jim Jarmusch, Michel Gondry ou Pedro Almodóvar. Le film retrace les grandes étapes de l’expédition : le refus initial du Portugal, le soutien de la couronne espagnole, les longs trajets maritimes, les mutineries, les famines, la violence, jusqu’à l’arrivée aux Philippines.
Découpé en plusieurs parties, tourné majoritairement en décors naturels dans les pays traversés, Magellan adopte un rythme méditatif et minimaliste, caractéristique du cinéma de Lav Diaz. « Il déconstruit totalement les récits classiques de l’épopée coloniale », insiste Laëtitia Scherier, en abordant frontalement les questions de pouvoir, de domination et d’évangélisation comme instruments de contrôle. Un film exigeant, mais pour elle, « un très grand film de cinéma ».

Deuxième sortie nationale de la semaine : Los Tigres, thriller espagnol réalisé par Alberto Rodríguez. Neuvième long métrage du cinéaste, le film marque une nouvelle collaboration avec Antonio de la Torre, l’un des acteurs espagnols les plus reconnus, notamment révélé dans Volver d’Almodóvar et déjà présent dans La Isla Mínima (2015).
Los Tigres raconte l’histoire d’un frère et d’une sœur travaillant comme scaphandriers dans un port espagnol traversé par de nombreux cargos. Leur quotidien bascule lorsqu’ils découvrent un important trafic de cocaïne dissimulé sous un navire marchand passant régulièrement. Confrontés à une situation financière désespérée, le frère imagine une solution radicale : voler la marchandise pour s’en sortir.
Le film fonctionne à la fois comme un thriller tendu et comme un portrait social profondément humain. Il met en lumière une profession rarement représentée au cinéma — celle des scaphandriers — pourtant essentielle au fonctionnement du commerce mondial. « On se rend compte à quel point ces travailleurs sont invisibles mais indispensables », note Laëtitia Scherier. Les longues séquences de plongée sous-marine, d’une grande puissance sensorielle, immergent littéralement le spectateur dans ce milieu, accentuant la tension et la dimension morale du récit. Un film qui interroge frontalement la précarité, le désespoir social et les choix que l’on est prêt à faire pour survivre.
Le titre du film trouve son origine dans le surnom donné aux plongeurs : une référence aux tigres de Mompracem, pirates du XIXᵉ siècle, symbole de bravoure, de résistance et de vie en marge des lois établies.

La troisième sortie de la semaine s’inscrit dans le cadre de la séance Ciné’fil du lundi soir : Kika, premier long métrage de fiction de Alexe Poukine. Réalisatrice issue du documentaire (Sans frapper, Sauve qui peut), elle conserve ici un ancrage très fort dans le réel.
Le film suit une assistante sociale, déjà mère, dont la vie bascule après la mort soudaine de son compagnon. En quelques semaines, elle perd son logement, accumule les dettes et se retrouve dans une spirale de précarité. Pour faire face, elle entame une activité de travailleuse du sexe.
Sans jamais tomber dans le misérabilisme, Kika explore la place du corps féminin, la désescalade sociale et les nouvelles formes du travail du sexe contemporain — entre pratiques BDSM, usages des réseaux sociaux et marchandisation contrainte du corps. « Le film commence presque comme une comédie romantique », observe Laëtitia Scherier, avant de glisser progressivement vers un réalisme social dur mais nécessaire. La force du film réside dans sa capacité à rappeler que la précarité peut frapper vite, et que dans notre société, le corps des femmes reste souvent la dernière variable monnayable avant la chute. Un film difficile, mais « très réussi », porté par une actrice principale remarquable.
Enfin, à notre demande, la directrice des Lobis revient brièvement sur la soirée anniversaire des 130 ans des salles de cinéma, organisée dimanche. Une séance largement suivie, et l’occasion de rappeler le rôle essentiel des salles art et essai dans le paysage français.
Malgré une baisse nationale de fréquentation pouvant atteindre 22 %,notamment dans les multiplex, les Lobis limitent la perte à environ 8 %, grâce notamment à une programmation exigeante et à des choix éditoriaux assumés : 98 % de films classés art et essai, bien au-delà du seuil ouvrant droit aux aides. « Une salle de cinéma art et essai doit rester une fenêtre sur le monde », conclut Laëtitia Scherier. « Le cinéma n’est pas seulement du divertissement : c’est une expérience collective, un outil d’ouverture, de réflexion, et de partage. »
>> Horaires et informations : blois-les-lobis.cap-cine.fr


