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À Blois, le 20 mai prochain, les catalogues de démons sous la loupe de Jean-Patrice Boudet

A l’initiative de la Société des Amis du Château et des Musées de Blois, l’historien Jean-Patrice Boudet tiendra une conférence, mardi 20 mai (18h), à l’amphithéâtre Samuel Paty, à Blois, consacrée aux catalogues de démons utilisés par les magiciens du Moyen Âge et de la Renaissance. Un corpus peu connu, à la fois textuel, rituel et marginal, qu’il explore depuis des années via des manuscrits latins parfois très fragmentaires. Ces textes révèlent une autre cartographie du monde invisible, bousculant l’image binaire du Bien et du Mal.


« Ce sont des documents dont l’origine remonte certainement à l’Antiquité », pose d’entrée Jean-Patrice Boudet. Dès les premiers siècles de notre ère, des textes grecs attribués à Salomon font leur apparition. Le Testament de Salomon, notamment, mêle figures démoniaques et astrologie zodiacale. Mais, les catalogues médiévaux sont d’une autre nature : ils ne font plus intervenir le zodiaque et se concentrent sur l’identité des démons, leur organisation, leurs fonctions.

Le spécialiste de l’histoire culturelle et politique de la fin du Moyen âge retrouve leurs premières traces indirectes dans le Liber Introductorius de Michael Scot, encyclopédie composée à la cour de Frédéric II au XIIIe siècle. Michael Scot y évoque l’existence d’un texte traitant des noms, des fonctions, des lieux de résidence des démons, et des ordres angéliques dont ils seraient issus avant leur chute. Une chute qui ne fait pas d’eux de simples opposants à Dieu, mais des esprits mobilisables dans des opérations magiques précises : « on sait que ce sont des anges déchus, en fait, ces démons », commente Jean-Patrice Boudet.

Textes clandestins, pouvoir structurant

Ce n’est qu’à partir du XIVe siècle que les textes apparaissent plus directement, sous forme de catalogues anonymes ou attribués à Salomon — figure biblique investie, dès la fin de l’Antiquité, d’un pouvoir de domestication des esprits. Dans la légende médiévale, Salomon, roi constructeur du Temple, devient magicien et exorciste. Dans certains traités, il est celui qui, avec l’aide de démons asservis, édifie Jérusalem.

Un autre ensemble de textes est attribué à Saint Cyprien d’Antioche, un personnage aux contours légendaires, présenté à la fois comme séducteur, magicien, converti, puis martyr. Certains manuscrits anglais, d’origine partiellement française, lui sont rattachés. Là, les catalogues sont complets, contenant jusqu’à 107 démons, avec pour chacun le nom, l’aspect monstrueux, les fonctions et le volume de sa légion.

Des noms parfois connus, parfois inventés. Des figures à l’anatomie hybride, mi-hommes mi-animaux, ou mêlant plusieurs bêtes. Certaines légions sont d’une ampleur colossale : jusqu’à 6 666 démons par légion, selon une tradition que Jean-Patrice Boudet retrouve déjà dans les sources du XIIIe siècle.

Des fonctions ambivalentes

Les démons ne sont pas, dans ces textes, des figures exclusivement destructrices. Certains peuvent réconcilier des ennemis, d’autres localiser des trésors. Ils peuvent nuire ou soigner, nouer ou délier. « Toute fonction magique est fondamentalement bivalente », explique Jean-Patrice Boudet. Ce n’est pas la nature du démon qui est en cause, mais l’usage qu’en fait le magicien. L’exorciste les combat, le magicien les canalise.

C’est cette même ambiguïté que note Johannes Weier, démonologue du XVIe siècle, qui publie en 1577 une édition de son traité de magie incluant la Pseudomonarchia Daemonum — littéralement, la fausse monarchie des démons, dans laquelle on trouve une hiérarchie stricte : rois, princes, marquis, comtes… comme dans une armée. Weier, critique à l’égard de la chasse aux sorcières, s’inquiète davantage des magiciens instruits que des prétendues possédées. Il considère ces textes comme dangereux non pour leurs effets démoniaques, mais pour les pratiques rituelles qu’ils sous-tendent.

Transmission fragile, survivance partielle

Peu de manuscrits ont survécu, et rares sont ceux qui sont complets. Les textes se présentent souvent de manière incomplète : seulement une trentaine de démons, parfois juste l’introduction ou la conclusion. « Ce sont des textes qui ont très mal survécu, parce qu’ils ont été considérés comme particulièrement sulfureux et dangereux. » Sauf exception, comme les versions rattachées à Saint Cyprien d’Antioche, que l’on retrouve suivies d’un récit de conversion du magicien. Ce modèle narratif, que Boudet rapproche de celui du Miracle de Théophile, un Faust médiéval, offrait une justification théologique à ces textes : la chute précédant la rédemption. Ils devenaient ainsi plus acceptables pour la conscience chrétienne.

Circulation restreinte, lectorat élitiste

S’ils circulent « sous le manteau », ces catalogues n’étaient pas inconnus. Ils apparaissent parfois dans les procès — comme en Italie au XIVe siècle, où les Visconti sont accusés d’avoir invoqué un démon nommé Amaymon. Certaines versions sont en langues vernaculaires, preuve qu’elles ont pu toucher un lectorat laïc. Mais les sorcières, illettrées, n’y avaient pas accès. Ces textes restent l’apanage de clercs ou de laïcs instruits, lecteurs de latin.

« Ce n’est pas une magie populaire », insiste Jean-Patrice Boudet. Même si les noms de certains démons se retrouvent dans des mystères ou des procès, la plupart des figures des catalogues ne sont pas connues du grand public. Cette frontière entre culture savante et croyance populaire est maintenue par les autorités ecclésiastiques.

Le XIXe siècle redessine les enfers

Ce n’est que bien plus tard, au XIXe siècle, qu’apparaissent des représentations visuelles fidèles aux descriptions des catalogues. Dans l’édition 1863 du Dictionnaire infernal de Collin de Plancy, illustrée par Louis Le Breton, les démons prennent forme : hybrides, grotesques, terrifiants ou ridicules. Collin de Plancy, esprit voltairien, ne croit pas à ce qu’il publie, mais il comprend la force de fascination de ces figures, et demande à des graveurs d’en restituer l’apparence.

Dans les manuscrits médiévaux, ces images n’existent pas. Tout au plus trouve-t-on, dans les Cantigas de Santa Maria, des démons tenus à distance du cercle magique. Le reste est évité, censuré, ou perdu. « J’aurais bien aimé trouver des représentations plus ou moins fidèles, antérieures au XIXe siècle, mais finalement, ça ne se trouve pas tellement. », regrette l’expert.

Pactes modernes et survivances

À partir du XVIIIe siècle, certains traités sont adaptés à une culture ésotérique de plus en plus profane. Des pactes avec des démons sont rédigés. Des manuscrits conservent la trace de tentatives d’invocation. L’historienne Ulrike Krampl, en s’appuyant sur les archives de la Bastille, a montré que des apprentis magiciens formulaient des contrats explicites — en général pour obtenir un trésor. Le pacte n’est donc pas qu’un mythe inquisitorial, mais un objet de pratique, parfois codifié.

Jean-Patrice Boudet y voit la continuité d’une tradition opératoire, parfois réduite à sa dimension imaginaire, parfois prise au sérieux. Il le dit clairement : « Est-ce que c’était fait vraiment pour être utilisé, ou est-ce que c’était fait pour fantasmer, pour s’évader de la réalité ? »

Origines incertaines, recréations médiévales

La grande énigme demeure celle des origines. Ces textes ne viennent pas du monde arabe. Certains motifs peuvent passer par Byzance, mais rien n’est sûr. Les textes, même médiévaux, ne sont jamais identiques d’un manuscrit à l’autre. Ils se réécrivent, se modifient, s’amputent. Jean-Patrice Boudet y voit une « recréation permanente », non la transmission fidèle d’un archétype antique. Il parle même de textes « semi-savants », sans dogme, sans canon. Ce n’est donc pas une tradition figée, mais un continent mouvant de textes, de pratiques, de représentations. Et c’est dans cette incertitude même que réside, peut-être, la richesse de ses travaux de recherches.


Le mardi 20 mai 2025 à 18h, à l’amphithéâtre Samuel Paty de Blois, Jean-Patrice Boudet proposera donc cette conférence consacrée aux Catalogues de démons au Moyen-Age et à la Renaissance, à l’usage des magiciens. L’entrée est libre pour les adhérents de la Société des Amis du Château et des Musées de Blois, payante pour les non-membres (5 €). Pour les amateurs de mystères textuels, ce sera une occasion de découvrir ces arrières-mondes du Moyen Âge.

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