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Pierre Beaufils et Alexander Shevchuk : deux regards sur les visages du monde à la Chapelle du Villiers

Du 14 au 22 juin 2025, la Chapelle du Villiers à La Chapelle-Saint-Martin accueillera une exposition de portraits signés Pierre Beaufils et Alexander Shevchuk, deux artistes liés par la figure humaine, mais dont les trajectoires, les approches et les styles diffèrent. Le vernissage, prévu le samedi 14 juin à 18h, marquera la rencontre de deux peintres réunis dans un même lieu autour d’une carte blanche proposée par l’association de sauvegarde et d’animation de la chapelle. Egalement réunis par la figure humaine et par l’ambition de transmettre, à travers le visage, une perception du monde contemporain. Si Pierre Beaufils a choisi de présenter des visages d’enfants et d’adolescents issus des générations Z et Alpha, c’est avec ses portraits monumentaux de femmes qu’Alexander Shevchuk proposera une autre lecture, plus silencieuse et introspective, un langage pictural fondé sur l’émotion, la couleur et la frontalité.

Pierre Beaufils : le trouble du monde dans les visages de l’enfance

Artiste peintre, portraitiste, poète et musicien, Pierre Beaufils vit à Saint-Gervais-la-Forêt, près de Blois, où il anime des stages et réalise des portraits sur commande. Il s’est orienté très tôt vers la représentation du corps humain, d’abord sans visage. « Pendant des années, je dessinais des nus, des corps, sans jamais oser représenter le visage. Je pensais que c’était réservé aux maîtres. » Ce n’est que tardivement qu’il s’y risque — et découvre dans cette forme une infinie liberté.

Dans cette exposition, Pierre Beaufils présentera une série intitulée « Génération Z, génération Alpha », sous-titrée La liberté du geste ou le hasard maîtrisé. Il y déploie une galerie de visages d’enfants et d’adolescents, souvent ambigus, jamais expressifs de manière directe. Pas de sourire enjôleur ni de tristesse larmoyante : ce sont des regards en suspens, parfois perdus, parfois confrontants.

« Ce qui m’intéresse, ce sont les micro-émotions : l’intranquillité, l’inquiétude, le doute, la surprise. » Il revendique une approche résolument contemporaine, presque anthropologique du portrait. « Ces enfants sont nés dans un monde qui vacille : la fin de la biodiversité, les conflits armés, le réchauffement climatique, la fragmentation sociale… Ils reçoivent un héritage incertain. »

œuvre Pierre Beaufils

Loin de tout pathos, Pierre Beaufils insère ses visages dans des contextes très épurés, souvent inachevés, qui laissent au regardeur une part d’interprétation. Il revendique même cette incomplétude : « J’ai des toiles à peine finies. Le spectateur peut les prolonger. J’aime aussi exposer mes esquisses rapides, qui sont parfois les plus fortes. »

Formé en médecine à Lille avant de se consacrer pleinement à l’art, il revendique une sensibilité à fleur de peau, un rapport très direct au dessin, qu’il qualifie de « graphologie personnelle ». Il a publié deux recueils de poésie illustrée aux éditions L’Harmattan, et il lit parfois ses textes lors de ses vernissages, accompagné de sa guitare : une musique improvisée, entre jazz et flamenco, comme un prolongement sensible de sa peinture.

La peinture comme miroir de nos inquiétudes

À la Chapelle du Villiers, Pierre Beaufils ancrera sa série dans un dialogue silencieux avec celle d’Alexander Shevchuk. Les deux hommes se croisent sur un point : la capacité du portrait à dire autre chose que la ressemblance. « Ce que je cherche, dit Beaufils, c’est ce qu’un visage exprime, sans forcément le vouloir. Un enfant, c’est encore lisse, sans traits marqués. Mais parfois, c’est dans cette neutralité qu’on trouve l’essentiel. Les émotions sont polysémiques. »

toile Pierre Beaufils
Toile de Pierre Beaufils

L’artiste ne cherche pas à délivrer un message politique. Il refuse les postures. Mais son regard sur les générations Z et Alpha est imprégné d’une inquiétude sincère. « Je me sens légitime à peindre ça. J’ai des enfants, je suis concerné. J’aimerais qu’on partage ces inquiétudes. » Et de rappeler qu’un portrait n’est jamais univoque. « Il y a ceux qui voient la beauté. D’autres qui y trouvent un miroir. »

Pierre Beaufils et Alexander Shevchuk
Pierre Beaufils et Alexander Shevchuk

Alexander Shevchuk : la puissance d’un visage en pleine lumière

Né à Ladizin, en Ukraine, Alexander Shevchuk est un peintre diplômé de l’École d’art de Dnepropetrovsk et de l’Académie des Beaux-Arts de Kiev. Sa carrière s’est construite en Ukraine, en Allemagne, en Angleterre, puis en France, où il expose, notamment à Bordeaux, Blois, ou Paris. Son œuvre, fondée d’abord sur l’abstraction, a basculé vers le portrait lorsqu’il a pris conscience de l’assèchement provoqué par la peinture commerciale. « Les gens achetaient mes toiles abstraites. Et je me suis senti enfermé. » Une amie, en découvrant un portrait dans son atelier, l’encourage à explorer cette voie. Il y trouve sa voix.

Depuis, il peint des portraits de femmes en très grand format, insérés dans des espaces abstraits. La dimension est essentielle : « J’ai besoin d’1,50 mètre de hauteur pour respirer dans la toile. » Ce format permet au regard de s’immerger, de croiser celui du sujet. Les œuvres frappent par leur intensité, leur absence d’anecdote, leur mise à nu.

Marishka. 140x140, par Alexander Shevchuck
Marishka. 140×140, par Alexander Shevchuck

En 2021, il lance un projet de 30 portraits de jeunes femmes de moins de 30 ans, pour célébrer les 30 ans de l’indépendance de l’Ukraine. Le projet achevé, la guerre éclate. L’atelier de Shevchuk devient un lieu d’accueil pour des familles déplacées. Il vend les œuvres à prix réduit, envoie les fonds à des cafés solidaires de sa ville, qui nourrissent les déplacés. Il témoigne de la chaîne d’entraide qui s’organise localement : « Mes amis ont transformé leur café en cantine pour les réfugiés. Et d’autres lieux ont fait pareil dans toute la ville. » Il organise alors des expositions caritatives à Berlin, Bordeaux… Tous les profits sont reversés à des initiatives locales en faveur des réfugiés ukrainiens. Il travaille avec des galeries, des associations, des collectifs. Mais ne parvient plus à peindre pendant plusieurs mois, choqué par les évènements. Aujourd’hui encore, son art est traversé par cette tension : comment continuer à créer quand le réel s’effondre ? « Je n’ai pas pu peindre pendant six mois. J’essayais, mais les couleurs ne venaient pas. Trop violentes, trop confuses. »

Œuvre d'Alexander Shevchuck
Œuvre d’Alexander Shevchuck

Ces figures surgissent avec une frontalité qui ne cherche pas la séduction. Ce sont des portraits puissants, parfois dérangeants, toujours dans la profondeur. Et ils ne sont jamais conventionnels. Ce que confirme Pierre Beaufils : « Ils m’ont sauté à la figure, littéralement. On est tout de suite dans un face-à-face. C’est un regard dans le regard. »

Une double exposition pour une traversée du regard

Dans le silence de la Chapelle du Villiers, les deux séries de portraits trouveront un écho particulier. Ni Beaufils ni Shevchuk ne cherchent l’effet. Leurs œuvres prennent le temps, et obligent le regard. D’un côté, des visages d’enfants porteurs d’une inquiétude que l’on peine à nommer ; de l’autre, des femmes-mondes, debout dans la couleur, offertes à l’interprétation. Deux regards, deux trajectoires, deux écritures. Mais une même fidélité : celle du visage comme surface fragile, vivante, et révélatrice.

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