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Angélique Cormier : poétiser le monde, un pli après l’autre

Angélique Cormier est musicienne, performeuse, improvisatrice, artiste du son et de la matière. Plieuse de papier obsessionnelle et exploratrice de la fragilité, elle revendique une poésie du saisissement et une rigueur instinctive. Née à Vierzon, elle assume une identité singulière : « Moi c’est Angélique, je suis un Scorpion de 79 né à Vierzon. » Et ajoute, sourire en coin : « C’était pas gagné quoi. »

Son univers est un mélange d’intuition et de construction, une tension assumée entre chaos et structure : « Ça se mélange entre raison et déraison, j’ai envie de dire… j’essaie d’allier à la fois une pensée, une structuration, et à vif, ce qui jaillit de mes émotions, de mon vécu. » Chez elle, la pensée est un fil conducteur que l’instinct réveille et bouscule.

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

Tout commence, dans l’enfance, par une approche non orthodoxe de la musique. Elle débute avec une professeure de yoga, une musicienne « que je vois encore de temps en temps, une femme qui m’a initiée à la musique plutôt qu’au piano. » La musique, dès le départ, n’est pas une discipline à dompter mais un territoire à explorer. Dans sa famille, elle plane dans l’air : « J’avais un grand-père musicien, mon père était un peu musicien aussi, mais ils n’étaient pas musiciens professionnels. Il y avait la musique dans l’air un peu régulièrement. »

Elle intègre ensuite un cursus classique, se spécialise dans le piano, mais bifurque vite. « Il y avait le parcours classique, mais qui a été nourri aussi de plein d’autres influences : impro, jazz, musique contemporaine, musique traditionnelle. Et je suis aussi empreinte de musique populaire énormément. Je ne hiérarchise pas vraiment, je ne hiérarchise pas du tout en fait les musiques. »

Ce refus des cloisons et des cases caractérise dès le départ sa vision artistique. Son adolescence est marquée par un chœur de musique contemporaine dirigé par un professeur pluridisciplinaire à Vierzon : « On ne faisait pas que chanter, on faisait des mises en scène. Moi, dès mon adolescence, j’ai été ouverte vraiment à quelque chose de vraiment pluridisciplinaire, au monde de la performance, au mélange des genres, des histoires, au mélange des périodes artistiques. Moi, mes playlists gamines, ça allait aussi bien de musique contemporaine à du rock, à de la techno. » L’éclectisme devient une manière d’habiter le monde.

En 2005, elle découvre le soundpainting, langage de composition en temps réel, lors d’un stage avec Vincent Lê Quang : « Un musicien hors pair, vraiment un artiste merveilleux », dit Angélique Cormier. Cette technique hybride, gestuelle et sonore, bouleverse sa pratique. Elle se forme ensuite avec Walter Thompson : « Il m’a dit : « Je viens à Paris dans six mois faire une masterclass. » Ok, je viens. Il a vu que j’étais très motivée. Il m’a dit : « J’organise un think tank à Woodstock, viens. » » Formée à New-York, cette immersion l’entraîne à créer le Tours Soundpainting Orchestra, qu’elle dirigera pendant quinze ans jusqu’en 2020.

Le soundpainting, pour elle, est un langage clair, direct, vivant. Elle insiste sur l’importance de l’improvisation véritable : « Composer en temps réel. » L’art de la présence, de l’écoute, de la prise de risque. « Le but, c’est quand même de monter sur scène en ne sachant pas par quoi on commence. Ça crée des moments vraiment de présence extrême, de jeu aussi très puissant. Parce qu’on est là ! » Dans le soundpainting comme dans la vie, elle explore les énergies : « L’inspiration ? Je ne sais pas ce que j’en pense. Je crois plutôt à l’énergie, à la vitalité. Pas l’énergie comme concept fumeux, ésotérique. Je parle de l’élan du corps, de l’esprit, de nos émotions. »

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

En 2011, le papier revient. Déclencheur : un artiste amateur d’origami. Elle retrouve une matière qu’elle a toujours aimée : « La liste de fournitures scolaires, pour moi, c’était Noël. J’avais des journaux, du papier à lettres, plein de relations épistolaires. Je pliais déjà un peu. » Depuis, elle plie. « Je suis tombée dedans. Je me suis à plier chez moi. J’ai fait mes gammes. Et je n’ai jamais arrêté. » Le papier, fragile et résistant, est une allégorie du vivant : « Avec juste un pli, il tient debout, il prend du volume, il prend de la force. »

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

Le geste devient méditation, le pli une façon de vivre. « Le toucher du papier est d’une grande sensualité. Il y a un son différent, à l’envers, à l’endroit. Il peut être texturé. J’utilise un papier japonais, un papier dentelle. On dirait presque une mue d’un animal. » Angélique assume être plieuse de papier obsessionnelle : « Oui, je suis une P.P.O. ! » Et un brin punk : « Je peux être perfectionniste à l’extrême, et en même temps faire un truc avec trois bouts de ficelle. Je suis pleine de contradictions. »

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

D’autant plus qu’elle revendique la poésie comme fil rouge : « Faire jaillir ce qui est sensible, ce qui est fragile, ce qu’on ne voit pas. » Ce qu’elle cherche ? « Créer un saisissement. Ce que je nous souhaite à toutes et tous, c’est d’avoir au moins une fois par jour un moment de saisissement. »

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

Ce saisissement ne vient pas par hasard : il peut s’écrire aussi dans le choix de mots. Ses préférés sont des étendards silencieux : « Délicatesse. Fragilité. Tendresse. Punk. Poésie, évidemment. Et même « poiesis », l’origine grecque du mot, qui veut dire « faire », « créer ». Mais aussi les mots Terre. Composition. Composer avec ce qui se passe. » Et dans cette idée, elle refuse les artifices langagiers, les étiquettes et les langages creux. Elle veut dire vrai.

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

Face à la brutalité du monde, Angélique Cormier ne fuit pas. Elle agit. Elle invente des formes de résistance sensibles. « Plus le monde est brutal, plus j’ai besoin de plier, de jouer, de poétiser. Je crois qu’en tant qu’artiste, on a un job : donner de l’espoir. » Une résistance qui ne nie pas la noirceur, mais qui choisit d’y opposer le mouvement, le vivant, le souffle.

Cette sensibilité se transmet, elle se partage. Angélique aime les enfants, travaille avec eux comme avec des adultes. Mais ce n’est pas une simple question de médiation : c’est une déclaration d’intention. « Pour moi, c’est politique de travailler avec les enfants. Transmettre de la poésie, de la sensibilité à ce qui est fragile, c’est une manière de faire. » Leur présence lui est nécessaire. Leur réaction, directe, sincère, l’inspire. Elle y trouve une manière d’être au monde, avec les autres, sans filtres ni apprêt. Tout est politique, selon elle.

Angélique Cormier participant à « Hors lits » à Blois. Crédit photo : Benjamin Brossolette

Quid de la création ? « Ce n’est pas plus explicable que l’amour », répond Angélique Cormier. Le geste créatif, comme le sentiment amoureux, surgit de cette même zone incertaine, impérative, impossible à rationaliser. Tout comme l’instant suspendu qui émerveille ou étonne. Et si un jour il est absent, il ne vient pas, alors elle le provoque. Elle ne le laisse pas s’évaporer. « Je prends mes papiers dans mon sac, je vais les installer. Et puis là, ça va mieux. »

Car dans un monde trop souvent pressé, brutal, saturé de certitudes, Angélique Cormier travaille à mains nues, avec la patience opiniâtre des artisanes de l’invisible. Elle plie, elle crée, elle écoute. Elle ne prétend pas guérir, ni même expliquer. Elle cherche simplement — et cela suffit — à faire jaillir un éclat. Un saisissement. Une forme d’étonnement qui reconnecte à la vie, dans ce qu’elle a de plus subtil, de plus éphémère, de plus essentiel. À celles et ceux qui prennent le temps de l’écouter, elle offre cette simple boussole : composer avec ce qui se passe. Poétiquement. Politiquement. Entièrement.

Pour en savoir plus : angeliquecormier.com

l'amour qui s'éprouve

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