Avec Grzegorz Biliński, un voyage au cœur de l’art et de l’entropie

A la Galerie Dominique, 8 rue du Commerce à Blois, une pause s’impose pour prendre le temps de voir en grand. En effet, Grzegorz Biliński, artiste et professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, y expose et il n’est pas un créateur ordinaire.
Entre installations vidéo-sonores et réflexions profondes sur l’entropie, la fragilité de la matière et la ville comme organisme vivant, son approche de l’art oscille entre rigueur scientifique et création. Nous avons rencontré cet artiste et pédagogue polonais lors d’un entretien où il a partagé ses pensées sur la création artistique, sa pédagogie et ses réflexions sur l’évolution du monde contemporain. Son œuvre Universal M, réalisée en collaboration avec sa femme Alicja Duzel-Bilińska, symbolise à bien des égards sa vision du monde et de l’art : un regard lucide sur un cycle éternel de création, de fragilité endogène et de destruction.
Une installation au-delà des images : l’art de la répétition et du chaos maîtrisé
Au centre de la réflexion artistique de Grzegorz Biliński se trouve l’idée d’un monde en constante transformation. Son installation vidéo Universal M illustre cette vision à travers deux vidéos projetées en parallèle, accompagnées d’une rythmique sonore. La répétition des images et du son crée un cycle continu, où la ville et ses structures symbolisent l’ambition humaine et son implacable fragilité.
Pour Biliński, Universal M est une méditation sur le temps et la désintégration. Il évoque notamment l’idée de l’aube, un phénomène court qu’on trouve étendu sur 12 heures dans une autre vidéo proposée par un jeune artiste polonais. « Nous avons cherché à montrer que la journée se compose de deux moments distincts, le lever et le coucher du soleil. Ces deux éléments se divisent et rythment le temps, formant un cycle de 24 heures », explique le professeur. L’installation devient alors une allégorie du cycle de la vie urbaine, un organisme vivant où chaque répétition est à la fois une recréation et une dégradation.
Avec une rigueur quasi-scientifique, Grzegorz se plonge dans les concepts de la thermodynamique, en particulier l’entropie, pour illustrer comment tout système complexe est voué à se décomposer. L’artiste pousse plus loin sa réflexion en soulignant que plus un système est sophistiqué, plus il consomme d’énergie pour se maintenir, jusqu’à atteindre un point de rupture. C’est ce qu’il décrit comme « le chaos maîtrisé » : un chaos apparent, mais où chaque étape est planifiée, chaque transformation mesurée.

Le dialogue entre le professeur et l’artiste
Grzegorz Biliński n’est pas seulement un artiste, mais aussi un professeur reconnu de l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie, une institution aux multiples facettes. Composée de sept facultés, l’Académie offre des formations dans des disciplines aussi diverses que les médias modernes, l’architecture intérieure ou encore l’art appliqué à l’industrie. Biliński s’inscrit dans la tradition de l’enseignement artistique où théorie et pratique se rejoignent. Sa propre formation d’ingénieur et d’artiste lui permet de fusionner rigueur technique et vision artistique.
Il évoque l’importance de ne pas cloisonner l’art et l’architecture dans des cases figées. « L’espace, c’est à la fois un artefact et quelque chose dont nous faisons partie. Nous vivons dans cet artefact, nous sommes plongés dedans », explique-t-il. Pour Grzegorz Biliński, la manière dont les étudiants abordent la création doit être globale, holistique, en tenant compte de toutes les dimensions possibles. L’espace, qu’il soit naturel ou urbain, devient une source d’inspiration inépuisable pour l’artiste.
Grzegorz Biliński guide ses étudiants à travers un processus créatif qu’il compare à la maïeutique : « En tant que professeur, je ne suis pas un dieu omniscient. Je suis un partenaire dans ce processus de création. » Il souligne l’importance de ne pas brider la créativité des jeunes artistes, tout en les aidant à ne pas s’égarer. « Mon rôle est de leur servir de garde-fou, mais sans leur imposer de limites. Je les aide à comprendre ce qu’ils veulent exprimer, à mettre cela en perspective, sans jamais les freiner », précise-t-il.
L’évaluation de la création : un art délicat
L’un des défis majeurs pour Biliński en tant que professeur est d’évaluer le travail de ses élèves. « C’est l’une des choses les plus difficiles dans mon métier », admet-il. Comment juger l’art, qui par essence est subjectif ? Biliński établit cependant quelques critères objectifs : la maîtrise technique, l’originalité, et l’impact sur le spectateur.
« La technique est le premier critère », explique-t-il. Que ce soit en gravure, en vidéo ou en sculpture, la capacité de l’étudiant à manier ses outils est primordiale. Cette compétence saute aux yeux des professionnels, et permet de distinguer ceux qui sont prêts à recevoir leur diplôme. « Ensuite, il y a l’intention de l’artiste. Qu’a-t-il voulu dire ? Est-il capable de me convaincre que ce qu’il veut exprimer tient la route ? », continue Biliński.
L’originalité de l’œuvre est également un critère essentiel. « L’art ne peut se contenter d’être une simple reproduction. Il doit apporter quelque chose de nouveau, être porteur de création », ajoute l’artiste. Cependant, il ne s’agit pas seulement de satisfaire l’artiste ou les critiques d’art. « L’impact sur le spectateur est tout aussi important », insiste Grzegorz. Pour lui, une œuvre doit résonner avec ceux qui la regardent, même s’ils ne sont pas des experts en art.

Les gravures : un regard sur la relève de Cracovie
L’un des jeunes artistes mis en avant dans cette exposition est Jan Moskała. Celui-ci travaille à partir du chaos, qu’il maîtrise progressivement. Il utilise plusieurs dessins préparatoires qu’il superpose par des impressions successives. Ce processus de création aboutit à des compositions complexes où la lumière et l’ombre jouent un rôle essentiel. Biliński explique que ces jeunes artistes ne se contentent pas d’imiter, mais cherchent à repousser les limites de la gravure. « L’important est qu’ils trouvent leur propre voix, qu’ils explorent ce qu’ils veulent dire à travers leur travail. Cela se voit très bien dans les œuvres de cette nouvelle génération de graveurs », souligne-t-il.
Le défi des images dans un monde saturé
L’une des grandes questions soulevées par Dominique Morand-Nizinski lors de notre entretien est la place de l’art dans un monde saturé d’images. « Aujourd’hui, nous sommes submergés d’images produites de manière quasi-industrielle. Cela conditionne le goût du public, qui est façonné par ces images en série », déplore-t-elle. Pour l’artiste, cette saturation entraîne une perte de sensibilité vis-à-vis de l’art. « Nous sommes confrontés à une esthétique dominante, très souvent limitée, qui tend à réduire la sensibilité à l’art. »
Cette saturation a également des conséquences sur l’originalité des œuvres contemporaines. « Il y a une tendance moderne à suivre les standards du moment. Mais ces standards évoluent sans cesse. Ce qui est considéré comme ‘bien’ aujourd’hui peut être rejeté demain », réagit Biliński. Pour lui, l’art ne doit pas se conformer aux attentes du public, mais au contraire, bousculer ces attentes, proposer quelque chose de neuf, de dérangeant, afin de stimuler la réflexion.
Une réflexion sur l’espace et le temps : un art en évolution
À travers ses œuvres et son enseignement, Grzegorz Biliński invite à une réflexion profonde sur l’espace et le temps. C’est ce qu’il tente de faire avec Universal M. Comme sensibiliser à la relation que l’on entretient avec son environnement. Pour l’artiste, l’espace a une fonction technique, utilitaire, mais aussi esthétique. « Ce n’est pas seulement une question de fonctionnalité. Il s’agit aussi de ressentir comment on se sent dans cet espace, quelles émotions il suscite », explique-t-il.
L’avenir de l’art contemporain selon Biliński
Grzegorz Biliński est un artiste aux multiples facettes, dont la pensée ne cesse d’évoluer au fil des années. Sa collaboration avec sa femme, Alicja Duzel-Bilińska, apporte une dimension complémentaire à son œuvre. Ensemble, ils explorent des concepts abstraits, des idées philosophiques qu’ils traduisent dans des installations visuelles et sonores. Pour Biliński, l’avenir de l’art réside dans cette capacité à créer des espaces de réflexion, où le spectateur est invité à interagir, à s’interroger. L’art, selon lui, ne doit pas fournir de réponses, mais susciter des questions. C’est à travers ce dialogue entre l’artiste et le spectateur que l’art contemporain trouvera sa place dans un monde en perpétuelle transformation.
Grzegorz Biliński est actuellement exposé à la Galerie Dominique, 8 rue du Commerce, à Blois, tout comme des créations réalisées dans le cadre des Vitrines de l’Art.