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Emilie Joneau exprime par la danse les autres possibles

Émilie Joneau est une chorégraphe et danseuse contemporaine dont le parcours est à la fois atypique et inspirant. Originaire de Cour-Cheverny, elle ne s’est véritablement lancée à 100% dans la danse qu’à l’âge de 27 ans, après avoir travaillé pendant plusieurs années dans le domaine du marketing chez Mercedes-Benz France. Cette reconversion tardive vers la danse n’a pourtant jamais altéré sa passion ni sa détermination à réussir.

Formée à l’école de danse Choréia à Paris, elle a dû faire face à de nombreux obstacles, notamment liés à son âge, souvent jugé trop avancé pour une carrière de danseuse professionnelle. Pourtant, grâce à sa volonté et à la confiance de ses professeurs, elle a non seulement réalisé son rêve de devenir danseuse, mais aussi de chorégraphier. En 2019, elle co-fonde la OUPS Dance Company avec Clémence Juglet, une chorégraphe et danseuse rencontrée au fil de ses expériences.

La OUPS Dance Company se distingue par un mélange audacieux de danse contemporaine, d’électro, d’acrobaties et de contorsion. Inspirées par un esprit rebelle, les créations d’Émilie et Clémence cassent les codes traditionnels de la danse académique pour proposer une gestuelle innovante et décalée, interrogeant les limites du corps et de la performance. L’une des signatures d’Émilie est une souplesse exacerbée des épaules, qu’elle a transformée en atout artistique. Parmi leurs créations les plus marquantes, on retrouve Pardon !, Championnes en Meute !, et leur dernière œuvre en préparation, Vertige, qui explore les rapports entre masculin et féminin à travers la danse.

Au fil de cette interview, Émilie Joneau revient sur son parcours de vie, ses défis, et sa vision de la danse. Elle partage également des réflexions, la manière dont ses créations reflètent une forme de combat, et sa volonté de développer la culture de la danse dans sa région natale. À travers son histoire, elle prouve que l’on peut toujours réaliser ses rêves, peu importe les obstacles rencontrés.

Blois Capitale : Comment tout a commencé pour vous ? Quel a été le déclic avec la danse ?

Emilie Joneau : J’ai commencé à 27 ans. J’avais fait un peu de danse quand j’étais jeune, dans une association à Cheverny, mais rien de très sérieux. À 18 ans, je suis partie faire mes études, un peu à Châtellerault, à Bruxelles, à Bordeaux, et je suis aussi passée par le Mexique. J’ai fait des études de commerce, et ensuite, j’ai travaillé pendant quatre ans au siège de Mercedes-Benz France, près de Paris. À un moment, j’ai ressenti l’envie de revenir à ma passion première, la danse. À 18 ans, j’aurais aimé intégrer une école de danse, mais venant de province et avec des parents qui n’avaient pas un goût prononcé pour la culture, je n’ai pas été encouragée à poursuivre cette voie, qui peut sembler effrayante. A 27 ans, j’ai craqué. J’ai décidé de vivre ma vie, de me donner une chance et de commencer la danse sérieusement. J’ai passé plusieurs auditions dans différentes écoles à Paris, et seule l’école Choréia m’a acceptée. Les autres m’ont souvent refusée à cause de mon âge. Jusqu’à 27 ans, c’était quelque chose de refoulé, un rêve inachevé. Certaines écoles disaient même que ça ne valait pas la peine d’essayer, qu’il était trop tard. Beaucoup de gens se mettent des barrières, et nous inculquent des limitations.

Blois Capitale : Qu’est-ce qui vous a poussée à franchir ces barrières à 27 ans ?

Emilie Joneau : J’ai pris conscience que la vie est courte. Je me suis dit qu’il valait mieux tenter l’aventure plutôt que d’attendre d’avoir une maladie ou d’être trop vieille, vraiment trop vieille, pour danser. Je ne voulais pas passer à côté de ma vie et de mes rêves. C’était le bon moment pour essayer, et je n’avais plus envie d’attendre.

Blois Capitale : Dès le début, souhaitiez-vous devenir danseuse et chorégraphe ?

Emilie Joneau : Non, au départ, je voulais simplement être professeure de danse. J’aurais aimé être danseuse, mais à force d’entendre que 27 ans, c’était trop tard, je m’étais dit que je ferais un an d’école, puis que je retournerais peut-être au marketing, ou que je verrais où la vie me mènerait. Ensuite, j’ai rencontré des professeurs qui m’ont fait confiance et m’ont donné l’opportunité de faire partie d’une compagnie junior. Ce n’était pas rémunéré, mais cela offrait de l’expérience, avec des créations et des dates comme de vrais danseurs. J’ai adoré, et cela m’a permis d’envisager une carrière de danseuse. Ensuite, j’ai essayé de passer mon EAT (Examen d’Aptitude Technique) en danse à plusieurs reprises. J’ai rencontré quelques difficultés, mais je l’ai finalement obtenu. C’était au moment où je m’étais dit que si je ne devenais pas professeur de danse, je créerais ma propre compagnie. J’ai fini par obtenir mon EAT, mais l’envie de créer ma propre compagnie est devenue plus forte. Depuis que je suis petite, je chorégraphiais déjà dans mon salon, j’apprenais des danses à mes copines, montais des petits spectacles. J’ai toujours eu cette âme de chorégraphe.

Blois Capitale : Lorsque vous avez commencé à danser « sérieusement », c’était dans quel style ?

Emilie Joneau : Petite, je faisais du modern jazz à Cheverny. Puis, lorsque j’ai intégré l’école, c’était une formation en danse jazz, une combinaison de contemporain, jazz et classique, des danses académiques. Mais au bout d’un an, j’ai quitté cette école, car je trouvais que cela ne correspondait pas à mon envie ni à ma détermination. C’est en rencontrant Clémence, ma partenaire et co-chorégraphe, que j’ai découvert la danse électro. C’était une redécouverte de la tecktonik des années 2007, que je dansais déjà en boîte de nuit. Après cette vague médiatique, la tecktonik a été ridiculisée et s’est un peu éteinte, surtout en province. En 2019, j’ai intégré le crew Electro Street et renoué avec cette danse.

Blois Capitale : Votre signature semble être cette souplesse incroyable des épaules et de la contorsion. Comment cela est-il né ?

Emilie Joneau : Au départ, on me disait toujours en danse contemporaine de faire attention à mes bras qui partaient trop en arrière. J’ai décidé de transformer ce « défaut » en force, en travaillant ma souplesse jusqu’à la contorsion. C’est ainsi que ma danse est née, avec un bagage académique que j’ai mélangé à l’électro et à la contorsion. Au début, le monde de la danse académique ne voulait pas vraiment de moi, alors j’ai décidé de créer ma propre danse, ma propre compagnie et mes propres spectacles.

Blois Capitale : Il semble y avoir une dimension de combat dans vos créations. Est-ce lié à votre parcours personnel ?

Emilie Joneau : Oui, dans Championnes en Meute !, par exemple, on parle de la femme et des inégalités qu’elles subissent. L’égalité n’est toujours pas atteinte, et il est important d’en parler. J’ai pris conscience de beaucoup de choses en travaillant dans l’entreprise, où les salaires étaient inégaux entre hommes et femmes, mais aussi dans le monde de la danse et de la culture.

Blois Capitale : Dans votre processus créatif, comment transposer des idées en danse que le public saisira?

Emilie Joneau : C’est difficile à expliquer. Je ne sais pas vraiment comment je fais. J’écris souvent mes idées sur papier et parfois je trouve des symboles que je détourne. Par exemple, dans Championnes en Meute !, j’ai utilisé le gant de vaisselle comme symbole du patriarcat. Nous aimons détourner les objets, et la musique de Leon Afterbeat joue également un rôle très important.

Blois Capitale : Le fait de créer à deux, avec Clémence Juglet, ça ne pose pas parfois des problèmes de frustration ou d’incompréhension ?

Emilie Joneau : Avec Clémence, on a toujours eu une vision vraiment commune, une écoute très forte. On n’a jamais eu de problème d’ego ou de frustration par rapport à quelque chose qui aurait été créé ou non. Chacune est libre de s’exprimer et quand l’une propose quelque chose, on se regarde et on sait tout de suite si c’est « trop bien » ou non. Il n’y a jamais eu de situation où l’une propose et l’autre refuse, c’est toujours fluide entre nous.

Photo instagram.com/m_ily_joneau

Blois Capitale : Votre style, avec la contorsion et des danses très physiques, pose la question des limites du corps. Quel est votre rapport à cela ?

Emilie Joneau : C’est encore cette rébellion contre les codes et les barrières qu’on nous impose ou que notre propre corps essaie de nous imposer. On cherche toujours à repousser les limites, tout en respectant bien sûr notre santé. On essaie d’aller au-delà de ce qui est perçu comme possible, pour se prouver que l’on peut aller plus loin et pour casser nos propres croyances sur ce qui est réalisable. C’est un état d’esprit. On ne se cantonne pas à ce que notre corps peut faire, on veut toujours chercher à aller plus loin, à prouver qu’il y a d’autres possibles.

Blois Capitale : Votre mouvement signature au niveau des épaules, c’est justement cette idée de dépassement ?

Emilie Joneau : Oui, c’est exactement ça. Là où certains disent « non, ce n’est pas possible », je veux montrer que c’est possible. Il y en a qui peuvent, donc moi aussi je peux. D’autres contorsionnistes peuvent également le faire. J’ai donné des ateliers de contorsion, et c’est toujours intéressant de voir que même ceux qui n’ont jamais pratiqué réussissent parfois à faire des mouvements qu’ils pensaient impossibles. Cela ouvre des possibilités, et c’est aussi un état d’esprit : montrer que c’est possible, et que les limites sont souvent dans la tête.

Blois Capitale : Dans Championnes en Meute !, le fait de voir six femmes avec autant d’énergie et des capacités physiques différentes, c’était important ?

Emilie Joneau : Oui, complètement. Voir six femmes avec autant de diversité dans leurs corps, dans leurs capacités, ça ouvre une porte dans l’esprit des gens. Cela montre que les femmes peuvent faire beaucoup de choses incroyables. Je ne sais pas ce que les gens disent après avoir vu le spectacle, mais je suis sûre que ça ouvre des réflexions, des prises de conscience.

Blois Capitale : Vous êtes actuellement sur une nouvelle création intitulée Vertige, c’est bien ça ?

Emilie Joneau : Oui, c’est ça. Vertige est notre prochaine création, et c’est la première où il y a un homme. C’est intéressant parce qu’on y explore encore ce rapport entre le masculin et le féminin. Dans ce spectacle, c’est moi qui vais incarner une énergie plutôt masculine, tandis que mon partenaire incarnera une énergie plus féminine. Cela permet de questionner ce que l’on considère comme masculin ou féminin, et pourquoi on fait ces distinctions. Ce spectacle parle de la rencontre de deux univers complètement opposés, avec des chocs culturels et relationnels. On y mélange aussi la danse électro, qui est souvent associée à une énergie masculine explosive, avec des mouvements plus fluides et féminins.

Photo : Instagram.com/m_ily_joneau

Blois Capitale : Mais finalement, est-ce que la distinction masculin/féminin a encore du sens pour vous ?

Emilie Joneau : Non, pas vraiment. Je n’ai pas envie de rentrer dans les problématiques de genre, ce n’est pas mon combat. Mon message, c’est plutôt que nous sommes tous complets et singuliers, et qu’on ne devrait pas se limiter à des étiquettes de genre.

Blois Capitale : Vous portez professionnellement de nombreuses casquettes. Comment gérez-vous cela au quotidien ?

Emilie Joneau : C’est vrai, il y a la création bien sûr, mais aussi toute la partie production, diffusion, communication. Les journées ne sont jamais assez longues. Souvent, c’est l’entraînement qui passe à la trappe, car il faut s’occuper des contrats, chercher des partenaires, discuter avec notre chargé de diffusion pour les dates. Récemment, j’ai recruté un chargé de diffusion, donc j’espère que ça me déchargera un peu, parce que ce que je veux avant tout, c’est créer, partager des spectacles avec le public.

Blois Capitale : En tant que chorégraphe il faut rester curieuse et voir d’autres spectacles ?

Emilie Joneau : Au début, pour Pardon !, je n’avais pas vraiment de notion de ce qui se faisait ailleurs. Je n’avais pas beaucoup vu de spectacles de danse, donc je créais vraiment à partir de mon propre univers. Maintenant, je regarde davantage ce qui se fait, car c’est important de voir ce que font les autres, même si j’essaie de ne pas me laisser trop influencer. Mon objectif, c’est d’être créative tout en gardant mon propre style, sans faire quelque chose qui aurait déjà été fait.

championnes en meute

Blois Capitale : Danser ou créer, c’est vital pour vous ?

Emilie Joneau : Je ne dirais pas que c’est vital dans le sens où je mourrais sans ça, mais c’est une part essentielle de moi. Depuis que je suis toute petite, je crée des chorégraphies, des spectacles, des histoires. C’est une façon pour moi de m’exprimer, donc oui, c’est nécessaire pour que je me sente bien. Mais je ne dirais pas que c’est vital au sens strict. Ce qui est vital pour moi, c’est ma famille, l’amour. Mais créer, c’est nécessaire, ça fait partie de moi.

Blois Capitale : Est-ce que vous regrettez de vous être lancée seulement à 27 ans ?

Emilie Joneau : Non, je ne regrette pas. Ça m’a donné la force de me battre et de faire autant de choses en si peu de temps. Je ne regrette pas non plus mes études ou mon travail, car cela m’a apporté des compétences et de la confiance. Cela fait partie de mon parcours, et aujourd’hui, je vois cela comme une force. Au début, je ne me sentais pas légitime parce que j’avais commencé tard, mais maintenant je vois que ça peut inspirer d’autres personnes à suivre leurs envies, même si elles commencent plus tard.

Blois Capitale : Vous avez installé la compagnie à Vineuil. Pourquoi ce choix ?

Emilie Joneau : Je suis en région parisienne, mais la présidente de la compagnie habite à Vineuil, donc c’est là que se trouve le siège social. Je veux aussi développer la culture et la danse dans la région, car il n’y a pas beaucoup de compagnies de danse et de spectacles. Il y a bien sûr la Halle aux grains, un peu le Grand Orme, mais je veux contribuer à faire changer les mentalités, notamment au sein de ma propre famille, qui commence à mieux comprendre ce milieu maintenant. C’est ma région de cœur, et je compte m’y installer bientôt.

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