Il y a des personnalités qu’il est indispensable de connaître, des vies, des destins qu’il faut découvrir ou redécouvrir. Suzanne Noël, née Gros, est un parfait exemple. Un parfait exemple d’altruisme et de volonté. Un bel esprit féministe dans l’âme et dans les actes. Et une incroyable pionnière de la chirurgie esthétique. Malgré les épreuves de la vie.
Gueules cassées : la pionnière de la chirurgie réparatrice
Suzanne Noël (1878-1954) fut l’une des premières femmes chirurgiens en France. La première à réparer les visages. Issue d’une famille bourgeoise de Laon, elle perd son père à l’âge de 6 ans. Brillante, elle est nommée en 1908 externe des hôpitaux de Paris dans le service du professeur Morestin, pionnier de la chirurgie maxillo-faciale, puis prolonge cette expérience en entrant en 1909 dans le service de dermatologie du professeur Brocq à l’hôpital Saint-Louis.
« Suzanne est intelligente et bosseuse, elle a du cœur, du cran et du caractère. Elle va apprendre le job aux côtés du Docteur Morestin, qui, dès le début de la première guerre mondiale, inventera la chirurgie réparatrice. Morestin que l’on surnommera « le Père des Gueules Cassées », des blessures qu’aucun médecin de l’époque n’avait jamais vues », explique le journaliste d’Europe 1, Marc Messier. Suzanne Noël est extraordinairement douée. Non seulement, la jeune interne a des mains de fée, mais elle possède une sorte d’inspiration artistique, nourrie dans les musées, qui lui permet, lorsque le défiguré n’a plus un seul trait humain, de lui créer entièrement un nouveau visage.
Une brillante carrière malgré les épreuves de la vie
Alors que Suzanne tente de faire renaître des êtres brisés par les atrocités de la guerre, elle n’est pas épargnée par la vie. Entre la fin de la guerre et le début des années 20, Suzanne perdra les trois êtres les plus chers de sa vie. Son premier mari et le second (le docteur André Noël, ndlr), qui s’est suicidé, après la mort de leur petite fille, Jacqueline, emportée par la grippe espagnole, précise Messier. Suzanne survit et ouvre à Paris son cabinet de chirurgie réparatrice. Excellente couturière de la peau, elle va mettre au point les premiers liftings. C’est elle, aussi, qui imagine les premières techniques de dégraissage par aspiration, qu’on appelle aujourd’hui la liposuccion. Elle créera également des instruments (craniomètre, gabarits) encore utilisés aujourd’hui.
Soroptimist : l’engagement pour les droits des femmes
Pionnière dans l’esthétique, elle agit pour le bien des femmes, comme précédemment pour celui des hommes défigurés. D’autant plus qu’avoir un aspect jeune permettait déjà de retrouver plus facilement du travail. Elle créera la version française de Soroptimist International en 1924, et la version européenne en 1926. C’est un mouvement interprofessionnel, non politique et non confessionnel. Une ONG qui est « un réseau mondial de femmes exerçant une activité professionnelle et aidant de leurs compétences les communautés locales, nationales et internationales en faveur des droits humains et du statut de la Femme ».
La Légion d’Honneur et la Reconnaissance de la Nation
En 1928, Suzanne Noël reçoit la Légion d’Honneur et la Reconnaissance de la Nation pour sa contribution à la notoriété scientifique de la France sur la scène internationale. Ces distinctions viennent couronner une carrière exemplaire et souligner l’importance de ses travaux dans le domaine de la chirurgie esthétique et réparatrice.
La perte partielle de la vue et le dévouement à Soroptimist
Au printemps 1936, Suzanne Noël perd pratiquement la vue. Elle est opérée, mais elle réalise qu’elle ne peut plus exercer au même rythme qu’avant. Elle va alors se consacrer à Soroptimist, en multipliant les antennes à travers le monde. Son engagement pour les droits des femmes et son soutien aux communautés locales font d’elle une figure incontournable du mouvement.
La clandestinité et la lutte pour sauver des vies pendant la Seconde Guerre mondiale
Arrive la Seconde Guerre mondiale, Suzanne passe dans la clandestinité. Elle modifie des visages de juifs et de résistants traqués par les nazis pour les sauver. Après ce nouveau cauchemar, après cette nouvelle guerre ayant anéanti l’Humanité, Suzanne Noël tentera de gommer les traces sur les corps des survivantes des camps de concentration. Héroïne trop méconnue, elle devient ambassadrice de la chirurgie plastique et du féminisme à travers le monde.
La transmission : la bourse Suzanne Noël pour les femmes médecins
Suzanne Noël s’éteint en 1954. Une bourse portant son nom est mise en place pour que toute femme médecin désirant se spécialiser en chirurgie plastique en ait les moyens. Elle a redonné une dignité aux gueules cassées, offert une seconde jeunesse à Sarah Bernhardt… Suzanne Noël est la première chirurgienne esthétique, et une féministe engagée.