Florence Le Marec lâche prise entre la terre et le feu

Dans le hall de l’Hôtel de Ville de Blois, l’exposition En mouvement déploie les formes élancées et sensuelles des sculptures de Florence Le Marec. Céramiste autodidacte, elle explore le dialogue entre la matière et le geste, la spontanéité et la structure, le vivant et le figé. Au fil de ses pièces, le regard devine des corps, des élans de danse, des ondulations fluides, nées d’un processus où l’intuition l’emporte sur le contrôle.
« Ce qui m’intéressait dans le travail, c’était de passer de la matière molle, informe, à la structure plutôt formelle, tout en laissant la spontanéité, l’émotion surgir », confie l’artiste. Dès les premiers instants de création, elle inscrit ses œuvres dans une dynamique évolutive : « On commence par quelque chose d’un peu embryonnaire, puis la forme devient plus ronde, elle s’élève tout doucement pour devenir des corps en mouvement. » Une transformation presque organique, qui donne à voir des sculptures proches de l’élan vital.

Un dialogue entre la terre et le feu
Chaque pièce est façonnée avec une minutie qui contraste avec l’impulsion du geste. Le grès est travaillé à la plaque, aux colombins, poli patiemment à la pierre d’Agathe, jusqu’à obtenir une douceur presque charnelle. « La terre commence à devenir plus sensuelle, plus lisse et aussi brillante. Il n’y a pas du tout d’émail sur les pièces », explique Florence Le Marec.
Mais c’est dans l’enfumage que l’artiste accepte de perdre la maîtrise de son œuvre, de lui laisser une part d’imprévisible : « L’idée, c’était de les mettre en enfumage, c’est-à-dire de lâcher tout. Ça ne m’appartient plus, ça appartient au feu en fonction de ce qui va se passer au moment de la combustion. Il y a des traces noires qui vont se déposer, plus ou moins, et c’est toujours surprenant. » À l’ouverture des bidons, la découverte se fait fascinante. « Le lâcher-prise permet la surprise », souligne-t-elle.
Ce dialogue avec l’inattendu, Florence Le Marec le revendique comme un principe fondamental de sa démarche. Loin de rechercher la perfection, elle revendique l’influence du wabi-sabi, cette esthétique japonaise qui célèbre l’imperfection et l’impermanence : « On veut tout contrôler, mais moi, je pense qu’il ne faut pas contrôler, d’où le feu. Ce sont de belles surprises, se laisser happer par ce qui advient. »

Un mouvement inspiré par la danse
Le titre de l’exposition En mouvement ne doit rien au hasard. La céramiste voit dans ses formes l’incarnation d’un élan, d’un souffle, d’un corps en suspension. « Pour moi, ce sont des corps qui dansent », affirme-t-elle. L’artiste se souvient d’un moment révélateur : « Quand j’ai fait une de ces pièces exposées ici, j’écoutais un podcast sur la danseuse Isadora Duncan, et en même temps, je faisais. Je suis partie en mouvement, comme elle. » Ce geste fondateur, presque chorégraphique, a donné naissance à sa première sculpture de la série. « Elle a été un peu ce mouvement de libération », se remémore-t-elle.
Dans ce processus, l’artiste refuse toute rigidité et laisse l’émotion guider la matière : « Dans le mouvement, c’est complètement aléatoire. Il y a une émotion qui se dégage avec moi et la terre, on fait corps toutes les deux. Je ne sais pas où je vais, je pars comme ça. » Chaque sculpture naît d’une tension entre l’ascension et la torsion. Dans son atelier, Florence Le Marec sculpte comme on danse, dans un corps-à-corps avec la terre : « Le premier geste est souvent le bon. Après, je fignole, je vais lisser une arête un peu trop saillante pour qu’elle soit plus ronde, mais l’essentiel est déjà là. »

Une élévation intime
Si ses pièces s’élancent, c’est aussi le reflet d’un cheminement personnel. L’artiste voit dans ces sculptures une métaphore de son propre parcours : « Je suis partie de rien au niveau de la terre, je ne connaissais rien, et je m’élève avec elle. Je la découvre aussi, on fait corps, on se parle. » Une ascension progressive, qui trouve un premier aboutissement dans cette exposition : « C’est un travail qui a commencé en octobre et qui s’est terminé en février. » Le lien intime qu’elle entretient avec ses œuvres ne l’empêche pas de les laisser partir. Certaines seront bientôt acquises. Mais l’attachement demeure. « Moi, j’ai mes préférées. On en a tous. » L’une d’elles, une sphère aux reflets lunaires, retient particulièrement son regard.
Au-delà de la contemplation, l’artiste revendique une approche tactile : « Oui, ces pièces sont faites pour être touchées. » Un moyen de trouver une douceur qui les ancre dans le vivant. Toutefois, à l’Hôtel de Ville, cette expérience est interdite. « Tous les gens au vernissage n’avaient qu’une envie : les toucher. Il y a cette brillance, on sent bien qu’il y a quelque chose qui miroite, qui renvoie quelque chose. » Le mystère demeure, et c’est sans doute ce qui rend ces sculptures si vibrantes. « C’est vivant autrement », affirme Florence Le Marec. Plus organiquement, mais sous une autre forme. Une présence silencieuse, qui dialogue avec l’espace. Une danse figée, et pourtant éternellement en mouvement.
Exposition « En mouvement » – Hôtel de Ville de Blois, du 4 mars au 25 avril, du lundi au vendredi de 9h à 17h.

