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Tout savoir sur la fourchette : une petite histoire de(ux) dents

Fourchette, vous avez dit fourchette ? Partons à la (re)découverte d’un ustensile en forme de petite fourche, dont l’usage remonte à l’Antiquité.

Déjà sous les Égyptiens, on utilise des sortes de crocs pour attraper les aliments dans les… chaudrons ! Mais selon toute vraisemblance, la fourchette de table est apparue durant l’Empire romain. On a retrouvé de très belles pièces à deux ou trois dents datant du Ier au Ve siècle de notre ère. Il y en a en Gaule, en Italie et au Proche Orient. Mais à partir du Ve siècle, elle disparaît mystérieusement d’Europe.

Les traces de fourchettes romaines sont exclusivement archéologiques. Le plus grand nombre d’entre elles semble provenir de la Gaule romaine. Aucun texte ni aucune image ne donne de précision sur l’usage de ces fourchettes, qui demeure mystérieux. Peut-être sont-elles utilisées lors du repas dans les plus hautes sphères de la société ? On peut imaginer que certains riches romains qui mangent couchés, s’en servent de la main droite pour piquer dans certains aliments durs prédécoupés.

A partir de ce même Ve siècle, la fourchette fait son apparition dans l’Empire sassanide, en Iran. Mais il est difficile de dire si elle est un héritage de la civilisation romaine, étant donné qu’elle a une forme tout à fait originale, avec un manche qui se termine par un demi-cercle qui sert de base à deux longues dents rapprochées. Après la conquête arabe de l’Empire perse, au milieu du VIIe siècle, la fourchette y subsiste encore, mais finit par disparaître au cours du Xe siècle. Et c’est justement à partir de cette époque que la fourchette du modèle sassanide progresse vers l’Ouest, dans l’Empire byzantin. Un petit peu plus tard, aux environs de l’an mil, elle est signalée en Italie, toujours sous sa forme sassanide.

Fourchettes sassanides. De haut en bas : 1, 2 et 3. bronze, Qasre Abunasr (Chiraz), VI e – VII e siècle, Metropolitan Museum of Art, New York. / 4. argent, 23 cm, Suse, V e – VII e siècle, Louvre, Paris, photo Hervé Lewandowski / 5. bronze, Suse, VII e – X e siècle, Louvre, Paris, photo Jean-Gilles Berizzi.

Des mythes et légendes à la réalité : que de controverses en la matière !

La fourchette réapparait, dit-on, ensuite grâce à une belle princesse byzantine : Théodora Doukras ou Doukaina, qui épouse… devinez donc… le doge de Venise. Elle est de fait destinée à la consommation des pâtes et c’est ainsi qu’elle se répand en Europe. Mais il se dit également que la fourchette aurait été rendue inutile par le fait qu’un seigneur ne coupe pas sa viande lui-même, cette dernière étant apportée déjà tranchée sur la table.

Au Moyen-âge, c’est l’outil utilisé pour se servir dans le “rôt“. Faite de deux pics avec un long manche, on la réserve à la noblesse et à défaut à la haute société. C’est alors un objet luxueux : en effet la fourchette est dotée d’un manche en cristal ou en ivoire. Elle s’impose très progressivement et se généralise à l’ensemble de la population quelle que soit sa condition : l’objectif n’est pas de manger grâce à elle, mais de se servir directement du plat général sans s’empêcher de manger avec ses doigts. De même, la cuillère est utilisée pour prendre les sauces à partir du mets collectif. Car on n’a pas non plus d’assiette. On se sert et on mange directement sur les tranchoirs, les grandes tranches de pain dur qui épongent en outre les sauces. Et on s’essuie directement sur la nappe ! Rappelons-le : en France, pendant longtemps, on mange avec ses doigts. Point de couverts en usage !

Et le couteau, dites-moi ? Il est utilisé à table uniquement pour le plat principal. On s’y sert directement avec lui, sinon avec ses doigts, et on a recours au couteau seulement pour couper un morceau de viande. Il garde d’ailleurs longtemps une lame pointue. A partir du moment où il arrive sur la table près de l’assiette, avec la fourchette, on estime que son bout pointu est inutile pour piquer dans un plat, c’est pourquoi il devient rond.

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Mais alors, qui donc l’a introduit en France ? Nous avons, comme souvent, deux versions de l’histoire ! Dans ses nombreux bagages, Catherine de Médicis, s’en allant vers Marseille en 1533, sans savoir encore qu’elle deviendra reine de France, a de nombreuses robes, des bijoux merveilleux, des haricots et aussi de petites fourches, si petites que l’on peut les utiliser avec une seule main. Mais que peut donc bien faire une jeune fille, indiscutablement de bonne famille, avec des petites fourches, qu’elle appelle forchetta , parce qu’elle parle l’italien ? Voilà un des grands mystères de l’histoire. Vraiment, les « fourchettes » (parlons français) de Catherine, quelle étrange extravagance.

Mais à quoi peut bien servir notre fourchette ? Il s’agit d’un ustensile que l’on empoigne avec le plus d’élégance possible, et l’on pique un morceau de viande ou de légume, ou un fruit pour le porter à la bouche et l’y déposer, en faisant bien attention de ne pas se piquer la langue ou le palais en un geste trop brutal. C’est assez ingénieux, on en conviendra, mais les braves gens qui n’ont pas les moyens d’acheter ces pièces d’orfèvrerie se contentent d’utiliser leurs doigts pour prendre la nourriture et manger. Si bien que, en France puis ailleurs en Europe, à partir de 1533, ce grave sujet de conversation va animer les réunions : avec ou sans fourchette ? Les uns ne voient que maniérisme (pour ne pas dire snobisme d’aujourd’hui), les autres y trouvent le nec plus ultra de la modernité.

Notre autre hypothèse, souvent controversée elle aussi ! C’est Henri III, fils de Catherine de Médicis, qui en instaure véritablement la mode en France. De retour de Pologne en 1574, il fait une halte en Italie, pays natal de sa mère et la découvre à la cour de Venise. Elle sert prioritairement à piquer des poires cuites, ou fruits confits, desserts de prédilection de l’époque. Il la ramène avec lui et s’affiche avec une fourchette dans son restaurant de prédilection : l’Hostellerie de la Tour d’Argent (actuelle Tour d’Argent à Paris).

Ce qui l’aurait séduit ? On dit parfois que la mode vestimentaire de la fraise, qui date en effet de cette époque, a été décisive pour l’adoption des fourchettes. Essayez donc de manger avec vos doigts, le cou enveloppé par une fraise d’autant plus large et encombrante qu’elle se veut plus élégante ! On s’en met partout, comme aux jours sombres du Moyen-âge, ou chez les paysans ! Ce drôle de couvert permet dès lors de manger sans se tâcher. Quelle bénédiction !

Juste pour la forme !

A la table de Louis XIV, chaque convive a une fourchette à gauche de son assiette, mais on ne s’en sert pas : le roi en personne préfère manger avec les doigts… Il a peur de se faire “trucider“ par un quelconque manant de mauvaise intention, le clergé lui-même la dénonce comme un outil de gourmandise, donc de péché et sa forme à deux dents symbolise même la queue de Satan ! Encore une légende sans doute.

On ne l’utilise finalement qu’à partir du Siècle des Lumières (18e siècle). La salle à manger devient alors une pièce à part entière, il est donc important de disposer de sa propre vaisselle. On retrouve désormais sur notre table assiette, verre, couteau et fourchette qui passe alors progressivement de deux à quatre dents. Et nous voilà avec notre fourchette contemporaine !

Le saviez-vous ?

Même si la fourchette se place toujours à gauche de l’assiette, à table on la dispose, « à la française » ou « à l’anglaise ». En France, on la place habituellement pointes vers le bas. Mais pourquoi donc ? Cet usage date de la Renaissance, les personnes de la haute société faisaient alors graver leurs armoiries sur le dos du manche. Pour qu’elles soient visibles de tous les convives, on continue de placer les fourchettes pointes vers le bas, même si les usages anglophones de nos restaurants actuels contrarie cette tradition ! En Angleterre, à l’inverse, elles se posent pointes vers le haut car les armoiries anglaises sont gravées sur la face interne du manche. Nous n’avons pas les mêmes valeurs, isn’t it !!!

Pour finir, certes, la fourchette n’a pas révolutionné la cuisine, ni la gastronomie. Mais elle a marqué un tournant historique de notre société dont on réalise souvent peu la portée. Quelles que soient les vérités et contre-vérités qui lui sont liées, nous ne pouvons, lorsque nous passons à table tous les jours, que nous féliciter de l’ingéniosité de son premier créateur, fût-il romain, perse ou tout autre !

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