HistoireVie locale

La Villa « Le Cavalier » hantée par les années Gestapo

Au cœur de Blois, la Villa « Le Cavalier », située au 59 rue Augustin Thierry, semble aujourd’hui n’être qu’une imposante bâtisse parmi tant d’autres. Cependant, derrière cette façade anodine se cache une histoire sombre et troublante, un témoignage silencieux des heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale.

En effet, cette propriété a été le siège du tribunal de la Gestapo, où de terribles interrogatoires étaient menés. À partir du 26 janvier 1943, les services allemands, sous l’autorité du capitaine Tom Felde, ont réquisitionné la maison, obligeant le propriétaire, monsieur Tabarly, grand-père du célèbre navigateur Eric Tabarly, à quitter les lieux. C’est ce qu’on peut lire dans « Blois, insolite et secret » de Pascal Nourrisson et Jean-Paul Sauvage (éditions Sutton). La Villa « Le Cavalier » avait été choisie pour sa position stratégique, offrant une vue dominante sur la Loire, la gare et la voie de chemin de fer. À cette époque, une ouverture avait même été pratiquée dans le mur pour y accéder.

La Gestapo sévit impitoyablement dans cette villa jusqu’au 7-8 août 1944, date à laquelle une partie de ses services se replia au château de l’Archerie à Cellettes, suivi du départ pour l’Allemagne du reste du personnel, y compris des collaborateurs zélés.

Collection Bruno Guignard

Ludwig Bauer, ancien subordonné de Klaus Barbie, et Mona Reimeringer (Delphine est son vrai prénom), en étaient les dirigeants. La Villa « Le Cavalier » servait de siège administratif au SD (Sicherheitsdienst), l’organe de renseignement de la SS. Les bureaux occupaient le rez-de-chaussée et le premier étage, tandis qu’une partie du personnel y était logée.

Ce lieu tristement célèbre abritait ce que les résistants appelaient le « tribunal de la police allemande. » En zone occupée, la répression était dirigée par le « Commandement militaire en France, MBF, » avec les tribunaux militaires des Feldkommandanturen chargés de l’appliquer. À Blois, c’était le FK 589 qui s’occupait de ces affaires, transféré ultérieurement à Orléans.

Les personnes arrêtées pour divers motifs étaient emprisonnées à la prison de Blois, d’abord à la Tour Beauvoir, puis à la nouvelle prison près du Lycée Dessaigne à partir d’août 1943. Celles suspectées d’appartenir à la Résistance, d’avoir aidé des aviateurs alliés, ou d’être des « terroristes » étaient soit tirées de prison, soit conduites directement à la Villa « Le Cavalier » pour des interrogatoires brutaux et musclés. Les victimes subissaient insultes, menaces et brutalités avant d’être reconduites en prison en attendant de nouveaux interrogatoires.

Mona Reimeringer – Source : « La Sologne au temps de l’héroïsme et de la trahison » par Paul Guillaume

Parmi les acteurs sinistres de cette histoire, Mona Reimeringer, donc, surnommée « Mona la Blonde, » occupe une place particulièrement sombre. Née en 1906 à Metz, en Lorraine annexée, sa jeunesse a été marquée par des tragédies, dont un viol à l’âge de 14 ans et le suicide de sa mère. Malgré ces épreuves, elle a brillamment obtenu des diplômes en Belgique, en Sarrebruck, à Bonn et Duisburg. Elle a même été docteur ès lettres et docteur en philologie. Ses activités criminelles l’ont finalement conduit à la Gestapo, où elle a rencontré Ludwig Bauer, qu’elle a suivi à Blois. Elle participait aux interrogatoires, ne se limitait pas à traduire les questions de Bauer.

Mona Reimeringer, énigmatique et influente, avait des relations avec plusieurs personnalités blésoises de l’époque, jetant ainsi un voile de mystère sur ses véritables activités et loyautés. Elle résidait une belle villa 2 boulevard Daniel Dupuy. Toutes les personnalités de la ville y sont reçues, notamment le Préfet Aucourt, le Secrétaire Général de la Préfecture Vignon, le Procureur de la République Wagner, le Commissaire de Police de Blois Blandin, et bien d’autres encore. À la Libération, elle a été capturée par les FFI, mais les autorités américaines ont longtemps protégé cette énigmatique figure. Ce n’est qu’après une opération audacieuse qu’elle a été finalement jugée en France. En septembre 1946, la cour de justice l’a reconnue coupable d’intelligence avec l’ennemi, condamnant Mona Reimeringer à vingt ans de travaux forcés.

Aujourd’hui, cette imposante bâtisse est le témoin silencieux d’une époque révolue, mais elle demeure un rappel poignant des sombres jours de la Seconde Guerre mondiale, où l’humanité a été mise à l’épreuve et où des vies ont été brisées.

Votre annonce sur Blois Capitale

Un commentaire

  1. Bonjour,
    Depuis quelques mois, je travaille aux archives (départementales, municipales) pour un projet de recherche (personnelle) sur la « Vie à Blois sous l’Occupation ». Je pense évoquer plutôt les aspects de la vie quotidienne (école, travail, circulation, loisirs, logement des officiers et des troupes d’occupation, alimentation etc).
    Vous avez bien fait de rappeler la villa « Le Cavalier » et les brutalités ignobles de la Gestapo (annexe de la Gestapo d’Orléans). Mais « le diable est dans le détail »: quelques petites erreurs se sont glissées dans votre texte. La « Sicherheitspolizei » (« Police de Sûreté ») disposait de deux bâtiments dans la rue Augustin-Thierry, la villa « Le Cavalier » mais aussi la villa « Les Tilleuls » au 30 de la même rue. Une arrestation par la Gestapo n’a besoin d’aucun jugement, ni d’aucun mandat d’un procureur, souvent ce sont des « indicateurs » qui dénoncent tel ou tel. Il ne faut donc pas confondre cette police secrète avec le fonctionnement du tribunal militaire, celui relève de l’armée et s’est trouvé d’abord avenue Maunoury (près de la caserne), puis au 2e étage de l’Hôtel du Château (rue Porte-Côté).
    Tom Felde (« Capitaine – « Hauptmann ») doit, comme tous les officiers supérieurs, appliquer les ordres venant du MBF (« Militärbefehlshaber in Frankreich »: Commandement militaire en France), mais l’associer personnellement aux agissements de la Gestapo me paraît une erreur. Il rencontre en 1943-44 presque quotidiennement le maire Henri Drussy (ou son adjoint: René Calenge) pour gérer les problèmes les plus urgents et se montre souvent sceptique par rapport aux décisions des « Feldkommandanten ». Mais Felde comme les autres commandants militaires n’a plus aucune autorité sur les questions du maintien de l’ordre qui passe en mai 1943 du MBF à Carl Oberg, nommé par Hitler « Chef supérieur de la police et de la SS en France ». Il y a désormais deux pouvoirs dans ce qu’on appelle les « forces d’occupation », et c’est Oberg qui va accentuer la répression contre les Juifs (rafles) et contre les résistants, entre autres avec l’installation d’une annexe de la Gestapo d’Orléans à Blois, près de la gare. Comme la Gestapo doit gérer l’ordre public en 1943-44, elle peut intervenir dans beaucoup d’affaires et contrôle de facto la police blésoise.
    Si le maire Drussy est arrêté par la Gestapo en avril 1944, ce n’est pas sur dénonciation de Tom Felde. Les raisons restent obscures, mêmes si des hypothèses ont été évoquées : en tant qu’historien j’ai pris l’habitude de vérifier et de ne pas me contenter des « on dit »…
    Quant aux « soirées mondaines » chez Marie Delphine Reimeringer (« Mona la Blonde ») au 2 bl Daniel Dupuy, j’attends de voir ce que je vais pouvoir trouver aux archives départementales. J’aimerais un jour consacrer un chapitre spécifique aux traducteurs. L’Occupation est une grande affaire pour ces traducteurs : il y en a plusieurs à la Préfecture, deux à la Mairie et plusieurs « lieutenants-interprètes » à la Feldkommandantur, mais tous ne sont pas des professionnels. Hélène Kreis par exemple, épouse d’un électricien à Blois, joue un rôle assez ambigu : toujours de bonne volonté et prête à aider, bilingue (famille en Suisse alémanique), elle apporte son aide à l’armée jusqu’au moment où celle-ci décide de ne plus recourir à des traducteurs locaux. La quasi-totalité des traductions sont de bonne qualité (Mairie, Préfecture, Kommandantur), mais le rôle de Reimeringer ne se limite pas à la traduction : « Mona » vise l’influence, le pouvoir, l’argent, – coûte que coûte.
    « Le temps de l’héroïsme et de la trahison » : dans beaucoup de publications on trouve cette idée manichéenne comme dans « Résistance et Collaboration ». Mais un regard plus attentif me paraît nécessaire pour comprendre ce qu’il s’est passé dans la vie des Blésois pendant ces 4 années de l’Occupation. La (grande) majorité n’étaient ni Résistants, ni Collaborateurs.
    Pour finir : pourquoi aucune plaque sur l’une des deux villas de la Gestapo ne rappelle cette sombre histoire? Certes, ça peut gêner les propriétaires actuels, mais il me paraîtrait très utile signaler ce lieu de la terreur.

    Bien cordialement – Rainer Pohl
    66 Levée des Tuileries, Blois

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR