Le Téméraire : plongée dans un journal de propagande nazi pour la jeunesse française
Au fil de ses recherches, Pascal Ory, historien de renom et membre de l’Académie française, s’est penché sur un aspect méconnu de l’Occupation : Le Téméraire, un périodique destiné à la jeunesse française et entièrement imprégné de propagande nazie. Ce travail est au cœur de son livre Le Petit Nazi illustré (éditions Locus Solus), qui analyse la genèse, le contenu et les acteurs de cette publication singulière. Lors d’une conférence dans le cadre de bd BOUM, il a livré une analyse sur ce journal, ses créateurs et ses répercussions.
Un journal singulier dans le paysage de l’Occupation
Le Téméraire a vu le jour en 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, et a été publié jusqu’à l’été 1944. Ce journal se distingue par son orientation idéologique radicalement nazie, ce qui le rend unique parmi les périodiques pour la jeunesse de l’époque. « Je m’attendais à un journal pétainiste, exaltant les valeurs conservatrices du régime de Vichy. Mais non : il s’agissait d’un journal nazi, conçu comme un véritable outil de propagande », explique Pascal Ory.
Le périodique, destiné aux adolescents, utilisait des moyens graphiques modernes pour l’époque, avec des couvertures percutantes et des illustrations de grande qualité. Cependant, le contenu allait bien au-delà de la simple éducation ou du divertissement. « À l’intérieur, on trouve des articles ouvertement antisémites, comme des pages consacrées aux soi-disant crimes rituels juifs ». Cela illustre l’objectif du journal : inculquer les idées nazies de manière insidieuse mais efficace.
Les hommes derrière le journal
Le principal architecte de Le Téméraire était Jacques Bousquet, un intellectuel agrégé et ancien professeur. Issu de l’Action française, il avait basculé dans le nazisme après un séjour en Allemagne. « Bousquet incarne ce type d’intellectuel fasciné par l’idéologie nazie et convaincu de son rôle pédagogique », note Pascal Ory. Sous l’égide d’Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale et collaborationniste notoire, Bousquet a bénéficié des moyens nécessaires pour développer ce projet.
Aux côtés de Jacques Bousquet, une équipe de scénaristes et de dessinateurs français a collaboré au journal. Si certains ont changé de nom après la guerre pour échapper aux conséquences de leurs actes, d’autres, notamment les dessinateurs, ont poursuivi leur carrière sans être inquiétés. Cette impunité révèle l’absence de reconnaissance institutionnelle de la bande dessinée comme média influent à cette époque.
Un public captif et des parents désarmés
Pendant 18 mois, Le Téméraire a eu un quasi-monopole dans la zone occupée. Les jeunes lecteurs n’avaient guère le choix : les kiosques ne proposaient plus d’autres journaux pour la jeunesse. « Les parents, souvent déconnectés de ce que lisaient leurs enfants, n’ont pas mesuré la portée idéologique de ce périodique », explique Ory. La bande dessinée, alors appelée « illustré », était considérée comme un produit de consommation sans grande valeur culturelle. Cette condescendance a permis à Le Téméraire de passer sous le radar de nombreuses familles.
La Libération et l’effacement des responsabilités
À la Libération, la presse jeunesse a été largement négligée dans les processus d’épuration. Les collaborateurs de Le Téméraire ont, pour la plupart, échappé aux poursuites. « On pensait que ces productions n’avaient pas d’impact idéologique significatif, ce qui est évidemment faux », souligne Pascal Ory. Ce manque de reconnaissance de l’influence des médias culturels sur les jeunes esprits a contribué à l’absence de conséquences pour de nombreux acteurs de cette propagande.
L’analyse de Le Téméraire montre comment un outil culturel apparemment anodin peut devenir un puissant vecteur idéologique. À travers cet exemple, Pascal Ory invite à une réflexion plus large sur les responsabilités des intellectuels, des artistes et des médias dans la diffusion des idées.