Magdelaine Auger, kidnappée avenue Maunoury par un prince du Saint-Empire
Nous sommes en octobre 1788, il y a bien longtemps donc. Et ce soir là, le long de la route Haute de Paris, aujourd’hui connue sous le nom d’avenue Maunoury, un kidnapping très particulier eu lieu. Il est conté par Pascal Nourrisson et Jean-Paul Sauvage dans « Blois insolite et secret » (éditions Sutton).
Revenons aux faits. À l’époque, cette route était encore une voie poussiéreuse. Là, dans l’ombre d’une masure solitaire, une jeune pastourelle de quatorze ans, native d’Orchaise, veillait sur un petit troupeau de moutons, confié par un paysan de La Chaussée-Saint-Victor.
La nuit était calme, le ciel parsemé d’étoiles, lorsque tout à coup, le destin bascula pour la jeune Magdelaine Auger. Alors qu’elle se tenait près du mur de la bâtisse, observant ses précieux moutons, une scène digne des contes les plus sombres se déroula devant ses yeux un temps émerveillés. Une brillante chaise de poste apparut, escortée par deux chasseurs vêtus de noir arborant des brandebourgs rouges, suivis de deux imposants valets blonds. Jamais Magdelaine n’avait vu un attelage aussi somptueux.
Éblouie par la vue, elle quitta le mur pour se rapprocher de la voiture et observer de plus près le personnage dans ce cortège. De l’intérieur de la chaise, un ordre fut donné dans une langue inconnue, et la voiture s’arrêta brusquement. Les deux valets blonds se précipitèrent vers la jeune bergère, la saisirent sans mot dire, et la transportèrent de force dans la voiture. La porte se referma violemment, et un nouvel ordre, cette fois-ci en français, ordonna aux postillons de filer rapidement jusqu’à la poste de Blois, sans relayer qu’à Chouzy. Les postillons, attirés par une récompense mirobolante, galopèrent à travers les rues de Blois et, à leur arrivée à Chouzy, furent renvoyés à Ménars avec la promesse d’une rétribution ultérieure s’ils gardaient le silence sur l’enlèvement auquel ils avaient été témoins.
Pendant ce temps, le paysan qui avait confié ses moutons à Magdelaine s’inquiéta de ne pas la voir revenir. Il entreprit une recherche désespérée, découvrant ses moutons errant seuls entre Montigny et la route. Nul ne pouvait lui fournir d’informations sur la disparition de la pastourelle. Le brave homme, présumant que Magdelaine était retournée chez ses parents, ramena les moutons à leur bergerie.
Tôt le lendemain matin, le paysan se rendit à Orchaise avec les parents désemparés de la jeune fille, et ils portèrent plainte devant le procureur du roi. Mais faute de témoins, les recherches s’avérèrent ardues. Cependant, des paysans avaient observé l’étrange équipage. Peu à peu, la vérité émergea : un riche étranger avait enlevé une charmante jeune fille et, de poste en poste, la conduisait vers une destination inconnue. Leur périple les mena jusqu’à Nantes, où ils embarquèrent à bord d’un vaisseau allemand à destination de Hambourg.
Puis vint l’année 1789 et la Révolution, qui engloutit les préoccupations du monde dans une tourmente nouvelle. Les parents de Magdelaine étaient seuls à pleurer la disparition de leur fille, et le mystère qui entourait son enlèvement s’épaissit comme l’ombre d’un passé lointain.
Il fallut attendre 1850 pour que la vérité commence à émerger de l’obscurité. Cette année-là, une ancienne princesse souveraine du nom de Magdalena Raczyńska s’éteignit en Allemagne, laissant derrière elle un testament énigmatique. Dans ce document, elle prétendait être née en 1774 à Orchaise, et elle léguait le tiers de sa fortune aux descendants de ses parents. Les noms mentionnés étaient mal écrits en langue étrangère, ne correspondant à aucun nom français d’Orchaise ou de ses environs. L’exécuteur testamentaire de la princesse entreprit des recherches, mais elles n’aboutirent pas. Le mystère resta entier pendant plus de cent cinquante ans.
Grâce à l’historien Jean Chavigny, le voile du secret fut enfin levé. La bergère enlevée en octobre 1788 se nommait Magdelaine Auger, fille d’un humble fagoteur d’Orchaise, née le 27 avril 1774. Son ravisseur, quant à lui, était le prince Michal Lubomirski, souverain de la principauté de Dubno, située à la frontière de la Galicie et de la Volhonie, non loin des Carpates. Lors de son enlèvement, Magdelaine n’avait que 14 ans, et lui (père d’un Józef) 36 ans. De leur liaison contrainte naquit, en 1790, une petite Thérèse. La jeune mère, âgée de seulement 16 ans, fut placée dans un couvent sous le nom de mademoiselle de Saint-Barthélemy (comme le nom de l’église d’Orchaise dédiée à saint Barthélemy). Quant à l’enfant, elle fut confiée à une nourrice. Michal Lubomirski et Magdelaine Auger se marièrent en 1794. Deux ans plus tard, le futur prince Edward vint agrandir leur famille.