Paule Honoré et Nathalie Moizard : entretien croisé avant deux journées portes ouvertes

Les 24 et 25 mai 2025, Paule Honoré accueillera le public dans son atelier 20 rue Augustin Thierry à Blois, exceptionnellement partagé pour l’occasion avec la peintre Nathalie Moizard. De 11h à 20h — « et plus si affinités » — les deux artistes ouvriront grand la porte à celles et ceux qui souhaitent entrer dans leurs univers. Deux parcours singuliers, deux tempéraments, une même exigence intérieure : peindre parce qu’il le faut. Rencontre croisée avec deux femmes que relient une reconnaissance immédiate, un rapport viscéral à la création et une fidélité absolue à ce qui les traverse.
Une exposition née d’un coup de foudre artistique
Blois Capitale : Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter cette exposition – portes ouvertes ensemble ?
Paule Honoré : En fait, ça faisait un moment que j’avais envie de le faire. Mais, je n’avais pas envie de le faire seule. J’avais envie de le faire avec quelqu’un qui avait arrêté mon regard par sa peinture, dont la peinture m’avait arrêtée. Et c’est ce qui s’est passé avec Nathalie. Voilà, tout simplement.
Nathalie Moizard : J’avais également envie de le faire de cette manière. Pas seule non plus. Ce n’était pas prémédité, mais cela s’est imposé.
BC : Vous vous connaissez depuis longtemps ?
Paule Honoré : C’était en mars de l’année dernière, lors d’une installation dans un hôtel, à Ouchamps, où nous étions regroupées avec d’autres artistes. J’avais déjà repéré son travail à la Galerie Wilson, sans la connaître. Ce que j’avais vu sur les cimaises était très différent de ce qu’on y voit d’habitude. Et ensuite, effectivement, quand on s’est retrouvées à cet accrochage à Ouchamps, j’ai adoré sa réaction. C’était un accrochage franchement pas formidable. Nathalie, elle a repris ses toiles et elle s’est barrée. J’ai trouvé ça très bien. Très juste. Je me suis dit : « Il y a quelqu’un, là, au bout du fil. »
Nathalie Moizard : Ensuite, on a pris un café, ou deux, on a discuté. C’était une rencontre humaine, sincère. Et aussi une reconnaissance. Une reconnaissance de nos démarches respectives.
Paule Honoré : Oui, une reconnaissance du travail de l’autre. Et des personnalités aussi. C’est ce qui m’a donné envie de faire cet événement en commun. Comme je l’ai dit, ça me trottait dans la tête depuis longtemps. Je ne voulais pas le faire seule. Je trouve que c’est plus vivant, ça crée une synergie.

La peinture comme passage à soi
BC : Est-ce qu’il y a eu pour vous un moment de bascule, un point où vous vous êtes reconnue comme artiste et plus spécifiquement comme peintre ?
Nathalie Moizard : Je peins depuis dix ans, mais c’était quelque chose de très discret à côté de ma vie professionnelle. Mon dernier poste en salariée à Paris, que j’ai quitté, était en totale contradiction avec mes valeurs, avec qui j’étais. Cette avant-dernière experience avant de passer au consulting m’avait vidée. Je n’étais plus connectée à moi-même. Et c’est là que la peinture a pris toute sa place. La peinture est devenue mon refuge. Ce n’est pas un loisir. Ce n’est pas un choix raisonné. C’est une connexion. Une connexion viscérale à ce que je suis. Quand je peins, je me comprends. J’existe. C’est devenu un moyen d’expression de tout ce qui bouillonne à l’intérieur de moi. Je le vis sans filtre, sans compromis. Je ne cherche pas à ce que les gens comprennent, ni à représenter. Je cherche juste qu’ils ressentent. Je ne me considère pas comme une peintre. Je suis la peinture. C’est mon langage corporel. Et maintenant, je ne peux plus ne pas peindre.

BC : On a l’impression que c’est une renaissance.
Nathalie Moizard : C’est exactement ça, une rupture radicale. J’ai tout quitté. Et je me suis dit : « Je peins. » Parce que c’est moi. C’est mon axe de vie.
Paule Honoré : Me concernant, c’est très différent. Il n’y a pas eu un moment précis. Dès l’enfance, j’étais solitaire, contemplative. Une enfant esseulée. J’ai trouvé refuge dans les images. Il y avait chez moi des reproductions de Gauguin, de Toulouse-Lautrec. Je rentrais dans ces tableaux. Inlassablement. Je me souviens qu’en CM2, j’ai acheté un livre sur Albrecht Dürer. Je l’ai encore. Il m’a nourrie. Il y avait déjà un édifice intérieur en moi. Mais tout s’est refermé à l’adolescence. Mes parents ne voulaient pas que je parte faire des études d’art. Alors j’ai fait autre chose. Des études universitaires. Je me suis mariée. J’ai eu deux filles. J’avais une carte de visite ronflante. Mais à l’intérieur, j’étais en vrac. Littéralement. Avec des symptômes physiques. En 1994, j’ai décidé d’arrêter. Soutenue par mon mari. Et j’ai repris des études à l’école Boulle. Ce qui m’a fait comprendre que j’étais sur la bonne voie, c’est à quel point j’étais bouleversée par certaines expositions. Je me souviens notamment d’une exposition Schiele au Centre Pompidou. C’étaient ses dessins sur l’agonie de sa femme, morte de la grippe espagnole. J’ai dû m’asseoir en sortant. J’étais terrassée. Et je me suis dit : c’est ça que je veux faire. Je veux toucher comme ça.
Une nature intime, infinie, vibrante
BC : Ce lien à la nature est très présent dans vos œuvres. Comment vous le vivez ?
Paule Honoré : Pour moi, la nature est une source inépuisable. Même dans mes toiles les plus abstraites. Les petits gestes, les traces, les frôlements d’herbe, la traînée d’un escargot. Ce sont des choses qui me touchent. C’est la vie silencieuse, le mystère. Ce sont les choses minuscules, imperceptibles. C’est ça que je peins. Même quand on ne reconnaît rien, la nature est là.

Nathalie Moizard : C’est très différent pour moi, et en même temps très proche. La nature, pour moi, elle me dépasse. Elle m’inspire, elle me rassure, mais elle me dépasse. Elle représente l’immensité. Une force sans compromis. Quand je ne suis pas bien, je vais au bord de l’eau, et ça me calme. C’est un refuge, oui, mais aussi une énigme. Je ne la représente pas. Je peins ce que la nature me fait ressentir : les souffles, le froid, les abysses, le vent, les ténèbres. Ce sont les émotions que je transpose sur la toile, pas les formes. Ce que je cherche à transmettre, c’est une sensation. Un vertige. Une plongée.

Paule Honoré : J’ai toujours dessiné des arbres. Depuis quinze ans, je retrouve ce motif dans mes carnets. Mais je m’empêchais d’être figurative. Le confinement m’a libérée. J’ai replongé dans les arbres. Ils sont toujours revenus. Et ils sont pour moi des figures d’ancrage, de consolation. C’est une gratitude infinie que j’ai envers la nature.

Nathalie Moizard : Moi, j’habite maintenant au bord de la mer. Et pourtant, j’ai peur de l’eau. Mais elle me fascine. Je peins l’eau, les abysses, les glaces, les nuages. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que ça me permet de me reconnecter à moi-même. D’aller très loin, très profond. Et de revenir. La peinture, c’est ça pour moi : exprimer ce que je ressens, dans toute sa complexité. Avec ses chagrins, ses silences, ses tempêtes, sa joie aussi.

BC : Et techniquement, comment travaillez-vous ? Est-ce qu’il y a une méthode, un savoir-faire ? Un moment où vous vous dites : « ça y est, j’ai réussi à exprimer ce que je voulais » ?
Nathalie Moizard : Je n’ai pas de technique académique. Je n’ai jamais appris. J’ai commencé avec de l’acrylique, mais ça ne m’allait pas du tout. Ça séchait trop vite. Puis j’ai essayé l’huile, et ça a été une révélation. Avec l’huile, je peux détruire, recommencer, modeler, ralentir. Mais c’est un chemin douloureux parfois. J’ai beaucoup pleuré devant mes toiles. Beaucoup jeté. Je ne fais jamais de croquis, jamais de plan. Je me lance, sans savoir où je vais. Et parfois, au bout de vingt heures, la magie opère. Parfois il faut 120 heures…
Paule Honoré : J’ai une formation. Mais la technique ne suffit pas. Il faut du temps. Il faut du regard. Il faut du courage. Il faut du travail. La couleur, pour moi, c’est la vie. Elle m’arrime à la joie. Je ne sais pas si je pourrais peindre en noir et blanc. Je fais des encres, parfois. Mais ce sont des petits formats. Des études. Je pense qu’on ne peint jamais pour les autres. On peint parce qu’on n’a pas le choix. Parce que ça doit sortir.
Regard réciproque et reconnaissance
BC : Que ressentez-vous en voyant le travail de l’autre ?
Nathalie Moizard : Je ressens une tendresse immense dans les toiles de Paule. Une lumière, une joie, une sincérité. J’ai envie d’y entrer. Ses arbres me parlent. J’ai envie de respirer l’herbe. C’est vivant. Ce n’est pas de la représentation. C’est une émotion. Elle est plus figurative, moi plus abstraite, mais nos émotions, elles dialoguent. Emotionnellement, on parle la même langue.

Paule Honoré : Moi, j’ai été arrêtée par une toile de Nathalie à la Galerie Wilson. Sans comprendre. Et puis, un jour, je lis L’Homme au chapeau rouge de Hervé Guibert. Il y est question d’un peintre russe, Ivan Aïvazovski. Et en regardant ses marines, j’ai compris. J’ai compris le travail de Nathalie. Je lui ai écrit : « Tu parles la mer. Tu parles les abysses. » Elle m’a dit : « Bah oui. » Et j’ai trouvé ça beau, ce chemin de compréhension.
Choisir une œuvre de l’autre ?
Paule Honoré : Je prends tout. Il n’y a pas une toile que je pourrais choisir. Nathalie, elle a une régularité, une continuité. C’est très organique. Moi, j’ai plusieurs axes : le paysagisme abstrait, les arbres, les usines… mais chez elle, tout est relié.

Nathalie Moizard : Moi aussi je prends beaucoup. Mais j’ai une vraie tendresse pour ses triptyques d’arbres. Il y a quelque chose d’apaisant, de poétique, d’installé. Je me retrouve dans les arbres.
INFORMATIONS PRATIQUES
Portes ouvertes d’atelier de Paule Honoré et Nathalie Moizard
Samedi 24 et dimanche 25 mai 2025
De 11h à 20h (et plus si affinités)
20 rue Augustin Thierry, 41000 Blois