Culture

Rire, soigner, résister : le clown contemporain dans tous ses états

Longtemps cantonné à l’image populaire du nez rouge, des pantalons trop grands et des tartes à la crème, le clown a entamé, au tournant des XXe et XXIe siècles, une mue profonde. À rebours des clichés qui l’associent uniquement au cirque traditionnel ou à une forme d’humour enfantin, il se redéploie aujourd’hui dans des champs aussi variés que le théâtre contemporain, le soin hospitalier, la scène militante ou encore les démarches de connaissance de soi. Loin de se réduire à un art du divertissement, le clown se révèle être un langage en soi, capable d’interroger les normes sociales, de provoquer des émotions brutes, de panser les blessures, voire de porter un regard critique sur le monde.

Dans sa version canonique, héritée du cirque du XIXe siècle, le clown repose sur une grammaire précise : le duo formé par le clown blanc et l’Auguste, l’un garant de l’ordre et de la bienséance, l’autre perturbateur burlesque, renverse les hiérarchies tout en les renforçant. Cette forme, bien que toujours vivante, a connu de nombreuses inflexions. Dès les années 1970, dans le sillage du nouveau cirque, des artistes comme Annie Fratellini, Slava Polunin ou encore le collectif du Samovar ont revendiqué une approche plus libre, débarrassée des carcans du spectaculaire et attentive aux ressorts sensibles du jeu clownesque.

Cette évolution trouve un prolongement dans les écoles de théâtre où l’apprentissage du clown s’est institutionnalisé. Le CNAC (Centre national des arts du cirque), l’école Jacques Lecoq, ou encore l’école Philippe Gaulier, ont joué un rôle central dans la reconnaissance du clown comme discipline artistique à part entière. Il ne s’agit plus de reproduire des figures attendues, mais d’aller chercher une forme d’authenticité, de se confronter à sa propre vulnérabilité. Le clown devient alors un révélateur, un miroir déformant de celui qui le porte, dans une logique de dépouillement du jeu et d’exposition volontaire de l’échec.

Cette recherche d’authenticité se prolonge bien au-delà de la scène. Dans les hôpitaux, les clowns — tels ceux du Rire Médecin, de Clowns Sans Frontières, ou de l’Oiseau Lyre à Blois — sont aujourd’hui reconnus comme de véritables partenaires du soin. Leurs interventions ne relèvent ni du divertissement ni de la thérapie, mais d’un accompagnement sensible, fondé sur l’écoute, l’improvisation et la relation à l’autre. Ces clowns formés interviennent à des moments clés, souvent lors de soins douloureux ou anxiogènes, et apportent un espace de respiration. Ils ne cherchent pas nécessairement à faire rire, mais à déplacer le regard, à réintroduire du jeu et de la liberté dans des contextes hautement contraints.

À une autre échelle, plus politique, le clown a aussi fait son entrée dans l’espace public. On l’a vu apparaître dans les manifestations altermondialistes, grimé en militaire grotesque ou en policier farfelu, caricaturant l’ordre établi tout en désamorçant la violence. Ce type de performance, parfois qualifié de « clown activiste », ne cherche pas la provocation mais la subversion douce. Le ridicule devient un outil de désarmement symbolique, le rire une forme de dissidence. Le clown agit ici comme un contre-pouvoir silencieux, jouant sur l’absurde pour révéler les logiques d’oppression ou d’autorité.

Enfin, un pan discret mais grandissant du clown contemporain touche au développement personnel. De plus en plus de stages ou d’ateliers proposent d’« aller à la rencontre de son clown », dans une logique d’exploration intérieure. Cette pratique s’appuie sur l’idée que chacun porte en soi une figure clownesque, une faille, une maladresse ou une spontanéité que le cadre social a peu à peu réprimée. Le clown devient alors un outil d’émancipation, une manière d’habiter sa propre étrangeté, de s’autoriser l’émotion, l’imperfection, le silence ou l’excès.

Ainsi, l’art du clown ne se laisse pas enfermer dans une seule définition. Il circule, déborde, s’infiltre. Il traverse les âges et les espaces, de la piste à l’hôpital, de la scène à la rue, du rire au soin, du jeu à la critique. Il reste, fondamentalement, une tentative de contact : avec soi-même, avec les autres, avec un monde devenu parfois illisible. Sous ses formes multiples, le clown contemporain oppose à la brutalité du réel une intelligence du sensible, une langue de l’intime, une façon singulière de faire vaciller les évidences. C’est peut-être en cela qu’il demeure, malgré les apparences, profondément politique.

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