Soria Ieng, une magicienne solaire, originale et poétique
Elle a découvert il y a 20 ans le monde de la magie, à la bien nommée Maison de la Magie de Blois, Soria Ieng, incontournable figure blésoise nous a accordé un entretien.
En entrant dans le monde de la magie, certains se laissent guider par l’illusion, d’autres par l’art de la prestidigitation, mais pour Soria Ieng, c’est la poésie et l’originalité qui dictent sa voie. Cette artiste nous dévoile sa vision de la magie, où l’eau danse et où les ombres prennent vie, redéfinissant les contours de cet univers traditionnellement masculin.
Lorsque Soria parle de sa performance au « Plus grand cabaret » avec la magie de l’eau, on perçoit sa fierté. Non seulement parce que c’était un objectif atteint, mais également parce que ce numéro est perçu comme « magique, théâtralisé, et poétique » par le public. Elle ne s’arrête cependant pas là. Ses collaborations avec sa collègue Akémi Yamauchi, axées sur la grande illusion, montrent son envie de toujours pousser les frontières.
Ce qui frappe aussi avec la solaire Soria, c’est sa philosophie de vie. En discutant avec elle, on sent qu’elle mène une existence totalement en phase avec ses envies de rencontre, de partage, de plaisir et ses convictions artistiques. Sa quête n’est pas celle de la célébrité à tout prix, mais celle du partage authentique, qu’il s’agisse de ses collègues, du public ou même des animaux. « Je mène une vie d’artiste », affirme-t-elle. Et c’est cette authenticité, ce côté « décalé » de la vie d’artiste, qui la séduit. Pour Soria, la vie doit être « simple à vivre et simple à comprendre », une philosophie qu’elle applique sans doute à sa magie, la rendant accessible tout en conservant sa profondeur et son mystère.
Dans un monde saturé de numériques et d’illusions technologiques, Soria Ieng est un rappel vivant que la magie, dans son essence la plus pure, est une célébration de l’humain, de la poésie et de l’inattendu. Elle ne cesse de nous rappeler pourquoi nous avons tous été, un jour, séduits par la magie : ce sentiment de merveille qui défie la réalité et qui, pendant un instant, nous fait tous redevenir des enfants émerveillés.
Blois Capitale : Nous sommes en 2003, après un BTS tourisme, un emploi à la Maison de la Magie de Blois. Et c’est quoi le déclic ensuite ?
Soria Ieng : Les examens réussis, j’ai adressé mes candidatures à droite à gauche dans tous les sites touristiques, j’avais eu plusieurs réponses positives, et donc la Maison de la Magie. L’entretien s’était bien passé et je pouvais faire de la régie en plus de mon rôle d’accueil. Parce que moi, je suis une touche-à-tout. J’aime vraiment ça, je m’intéresse à un truc, je m’intéresse à un autre, c’est toujours ainsi. Donc je me suis dit : « Ah tiens, en plus de l’accueil, la régie son et lumière ce n’est pas mal, donc je vais choisir la Maison de la Magie ». Mais pas pour la magie en soi. Parce que petite, je n’avais pas vu des tours de magie, comme mes collègues, de Sylvain Mirouf à la télé… On allait au cirque, mais j’avais dû voir peut-être un magicien dans ma vie… et je m’en souvenais pas. J’avais des tours dans les Pif Gadget, ça je m’en rappelle… j’en avais 2-3 mais c’est tout. En fait je n’avais pas de culture magique. Et finalement, je l’ai découverte en rentrant dans cette Maison. En regardant les magiciens travailler sur scène, en étant à la régie son et lumière, j’avais accès à certains secrets. Je découvrais une manière de fonctionner et de réfléchir qui est très différente. Voilà, j’ai mis le pied dedans par ce biais là.
Pendant la saison tout se passe bien, je fais mon job d’accueil, de guidage et le déclenchement du son et de la lumière du spectacle. Et puis, en fin de saison, la Maison de la Magie faisait à l’époque un partenariat avec le haras national. Et il y avait prévu un spectacle mêlant art équestre et art magique, un spectacle commun. Une des deux danseuses-comédiennes-magiciennes se tord malheureusement sur scène la cheville. Il reste 2 semaines avant le spectacle. C’est un gros show avec des chevaux, du feu, des danseurs, beaucoup de choses. Et il y avait quatre scènes de magie comprenant deux grandes et moyennes illusions. On est venu me demander… on m’a dit : « Ecoute Soria, on voit que ça t’intéresse. Est-ce que ça te dirait qu’on te forme pour ce spectacle ? Tu es dans le milieu, tu connais maintenant un peu. Et puis tu connais les gens avec qui tu vas travailler… » Et bien, j’ai dit oui ! Et en 2 semaines, entre deux passages de touristes, j’avais Florence, des bureaux à l’époque, qui venait m’apprendre les chorégraphies. Il y avait un texte en voix off à suivre… J’ai perdu 2 kilos, en plus je n’avais pas pratiqué la danse depuis très longtemps. Et puis Arnaud Dalaine – qui est maintenant le directeur – m’a appris à l’époque les numéros de magie de ce spectacle. Il y avait entre autre une lévitation. Je m’envolais sur un tabouret. Je faisais une boule volante. Je disparaissais en descendant de mon Percheron. Bref, tout cela a été très rapide, mais j’ai été plutôt efficace.
Blois Capitale : Cette expérience s’est transformée en un coup de cœur ?
Soria Ieng : Oui, j’ai adoré. J’ai fait ce spectacle Apocalypse au haras deux fois, devant 1200 spectateurs lors d’un des deux spectacles. Je ne me rendais pas compte, c’était tout nouveau pour moi. J’y allais comme ça, c’était une expérience, je m’amusais, c’était cool… et puis j’étais très bien encadrée, ça m’a plu. Du coup j’ai acheté des bouquins, j’ai acheté mes premiers tours de magie, j’ai commencé à travailler aussi avec Arnaud. Ensuite, on a monté de la magie de salon en plus de mon travail d’accueil. Après j’ai postulé pour travailler sur la grande scène. Et j’ai été prise pour le le spectacle de 2006 dans le grand théâtre. J’avais déjà commencé dans le petit théâtre et la salle Robert-Houdin où j’étais en close-up. Ce qui est très bien parce que c’est hyper formateur. Je pense que j’ai eu de la chance d’avoir un un lieu comme ça dans ma ville, où je découvre une passion finalement. Six mois de l’année j’ai la chance d’être là, et chaque année on fait une création différente. Et j’ai pu travailler avec différents metteurs en scène, et ça, c’est top.
Blois Capitale : 20 ans de magie désormais. Comment résonne cet anniversaire ?
Soria Ieng : Quand je me retourne et que je regarde, quand je vois comment ça a commencé, les gens que j’ai côtoyés, les spectacles qui ont été montés, ce que j’ai appris… cela a été hyper riche ! Et j’étais hyper bien entourée. C’est-à-dire avec des gens bienveillants avec des conseils avisés qui se sont toujours penchés sur mon travail, à être dans la communication et l’échange non intéressé.
Grosso modo ma vie professionnelle est super sympa. J’ai rencontré des gens, j’ai croisé des associations de magie, et puis la Maison de la Magie, où j’ai travaillé avec James Hodges pendant 10 ans. Il nous a vraiment formés sur la scène à faire de la magie différemment. J’ai tout de suite été intégré en tant que magicienne et pas comme assistante ou partenaire. Et puis à l’époque alors j’étais jeune et un peu plus virulente… il ne fallait pas du tout me parler d’assistante ou de partenaire, cela me mettait en colère.
Blois Capitale : Justement, pourquoi la magie faisait une place d’assistante ou de partenaire aux femmes ?
Soria Ieng : C’est plutôt historique en fait. Il y a toujours eu beaucoup plus d’hommes en magie de spectacle que de femmes. Oui, les partenaires étaient principalement des femmes, plus fines pour entrer dans les boîtes, comme les enfants d’ailleurs. Robert-Houdin l’a bien fait avec son fils, le faisant apparaitre d’un carton à dessin ! Mais c’est une question de physique et aussi une question pratique parce qu’en général, ils prenaient leur femme. Il n’y avait pas besoin de payer une personne supplémentaire, c’était la même cagnotte. Il y avait ces deux aspects là. Puis, c’est resté, il fallait attirer, il fallait que ce soit festif, il fallait que ce soit attractif et il fallait que ce soit joli… Mais moi, à mes début en tant que magicienne, je ne voulais pas qu’on m’associe à l’assistante. Attention, je ne dénigre pas ce rôle, c’est simplement que ça n’était pas le mien. Il faut aussi le dire, les choses ont maintenant changé, j’ai vu l’évolution.
Blois Capitale : Dans ce contexte-là, vous voulez inspiratrice pour les filles séduites parla magie ?
Soria Ieng : Oui, quand les petites filles me disent qu’elles seront magiciennes, je suis contente. Et puis, le monde magique est moins macho qu’avant, elles y rentreront plus facilement. Je trouve ça super.
Blois Capitale : Un goût particulier pour les publics d’enfants ?
Soria Ieng : Oui, j’aime bien ce public. Parce qu’il est plus simple à comprendre. On va savoir tout de suite si ça leur plaît ou pas, si ils adhèrent ou pas… un adulte met des barrières. Moi, j’aime bien les gens qui s’expriment. J’aime bien savoir ce que pensent les gens. J’aime bien savoir si ça leur plaît ou non. Et puis les énergies qu’on ressent sont hyper intéressantes. Ça peut être du questionnement, ça peut être de la joie, ça peut être de la tristesse… Dans tous les cas, je trouve ça très enrichissant. C’est ce que je cherche en fait. Et la partie création j’adore. Pourquoi ? Parce que c’est là où on va chercher. C’est là où va se tromper, c’est là où on va se marrer parce que on va faire n’importe quoi, et on va en retirer 2-3 trucs, ça j’adore.
Blois Capitale : Des mentors, des influences claires ?
Soria Ieng : Oui, plein. Je ne suis pas sûre que cela vous parle beaucoup. A l’époque vers 2010 pour la grande illusion, j’aimais beaucoup Kalin and Jinger, je trouvais leur style très élégant et hyper glamour. Elle, c’était une danseuse à l’origine. Quelque chose se dégageait. Roberto Giobbi, Majax, Merlin, Gilles Arthur, James Hodges… font partie des livres de ma bibliothèque magique. J’aime aussi le travail de James Thierrée, artiste pluridisciplinaire avec ses spectacles complètement inclassables.
Blois Capitale : Quand on crée, il faut penser d’abord les tours ou plutôt l’histoire, puis intégrer l’illusion dedans ?
Soria Ieng : Alors ça, c’est le grand débat en ce moment entre nous. Ça dépend. On peut faire les deux. Des fois, je vais voir un tour, et je me dis qu’il faut que je le fasse, et comment je peux le présenter. Des fois je vais lire un poème, je vais voir une image, entendre de la musique, et il faut que je crée un tour.
Blois Capitale : Des rêves, des objectifs ?
Soria Ieng : Je suis passée au « Plus grand cabaret » avec la magie de l’eau en 2017. C’était un objectif que j’ai atteint. Il y avait plusieurs objectifs à l’époque, ils ont été accomplis. Aujourd’hui je continue de faire tourner tranquillement ce petit numéro qui a son succès. C’est magique, théâtralisé, et tout le monde le trouve très poétique. Je trouve ça top, parce que j’aime bien avoir ce retour là : original et poétique. Ça me convient bien. Voilà, je souhaite le faire vivre en France, et ailleurs, à mon rythme. Et puis, j’ai mes numéros avec ma collègue Akémi Yamauchi, c’est de la grande illusion. On a investi dans un peu plus de matériel pour faire des femmes coupées, et cetera.
Aussi je continue à travailler avec Arnaud (Dalaine). On a un spectacle qui s’appelle « Salon des mystères » qu’on fait tourner aussi tranquillement. Il s’occupe de tout ce qui est interactif et mentalisme. Et moi je m’occupe de tous les moments visuels et poétiques du spectacle, en musique ou en silence. Je m’amuse parce que je fais des choses différentes comme des ombres chinoises, c’est de la magie annexe, je travaille aussi avec ma colombe etc… Il y a plein de choses, il y a tellement de choses. Je dis toujours à mes collègues que je n’aurai jamais assez d’une vie pour faire tout ce qu’il y a à faire. Je ne m’ennuie jamais. Mon plaisir, c’est rencontrer des gens, la créativité, partager. Partager avec les enfants, avec les gens, avec les animaux. Je mène une vie d’artiste. J’aime son côté décalé. La vie doit être simple à vivre et simple à comprendre.