Tout savoir sur le Citron de Manet exposé au château royal de Blois

C’est un petit événement, un tableau d’Édouard Manet, prêté par le musée d’Orsay, est exposé dans le studiolo du château royal de Blois. Le fruit jaune représenté sur une assiette sombre, dans une simplicité apparente, est au centre d’une réflexion qui dépasse de loin les limites du cadre doré qui l’enchâsse. Ce prêt exceptionnel s’inscrit dans le programme national Cent œuvres qui racontent le climat, mené par le musée d’Orsay à travers la France. À Blois, ce citron trouve une résonance rare, à la fois dans l’histoire du lieu, dans son architecture, dans le paysage environnant, mais aussi dans la lecture contemporaine que l’on peut faire de l’œuvre.
C’est la deuxième fois que le musée d’Orsay organise une opération de cette ampleur à l’échelle nationale. Bastien Lopez, directeur du château, en explique la genèse : « C’est la deuxième fois que le musée d’Orsay fait ce programme à destination des musées à travers le territoire, pour mettre à disposition les collections nationales. Ça, c’est l’une de leurs missions permanentes, mais ils le font spécifiquement dans des thématiques. L’année dernière, c’était le 150e anniversaire de l’impressionnisme. Cette année, ils ont décidé de prendre comme thème le climat, puisque c’est un sujet qui parle à tout le monde et qui est tout à fait important pour le public d’aujourd’hui. » Une centaine d’œuvres ont été retenues pour être présentées dans trente-cinq sites à travers la France. Certains musées accueillent plusieurs tableaux. À Blois, une seule œuvre : le citron.

Le choix n’est pas le fruit du hasard. Il est ancré dans une proposition pensée pour le site blésois. « Nous avons proposé quelque chose autour de ce citron parce que cela fait sens en lien avec l’orangerie, qui est exactement derrière le studiolo où il est exposé. C’est a priori la première orangerie à avoir été construite en France, à la demande de Louis XII, par son jardinier Pacello da Mercogliano, qui est donc italien, ramené de Naples par Charles VIII dans le cadre des guerres d’Italie, et dans celui du réaménagement du château de Blois, qui devenait vraiment le cœur du pouvoir royal, et qui était réputé à travers l’Europe pour ses jardins. » Dans ces jardins, on plantait des espèces locales, mais aussi d’autres venues de plus loin, qui nécessitaient une protection particulière. « Notamment des agrumes, des citronniers, des orangers. Les princes de cette époque-là, de la Renaissance, étaient vraiment fascinés par ces fruits qu’on pouvait consommer, qui étaient acides et donc intéressants au goût, mais aussi visuellement attrayants. Ce jaune vif qui nous intéresse encore aujourd’hui, à l’époque il était aussi intéressant. »
Dans le studiolo, le lien se renforce. Ce lieu intime, aménagé sous François Ier, incarne l’humanisme de la Renaissance. « On y vient pour se délecter des belles pièces, des belles pièces créées par la nature — les naturalia — et celles créées par l’homme — les artificialia. » Le tableau de Manet s’insère dans cette tradition, tout en l’éclairant d’un jour nouveau. « Il y a une cohérence à avoir ce citron peint comme un bijou dans ce petit tableau, cette petite toile, ce petit cadre doré, et ce studiolo de François Ier. »

Cette cohérence se prolonge dans le traitement pictural lui-même. « Picturalement, c’est intéressant parce qu’Édouard Manet, c’est un peintre qu’on a pu qualifier d’inventeur du moderne, qui appartient à la marche de l’impressionnisme, mais il est dans ce contexte artistique où on redéfinit les contours de la peinture, les contours de la représentation d’une manière générale. » Le choix du citron dans cette période tardive de la carrière de Manet ne relève pas de l’anecdote. « Dans la nature morte, il est encore plus libre dans sa manière picturale de représenter les choses, de libérer sa touche picturale, de libérer ses compositions, et de trouver son inspiration dans l’histoire de l’art. On pense aux natures mortes flamandes évidemment, à la peinture espagnole du XVIIe siècle, Zurbarán par exemple. Mais il réinterprète tout cela d’une manière qui lui est absolument propre et extrêmement poétique. » Sur la fin de sa vie, Manet peint plusieurs petits formats : une botte d’asperges, des pêches, un citron. « Il a une attention extrêmement poétique et extrêmement intéressante à la manière dont sa touche large, son pinceau très chargé en peinture, arrive à restituer les volumes — ce qu’on appelle le modelé — mais aussi les lumières, pour mettre vraiment en avant ce qui surgit presque de son cadre. »
Ce surgissement d’un objet simple, presque banal, fait la force du tableau. « Le citron, c’est quelque chose d’extrêmement banal et d’exceptionnel, formidable en même temps. C’est ça, le génie de Manet : c’est l’un des premiers à faire, de vraiment pas grand-chose, quelque chose de profondément poétique. » Il n’y a pas, ici, la grande construction symbolique que l’on retrouve dans les natures mortes anciennes. Il y a la simplicité nue, portée à son acmé.

L’exposition est accompagnée, chaque dimanche à 17h30, d’un format court baptisé Les visites pressées. Elle se tient jusqu’au 28 juillet 2025. Son impact est suivi attentivement. Marc Gricourt, maire de Blois, espère qu’elle permettra de renforcer encore l’attractivité du site : « Évidemment, ça peut être quelque chose qui contribue à l’attractivité de ce château royal, qui, je le rappelle, est quand même le plus beau château royal du Val de Loire, » dit-il dans un sourire malicieux. L’édile souligne également l’importance d’un tel prêt pour l’accessibilité culturelle : « C’est une chance parce que tous les habitants de notre territoire n’ont pas forcément l’opportunité, l’occasion, la capacité à aller au musée d’Orsay. Pouvoir décentraliser des œuvres aussi riches que celles-ci dans d’autres territoires, c’est permettre de rendre plus accessible la connaissance culturelle des citoyens et des citoyennes. »
L’impact local est déjà mesurable, selon Cédric Marmuse, adjoint chargé de la médiation culturelle : « À chaque événement, on constate une mobilisation des Blésois, un mouvement réel, bien plus qu’un simple frémissement. Pour l’installation contemporaine d’Eness, en décembre dernier, il me semble que nous avions enregistré plus de 3 000 entrées avec le Pass Culture. » L’élu rappelle que celui-ci (plus de 15.000 ont été attribués) permet aux habitants de venir autant qu’ils le souhaitent dans les musées municipaux, ce qui favorise leur appropriation du château : « L’idée, c’est bien d’avoir des propositions qui s’ouvrent à l’extérieur, à d’autres publics, à des nouveaux publics, mais bien sûr aussi on s’adresse à nos Blésois. »
Durant trois mois, à Blois, un agrume posé sur une assiette noire va nous raconter à lui seul un pan entier d’histoire. « Cette année, il y avait vraiment une belle opportunité et un bel alignement des planètes, ou des citrons », plaisante le directeur du château, Bastien Lopez.