Vers un retour encadré de la baignade en Loire ?

Interdite depuis 1969 après un tragique accident près d’Angers ayant coûté la vie à 19 enfants, la baignade en Loire continue pourtant d’attirer chaque été des centaines de personnes, malgré l’interdiction et les dangers bien réels du fleuve. Les courants puissants, les fonds mouvants et les phénomènes comme les « culs de grève », ces poches de sable instables qui s’effondrent soudainement sous le poids d’un baigneur, font de la Loire un environnement particulièrement dangereux.
Face à ce constat, une réflexion s’engage sur l’éventualité de rouvrir des zones de baignade sécurisées, encore plus dans une ère de réchauffement climatique. Lors du Café Géo organisé vendredi dernier par l’Observatoire Loire, le débat a permis d’éclairer la complexité du sujet. Trois intervenants, Christophe Degruelle, président d’Agglopolys, Bruno Marmiroli, directeur de la Mission Val de Loire, et Lionel Guivarch de la DDT ont apporté des éclairages sur l’histoire de la baignade en Loire et son interdiction, les risques du fleuve et les perspectives d’expérimentations dans d’autres villes comme Tours.

La Loire, un fleuve imprévisible
Alain Amiot, directeur de l’Observatoire Loire, rappelle que la Loire est un fleuve que l’on ne maîtrise pas. Sa morphologie évolue en permanence, modifiant ses bancs de sable et créant des zones instables. Ce qui peut sembler sûr aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain.
L’un des dangers les plus sournois du fleuve est le phénomène des culs de grève. Ces poches de sable, en apparence solides, peuvent s’effondrer sous les pieds des baigneurs, les faisant tomber dans des fosses d’eau profonde. « On ne la connaît pas assez, on ne la comprend pas assez. La Loire est en perpétuel mouvement, elle change constamment de configuration », insiste Alain Amiot.
Encadrer plutôt qu’interdire ?
Malgré ces dangers, la baignade sauvage existe bel et bien. Il suffit d’observer les jeunes plongeant depuis les piliers du barrage ou se jetant à l’eau dans des endroits non surveillés pour s’en convaincre. Pour le directeur de l’Observatoire Loire, la question n’est donc pas d’autoriser ou non la baignade, mais bien d’organiser une alternative sécurisée pour éviter que des accidents ne se produisent.
Car la Loire reste profondément ancrée dans l’identité locale. Le besoin de renouer avec le fleuve est réel, et ce lien ne se limite pas aux pratiques de navigation ou de pêche. La baignade en fait aussi partie, d’autant plus que des projets émergent ailleurs, notamment à Tours, où une réflexion est en cours pour aménager des espaces sécurisés.
Le lac de Loire, un site privilégié ?
Si une réouverture de la baignade devait avoir lieu, elle nécessiterait un site approprié. Le lac de Loire, avec son nouveau projet, est régulièrement cité comme une option viable. « Le lac de Loire a peu évolué en 50 ans. Son environnement est stable et il offre une configuration plus sécurisante. Il y avait une baignade ici auparavant, ce n’est pas un hasard. Ce qui est intéressant, c’est que nous avions autour de la table des acteurs institutionnels qui peuvent agir : la Direction Départementale des Territoires, avec Patrice François, qui a une vision très pragmatique des choses, et Christophe Degruelle, président d’Agglopolys, qui nous a dit clairement qu’il était favorable à une réflexion sur la baignade et qu’il y avait des possibilités à explorer. »

L’idée d’une baignade surveillée au lac de Loire s’appuierait sur une configuration qui offre des conditions plus stables qu’en plein fleuve. Mais encore faut-il vérifier la qualité de l’eau, ce qui relève de l’Agence Régionale de Santé (ARS). « Il n’y a pas de raison que l’eau ici soit différente de celle de Tours, où des analyses sont faites. Nous savons qu’en Loire, il peut y avoir des cyanobactéries, mais ce sont des choses qui peuvent être mesurées. »
Un projet réaliste à moyen terme ?
Si les acteurs locaux s’accordent sur la nécessité de poser le débat, la mise en place d’une baignade en Loire nécessiterait plusieurs étapes : identifier un site adapté, avec une profondeur maîtrisée et une absence de forts courants ; obtenir un cadre sanitaire clair ; équiper le site avec des infrastructures sécurisées comme des pontons ou des filets anti-courants ; prévoir une surveillance, avec des maîtres-nageurs et un périmètre strictement encadré.
Pour Alain Amiot, « une expérimentation pourrait être menée d’ici deux ou trois ans. Ce n’est pas insurmontable. Les collectivités ont montré une ouverture, et nous savons qu’il y a des solutions. Ce qui manque aujourd’hui, c’est une décision politique. » Il rappelle toutefois que cette réflexion ne signifie pas une baignade généralisée dans toute la Loire. « Il ne s’agit pas de dire que la Loire n’est plus dangereuse. Elle l’est et elle le restera. Mais il y a des endroits où l’on peut envisager une baignade encadrée. »

Un pas vers une réappropriation du fleuve ?
Le débat autour de la baignade en Loire s’inscrit dans une réflexion plus large sur le rapport au fleuve. Pour Alain Amiot, la Loire demeure centrale dans nos vies. « Nous avons toujours eu un rapport fort à l’eau. Ce n’est pas un hasard si les gens veulent y retourner. La baignade en Loire, c’est aussi une histoire d’émotion, un besoin de connexion avec le fleuve. L’enjeu, c’est de canaliser ce besoin et d’éviter les drames. »
Si le projet d’une baignade encadrée aboutit, il marquera une transformation majeure du rapport des Blésois à leur fleuve. « On s’approprie un territoire quand on le comprend et qu’on y vit pleinement. Si demain, on peut dire ‘je me suis baigné en Loire, en toute sécurité’, alors on aura réussi. »