BDCultureVie locale

A Blois, au CRDM, les illustrés jeunesse plongés dans la guerre

Dans le cadre d’une collaboration avec la Maison de la BD, le Centre de la Résistance, de la Déportation et de la Mémoire (CRDM) accueille jusqu’au 4 mai l’exposition Les illustrés en temps de guerre. Cette présentation explore la place de la presse enfantine dans les deux conflits mondiaux du XXe siècle.

À la veille de la Première Guerre mondiale, la presse illustrée pour la jeunesse connaît un essor sans précédent. Dans La Semaine de Suzette, hebdomadaire destiné aux jeunes filles, Bécassine devient un personnage engagé, mis au service du moral des troupes. Plusieurs épisodes – Bécassine pendant la guerre, Bécassine chez les Alliés, Bécassine mobilisée – sont publiés en albums. De leur côté, Croquignol, Filochard et Ribouldingue, héros des Pieds Nickelés dans L’Épatant, abordent le conflit sur un tout autre ton. Ils tournent en dérision l’ennemi allemand dans une veine résolument comique, parfois satirique, que le lectorat populaire apprécie pour son irrévérence. L’humour s’y déploie comme une forme de résistance symbolique.

Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, la presse jeunesse se trouve confrontée à de nouveaux impératifs. Après la débâcle de juin 1940, elle passe progressivement sous le contrôle de l’occupant. Certains éditeurs quittent Paris pour s’installer en zone libre ; d’autres tentent de survivre en zone occupée, mais finissent souvent par disparaître. Le contexte éditorial devient plus fragmenté. Le Journal de Mickey continue de paraître jusqu’en 1944, fusionné avec Hop-là !. D’autres titres comme L’Audacieux, Robinson ou Spirou poursuivent leur parution malgré des conditions de production extrêmement difficiles. L’Audacieux, qui adopte un ton plus orienté vers l’aventure, est diffusé jusqu’en août 1942 après avoir transféré sa publication en zone sud. Spirou, né en Belgique en 1938, résiste un temps à la censure avant d’être suspendu à l’automne 1943. Il ne reparaît qu’en octobre 1944.

Dans la zone occupée, certains journaux bénéficient d’un soutien appuyé des autorités allemandes. Le Téméraire, lancé en janvier 1943, atteint une diffusion importante grâce aux moyens conséquents mis à sa disposition. Sa ligne éditoriale, ouvertement collaborationniste, s’aligne sur l’idéologie nazie. Le journal véhicule, à travers ses récits illustrés, des messages antisémites et xénophobes, au moyen d’une production graphique soignée, réalisée notamment par Erik et Liquois.

Le régime de Vichy n’est pas en reste. Avec Fanfan la Tulipe ou Cendrillon, la presse enfantine devient un relai de l’idéologie de la Révolution nationale. Fanfan la Tulipe se présente comme « ton journal petit Français », selon une formule qui témoigne de sa visée patriotique, mais dans un cadre exclusif, marqué par des références antisémites et xénophobes. Les éditions Littéraires de France, qui le publient, étaient dirigées par François Sant’Andréa, partisan du maréchal Pétain.

D’autres journaux, comme Pic et Nic, s’inscrivent dans une dynamique plus neutre, voire consensuelle. Créé à Vichy, ce périodique obtient l’autorisation de continuer à paraître après la Libération. Il est l’un des rares journaux jeunesse publiés sous l’Occupation à bénéficier d’une telle mesure. Sa parution se poursuit jusqu’en 1948, après une interruption d’un an.

À la Libération, des titres emblématiques incarnent un renouveau, fondé sur l’esprit de résistance. Coq Hardi, lancé à Clermont-Ferrand en 1944, s’inscrit dans la continuité du journal clandestin Le Corbeau déchaîné, créé par Marijac pour soutenir le moral des maquisards. Après une interruption, il reparaît en avril 1946, soutenu notamment par Dominique Ponchardier. Vaillant, fondé en juin 1945 par le Parti communiste français, prend la suite du Jeune Patriote. Il se distingue par l’importance accordée à la Résistance dans ses récits. Son équipe éditoriale rassemble d’anciens résistants comme Roger Lécureux. Paradoxalement, plusieurs de ses illustrateurs ont collaboré à des journaux publiés pendant l’Occupation, ce qui témoigne aussi de la complexité du paysage éditorial d’après-guerre. En 1969, Vaillant devient Pif Gadget, en hommage à Pif le chien, personnage de José Cabrero Arnal.

CRDM de Blois

Au fil de la visite, le parcours proposé par le CRDM et la Maison de la BD dévoile un pan méconnu de l’histoire de la bande dessinée en France. Ces journaux sont les reflets d’une époque troublée, des outils de persuasion, mais aussi, parfois, de résistance. Cette petite exposition met en lumière la manière dont les jeunes lecteurs ont été pris à témoin – et à partie – dans les guerres du siècle dernier.

Votre annonce sur Blois Capitale

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page
Blois Capitale

GRATUIT
VOIR