CultureEntretiensLes échos littéraires d'Annie HuetLittérature

Claire Berest : « J’ai plongé dans le cerveau de l’homme qui va basculer »

Mercredi dernier, au prestigieux « Fleur de Loire », Annie Huet a reçu dans une salle comble l’autrice Claire Berest, qui a publié « L’épaisseur d’un cheveu » (Albin Michel).

Ce roman est centré sur Etienne, correcteur dans l’édition, et sa femme Vive, décrite comme fantasque. Ils vivent à Paris et apprécient la culture, fréquentant des vernissages et des concerts classiques. Leur relation est décrite comme solide et amoureuse, un couple parfaitement assorti depuis dix ans. Cependant, l’histoire prend une tournure tragique lorsqu’un événement apparemment minime, comparé à l’épaisseur d’un cheveu, provoque des conséquences dévastatrices, semblables à un cyclone. Ce tournant conduit Etienne sur un chemin tragique vers la folie du féminicide. Ou mieux dit, uxoricide, quand un mari tue son épouse.

« Dans mes interviews et rencontres, j’ai longtemps utilisé le terme plus neutre d’homicide conjugal, peut-être par défensive. Pourquoi n’utilisais-je pas le terme ‘féminicide’? Je pense que c’est un terme très important dans le combat pour la reconnaissance de cette réalité, car il cristallise une prise de conscience collective. Ce terme, porté par les journalistes, les spécialistes, a permis de remettre ce combat au centre des discussions. Avec ‘féminicide’, on sait immédiatement de quoi on parle, a commenté Claire Berest au micro d’Annie Huet. Le terme renvoie directement à la question de genre. Il met en lumière une dynamique particulière entre hommes et femmes, passant de la subjectivité amoureuse à l’acte d’homicide au sein du couple. Durant mes recherches pour mon roman, j’ai été frappée par certains chiffres et faits. J’ai découvert des cas de bascule vers la violence sans antécédents connus. Cela m’a amenée à me concentrer sur des cas spécifiques sans antécédents de violence, car ils soulèvent des questions importantes sur le genre et le danger potentiel pour la société. Cela concernerait deux tiers des cas. Ces hommes, souvent perçus comme sympathiques par leurs voisins, posent la question de la subjectivité dans les relations amoureuses. Pourquoi certains hommes en viennent-ils à anéantir la personne qu’ils ont aimée, qu’ils ont choisi parfois pour toute leur vie? Ce questionnement m’a conduit à explorer cette thématique dans mon livre, cherchant à comprendre la dynamique complexe au sein des couples, la bascule, et l’importance de reconnaître le féminicide comme un phénomène distinct et sérieux. »

Le crime dans le roman se fait avec 37 coups de couteau… pourquoi cette violence indescriptible ? « Et encore j’ai été prudente dans ma démarche, consultant plus d’une vingtaine de dossiers sur de réels homicides conjugaux. J’ai cherché des motifs récurrents afin de tracer le parcours tragique typique de ces événements. Ce que j’ai constaté, c’est qu’au moment du crime, il y a souvent une frénésie dans l’acte de tuer, atteignant un paroxysme absolu, avec des armes d’opportunité quand ce n’est pas prémédité, a expliqué la romancière. Dans mes recherches, j’ai observé que, souvent, les auteurs n’avaient pas d’antécédents de violence. C’est récurrent, il faut le souligner. Je tente de comprendre ce qui déclenche ces gestes répétitifs et destructeurs. Comprendre ce qui se passe dans ces minutes, ces heures critiques est crucial. Parfois, il semble qu’il y ait besoin d’une sorte de décharge émotionnelle dans un geste aussi extrême. Les criminologues spécialisés dans le domaine conjugal parlent d »overkill‘, un terme anglais désignant une violence excessive, allant au-delà de ce qui serait nécessaire pour tuer. Pourquoi ces gestes confinent-ils à l’anéantissement ? C’est une question clé dans la compréhension de ces homicides conjugaux. »

Dans la construction de ce roman, nous explorons en particulier l’homme au centre de l’histoire, dont le prénom est Étienne. « Lors de la création d’un roman, il y a plusieurs étapes clés. En ce qui me concerne la première est la phase de recherche, qui est fondamentale avant d’écrire quoi que ce soit. Il s’agit de s’immerger dans les sujets à explorer. Comme nous ne sommes pas spécialistes, cette étape est essentielle pour ne pas trahir les personnages et rester fidèle à leur essence, a déclaré Claire Berest. Ensuite, vient la composition du texte, où l’on décide comment construire l’histoire qui nous occupe depuis un certain temps. Chaque choix effectué dans le récit influence la manière dont il sera perçu, avec sa subjectivité propre. Ces choix sont comme les fondations d’une maison ; ils définissent la structure de l’œuvre. Dans ce cas précis, j’ai choisi une forme narrative étouffante, presque claustrophobique, pour refléter la dynamique du couple au cœur de l’histoire. Je voulais créer une atmosphère similaire à une tragédie grecque, avec une unité de temps et d’action. Pour cela, j’ai mélangé différentes voix narratives pour encercler et presque étrangler le personnage d’Étienne, trois jours avant et deux jours après. J’ai plongé dans le cerveau d’Etienne, l’homme qui va basculer. L’objectif était de présenter les quelques jours précédant l’homicide du point de vue d’Étienne, en respectant sa subjectivité. La terreur va arriver, je l’écris tout de suite pour éviter tout suspense macabre. Ce n’est pas un polar, c’est un roman psychologique. Il y a ce pacte avec le lecteur dès la première page, elle ne s’en sortira pas. Les deux jours d’après sont ceux de la garde à vue avec deux officiers de la police judiciaire qui vont tenter d’amorcer un récit avec Etienne pour qu’il raconte ce qu’il s’est produit. Les deux récits sont en parallèle pour que nous trouvions du sens, avec ce point culminant, une forme d’asphyxie. »

Ce riche entretien s’est poursuivi pour le plus grand bonheur de l’auditoire. Mais allons désormais à la conclusion. Annie Huet a demandé : « Que penses-tu des gens qui ne lisent pas ? » Et cette réponse de Claire Berest a fusé : « C’est fabuleux parce qu’ils ont la possibilité de s’y mettre à un moment donné. Ils vont être extrêmement heureux, j’ai envie de les accompagner tous. »

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