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Mathieu Boogaerts : « Je me sens immensément privilégié »

À l’occasion de la sortie de son neuvième album Grand Piano, Mathieu Boogaerts sera en concert au Chato’do, à Blois, ce vendredi à 20h30. Le chanteur à l’univers singulier, tout en retenue et en finesse, y présentera ses nouvelles chansons entouré d’un groupe de musiciens. À quelques jours de ce rendez-vous, il a accepté de répondre à une série de questions posées par Stéphanie Bardoux pour Blois Capitale. Un échange sincère, à l’image de sa musique.


Blois Capitale : Quel enfant étiez-vous ? Et quand avez-vous compris que la musique, les mots, seraient votre moteur ?
Mathieu Boogaerts : Il y a l’enfant que j’étais et l’enfant que je crois avoir été. Avec le temps, on filtre ses souvenirs. Si j’avais dix ans tout de suite, je serais sûrement surpris. L’image que j’ai de moi à cet âge n’est peut-être pas fidèle à la réalité. En tout cas, j’ai le souvenir d’avoir été un enfant gentil… je crois. Rêveur, c’est un peu cliché, mais sans doute juste. J’ai détesté l’école, vraiment. C’était une souffrance, et je la déteste encore. J’étais plutôt seul, enfant unique, et assez rieur. J’ai commencé la musique vers cet âge-là, mais c’est vers 16-17 ans que j’ai assumé vraiment vouloir en faire mon métier. Je ne voulais pas être batteur ou guitariste, je voulais être devant. Être chanteur. Pas musicien accompagnateur, mais celui qu’on accompagne.


Quand vous écrivez pour d’autres, est-ce un plaisir différent ?
Mathieu Boogaerts : J’écris assez peu pour les autres, mais je l’ai fait. Et je le fais avec autant de plaisir, d’ambition, d’épanouissement. Avant de m’y essayer, je pensais que ce serait peut-être frustrant. Je me suis souvent demandé comment les plasticiens vivaient la séparation avec leurs œuvres. Une chanson qu’on donne, c’est un peu ça. Mais non : je trouve que ça lui donne une deuxième vie. Ce n’est pas un plaisir secondaire.


Votre écriture semble convoquer des émotions très liées à l’enfance. Est-ce une recherche volontaire ?
Mathieu Boogaerts : Non, rien n’est volontaire. Ce n’est pas intellectuel. J’écris comme ça vient. Je gratouille beaucoup, j’improvise à la guitare sans chercher à faire une chanson. Et parfois, une suite d’accords me touche, et là, je me mets à chanter spontanément. Ce n’est pas du yaourt, ce sont de vrais mots. La mélodie convoque un champ lexical. Je ne me dis pas : « Tiens, je vais faire un truc enfantin » ou « Je veux parler de ceci ou cela ». Une phrase sort, souvent juste, posée parfaitement sur la mélodie. C’est elle qui donne le ton, le champ lexical, l’émotion, la direction.


Vous diriez que c’est une forme d’écriture inconsciente ?
Mathieu Boogaerts : Oui. Par exemple, « On dirait que ça pleut », cette phrase m’est venue toute seule. Elle aurait pu être autre. Mais elle m’a évoqué une pluie salvatrice, une pluie attendue. Pas une phrase pensée, mais une image immédiate. Une chanson peut partir de là, comme un croquis d’où naît une forme qui donnera envie de faire un tableau. Je m’efforce de rester fidèle à cette première impression, cette unique saveur. Je veux qu’une chanson cerne quelque chose, qu’elle garde son identité. Je n’ai pas envie d’un trop-plein de métaphores ou de sujets. Pour arriver à quelque chose qui parait simple, c’est énormément de travail.


Oui, on imagine que cela demande beaucoup de travail…
Mathieu Boogaerts : Oui, des heures et des heures. Le premier jet vient vite, toujours. Mais pour le développer, c’est long. Il y a des fulgurances, puis ça s’arrête, puis je reprends, j’efface, je recommence. C’est normal, c’est le temps qu’il faut. Et je l’assume.


On a vu sur vos réseaux des extraits de travail, des bribes de morceaux en gestation. C’est fascinant à regarder.
Mathieu Boogaerts : Merci. Ces stories ne sont pas planifiées. Pendant la production du disque, dès qu’un moment me semblait un peu fort, j’enregistrais un petit film. Mais ce n’est pas du tout exhaustif. Il y a énormément d’étapes qui ne sont pas documentées. Il aurait pu y en avoir beaucoup plus.


La question de la couleur revient souvent dans votre univers : dans les sons, dans les visuels, sur scène… Comment l’abordez-vous ?
Mathieu Boogaerts : « Couleur », en musique, c’est un mot qu’on utilise souvent. Il y a la couleur des mots, la couleur du son. Les mots, je les choisis en fonction de leur sens et de leur son. Il faut que ça sonne et que ce soit juste. Je me fous des règles : parfois, une rime au milieu du vers est plus vivante que si elle était à la fin. Je ne me base que sur mon oreille. Quand c’est bon, c’est bon… Visuellement aussi, la question se pose. Qu’est-ce que je porte ? Un perfecto noir ? Un tutu ? Tout nu ? Un costume ? Je choisis ce qui me plaît, ce qui m’attire. Je ne peux pas dire pourquoi je choisis une chemise jaune plutôt que des damiers. Mais je le sens. Ce qui est sûr, c’est que sur scène, j’aime la simplicité. Je suis mauvais public de concert : si j’ai faim, froid, trop chaud, si un détail me perturbe visuellement – une marque trop voyante sur un instrument par exemple –, ça me sort de l’écoute. Donc je simplifie. Je ne veux pas que trop de choses sollicitent le cerveau, les oreilles, les yeux. Des couleurs simples, des décors épurés.


Même vos respirations sont audibles dans vos morceaux. Est-ce un choix ?
Mathieu Boogaerts : Oui. Ce sont des choix. Tout ce que vous entendez est choisi. Rien n’est laissé sans validation. Même si je ne décide pas au départ de garder un souffle, j’assume de le laisser, sans le revendiquer. Comme un coup de crayon qu’un peintre ne prévoit pas mais choisit de conserver parce qu’il donne de la vie.


Votre discographie comprend souvent une chanson sur l’instant présent, la gratitude, la beauté du quotidien. Qu’est-ce que vous ressentez aujourd’hui en regardant votre parcours ?
Mathieu Boogaerts : Je ne suis pas du tout croyant, pas mystique. Personne n’est plus rationnel que moi sur cette Terre. Dans la chanson Merci, quand je dis « merci je ne sais qui », ce n’est pas adressé à une entité supérieure. Je vois le verre à moitié plein trois jours sur cinq, et à moitié vide deux jours sur cinq. Je me sens immensément privilégié. Depuis trente ans, je fais exactement la musique que je veux, les pochettes que je veux, les concerts que je veux. Et je gagne correctement ma vie. Mais j’ai aussi des frustrations. Pas tant artistiques que de notoriété : je pense que plein de gens pourraient aimer mon travail, mais ne savent même pas qu’il existe. Des fois je suis frustré. Je ne suis pas snob. Si Michel Drucker m’invitait demain, j’irais en courant.


Enfin, parlons du concert de vendredi à Blois. Comment l’avez-vous construit ?
Mathieu Boogaerts : Toutes mes chansons naissent à la guitare. Après, sur disque, je fais des choix. Mais un morceau pourrait être reggae, rock, valse, acoustique, électronique… tout est possible. Le disque, c’est une proposition. Et en concert, je ne cherche pas à tout changer pour changer. Mais c’est l’occasion de faire autrement, selon les musiciens. Là, c’est une tournée en groupe, ce que je n’avais pas fait depuis longtemps. Et j’ai un groupe génial : basse, batterie, guitare, clavier, avec des chœurs. Ils ont du style, ils sont au service de la chanson. C’est un vrai plaisir.


Enfin, un mot pour votre public fidèle, qui vous suit parfois depuis vos débuts ?
Mathieu Boogaerts : C’est difficile, parce que vous répondre, ce serait comme reconnaître que j’ai conscience d’avoir un public qui me suit. Quand je monte sur scène, je m’adresse à « le public », une entité. Certains découvrent, d’autres sont là depuis un an, d’autres depuis vingt ans. D’autres ont arrêté et reviennent. Ce n’est pas un club privé. Mais oui, bien sûr, ça me fait très plaisir de savoir que des gens me suivent.


Le concert de Mathieu Boogaerts a lieu ce vendredi 20h30 au Chato’do, à Blois. Tarifs : de 16 à 23 €. Concert sans première partie. Propos recueillis par Stéphanie Bardoux pour Blois Capitale. >> billetterie.chatodo

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