Réflexions maçonniques sur la ville et ses transformations
« La ville et les francs-maçons : des hommes et des lieux »… Lors d’une conférence organisée par « Culture et Patrimoine Maçonnique en Région Centre » (CPMRC) ce dimanche 13 octobre 2024, les architectes et chercheurs Nicolas Balmy et Xavier Malverti ont livré une réflexion sur la ville et ses transformations. Cet événement, modéré par la journaliste Corinne Prezelj, s’inscrivait dans le cadre des Rendez-vous de l’Histoire, dont le thème 2024 était la ville. À travers une perspective maçonnique, les intervenants ont analysé la manière dont la ville se construit, non seulement physiquement, mais aussi symboliquement, tout en questionnant les principes de liberté, égalité et fraternité qui devraient être au cœur de toute conception urbaine.
La ville, vecteur de symboles
Dès le début de la conférence, Nicolas Balmy souligne donc un aspect fondamental : la ville est un vecteur de symboles. En conséquence, pour les francs-maçons, la ville représente bien plus qu’un agencement de bâtiments et d’infrastructures. Elle est le reflet des idées, des valeurs et des aspirations des sociétés qui l’ont bâtie. La ville, selon Balmy, doit incarner des principes universels.
La notion de temps long : une démarche maçonnique
En outre, la ville doit être pensée sur un temps long, une façon de procéder qui s’apparente à une démarche maçonnique. Construire une ville ne peut se faire dans l’urgence ou la précipitation. Cette réflexion s’inscrit dans une tradition maçonnique où chaque pierre posée est pensée dans une perspective de durabilité et de soutien au bien commun. Il s’agit d’un processus évolutif qui prend en compte les leçons du passé et anticipe les besoins du futur.
Dans cette vision, la ville n’est pas simplement un produit de son époque, mais un organisme vivant qui se transforme au fil des siècles. Cette transformation doit se faire de manière réfléchie, en respectant les cycles naturels et sociaux. La planification urbaine, bien que nécessaire, doit laisser de la place à l’évolution spontanée et aux adaptations que les habitant.es apportent par leurs usages et leur créativité.
Ordo ab Chao
Ainsi, les conférenciers ont observé l’existence d’un balancier constant entre la planification et le développement organique spontané. Nicolas Balmy a expliqué que la ville, lorsqu’elle est planifiée dans les moindres détails, peut perdre son dynamisme et sa capacité à répondre aux besoins des habitants. À l’inverse, une ville qui se développe sans aucune organisation peut sombrer dans le chaos. L’équilibre réside dans une coexistence entre ces deux pôles pour tendre vers ce mantra : Ordo ab Chao.
Ce balancier est également visible dans l’histoire urbaine, comme l’a rappelé Xavier Malverti. Il a illustré ce phénomène à travers des exemples de villes médiévales, où des développements spontanés ont été suivis de grandes périodes de planification structurée. Ces phases alternées de croissance organique et de régulation permettent à la ville de rester un espace vivant, capable d’intégrer à la fois des innovations architecturales et des usages quotidiens diversifiés.
Xavier Malverti a insisté sur l’idée qu’une ville est en permanence un bricolage d’éléments disparates, où le chaos apparent peut parfois engendrer un ordre inattendu. Il a donné l’exemple des bidonvilles qui, laissés à eux-mêmes, peuvent se transformer en véritables villes à part entière, pour peu que quelques infrastructures de base soient mises en place. Ce processus montre que l’ordre peut émerger sans qu’une autorité centrale ne doive tout réguler.
Cette vision rejoint l’idée que la ville est avant tout une construction collective. Chacun y apporte sa contribution, que ce soit par la manière dont il utilise les espaces ou par les interactions qu’il crée avec les autres habitant.es. En ce sens, la ville n’a pas besoin d’une organisation rigide pour fonctionner. Elle doit plutôt permettre à ses habitants d’agir librement, de se réapproprier l’espace public, et de participer activement à la construction de leur environnement.
Le sens perdu de l’espace public
L’un des concepts les plus importants évoqués durant la conférence concerne la relation entre le bâti et le vide dans la ville. Pour Balmy, « le bâti génère du vide, et ce vide, c’est l’espace public ». Ce vide, loin d’être un simple espace interstitiel, est le cœur de la ville. C’est là que se tissent les relations sociales, que se déploient les échanges économiques et culturels, et que se vit la citoyenneté. Il a souligné que l’espace public est essentiel à la liberté, à l’égalité et à la fraternité : ces valeurs fondatrices doivent trouver leur expression dans des lieux ouverts, partagés par toutes et tous.
Cependant, dans la ville contemporaine, cet espace public semble avoir perdu son sens. Souvent accaparé par les voitures, les flux marchands ou des intérêts privés, il n’est plus le lieu de rencontre, de débat et de solidarité qu’il devrait être. Selon les intervenants, la ville d’aujourd’hui a parfois oublié le rôle fondamental de ses espaces publics. Ces lieux ne devraient pas être perçus comme de simples passages fonctionnels, mais comme le ferment de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. C’est dans ces espaces que se créent les conditions d’une ville inclusive, où chaque habitant.e peut trouver sa place.
Dense mais durable et désirable
La conférence s’est conclue sur un appel à réenchanter l’espace public. Pour cela, il est nécessaire de repenser la ville, non pas uniquement comme un ensemble de bâtiments, mais comme un organisme vivant, en perpétuelle évolution, où le dialogue entre planification et développement spontané permet à chacun de trouver sa place.
Ce dialogue est au cœur de la démarche maçonnique, qui prône la liberté d’agir, l’égalité des acteurs, et la fraternité dans l’action collective. La ville, dans cette perspective, n’est pas seulement un lieu de vie, mais un espace symbolique où s’incarnent les idéaux humanistes qui traversent l’histoire.