Véronique Ovaldé : « L’imperfection, c’est ce qui nous rend humains »
Depuis ses débuts dans la littérature, Véronique Ovaldé s’est distinguée par un style unique mêlant réalisme, poésie et fantaisie. Son œuvre, riche et éclectique, explore souvent des thèmes comme la quête de liberté, la complexité des relations humaines, et les fêlures intimes qui façonnent nos vies. Elle était la première invitée de la saison d’Annie Huet, à l’Hôtel de Ville de Blois, l’idée étant de présenter À nos vies imparfaites (Flammarion), un recueil de nouvelles. Ce livre, lauréat du Prix Goncourt de la nouvelle en 2024, est composé de huit histoires interconnectées, qui explorent les vicissitudes de la vie quotidienne à travers des personnages dont les trajectoires se croisent de manière subtile.
Retrouvez en vidéo (en haut de page), et ci-dessous par écrit des extraits de l’entretien entre Annie Huet et Véronique Ovaldé.
Annie Huet : Véronique, ça me fait vraiment plaisir que tu sois là. Souvent, la première autrice que je reçois dans l’année devient un peu la marraine de l’année littéraire. L’année dernière, c’était Dominique Barbéris, et cette année, c’est toi. Nous sommes très fiers, et je sens que ce sera une année joyeuse. J’ai lu quelque part que François Bégaudeau t’avait appelée « la petite fée des lettres ». Moi, je t’aurais plutôt surnommée « la grande sorcière des histoires ».
Véronique Ovaldé : (rires) Oui, c’est vrai que ça sonne bien aussi. La petite fée, ça me plaît aussi, ça évoque quelque chose de léger et magique, comme dans Peter Pan. Mais sorcière, ça bouge un peu plus, c’est vrai… Les deux me plaisent.
Annie Huet : Oui, mais on sait tous que tu es une formidable raconteuse d’histoires. Ce recueil À nos vies imparfaites, est-ce vraiment ton premier recueil de nouvelles ?
Véronique Ovaldé : Oui, c’est vraiment le premier. J’avais fait, il y a quelques années, à la demande d’un éditeur, trois nouvelles qui avaient été publiées dans des revues, donc des nouvelles de commande. Elles avaient un petit lien entre elles, mais c’était une petite chose à la demande d’un éditeur. Là, c’est complètement différent, parce que ce n’est pas une commande, c’est moi qui ai décidé d’écrire un recueil de nouvelles.
A.H. : Comment en es-tu venue à écrire ce recueil de nouvelles ? Ce n’est pas une forme que tu privilégiais auparavant.
V.O. : En janvier 2023, j’avais publié Filles en colère sur un banc de pierre, un roman qui m’avait pris quatre ans à écrire. Entre Filles en colère sur un banc de pierre et le roman précédent, Personne n’a peur des gens qui sourient, il s’est écoulé quatre ans, et pour plein de raisons. Je me suis dit que je n’allais pas replonger tout de suite dans un autre roman, car écrire un roman, c’est extrêmement colonisant. Vous écrivez la nuit, vous vous levez à trois heures du matin, et parfois vous vous demandez « à quoi bon ? ». Chaque jour, je me demande si j’ai toujours envie de continuer. C’est comme une cicatrice que l’on touche pour voir si elle fait encore mal. Donc, au lieu d’écrire un roman, j’ai décidé d’écrire des nouvelles.
A.H. : Et ce recueil, c’est un tout. Les nouvelles s’emboîtent entre elles…
V.O. : Oui, c’était important pour moi que les nouvelles ne soient pas indépendantes les unes des autres. Je voulais qu’elles soient architecturées, qu’elles se répondent, qu’elles forment un ensemble, comme une constellation. C’est quelque chose que j’avais en tête depuis longtemps. L’idée vient en partie du film Short Cuts de Robert Altman, basé sur des nouvelles de Raymond Carver. Altman a créé des liens souterrains entre ces histoires, et cela correspond à cette magie des coïncidences qui m’a toujours fascinée. Un événement vu sous plusieurs angles, plusieurs personnages qui se croisent et se perçoivent différemment… C’est ce que je voulais faire avec ce recueil.
A.H. : C’est fascinant, cette manière de tisser des liens. Et tu parles souvent de nos imperfections, d’où le titre À nos vies imparfaites. Pourquoi ce titre ?
V.O. : J’avais envie d’un titre qui soit comme un toast, une manière de trinquer à nos vies imparfaites. Parce qu’au fond, qui a une vie parfaite ? Ce sont nos imperfections, nos ratés qui nous définissent aussi. L’imperfection, c’est ce qui nous rend humains. Et c’est souvent ce qui est intéressant dans une histoire, c’est ce qui ne marche pas, les échecs, les ratés. Il y a quelque chose de touchant dans nos imperfections, dans ce qu’on essaie de faire et ce qu’on n’arrive pas à atteindre.
A.H. : C’est beau. Et tu as également une manière de t’adresser au lecteur dans tes textes, en intervenant directement. C’est très particulier.
V.O. : Oui, c’est quelque chose que j’aime faire de plus en plus. Dès mon troisième roman Ce que je sais de Vera Candida, il y avait déjà une petite voix, un « je » qui intervenait de manière discrète. Mais maintenant, je me permets d’intervenir de manière plus décomplexée. Parce qu’au fond, je suis là, à raconter ces histoires. Pourquoi faire semblant de ne pas être présente ? J’aime aussi beaucoup l’humour, et l’humour passe souvent par ces interventions, ces parenthèses.
A.H. : Tu mets beaucoup de toi dans tes personnages…
V.O. : Oui, forcément. Je pense que beaucoup de ce que je vis, observe ou ressens, se retrouve dans mes personnages. Quand j’étais petite, par exemple, je regardais les catalogues de La Redoute ou des Trois Suisses, non pas pour les vêtements, mais pour imaginer quel genre de femme je voudrais être. Je prêtais beaucoup d’attention aux détails. Écrire, c’est aussi ça : essayer de comprendre qui on est à travers les personnages.
A.H. : En parlant de l’écriture, à quel moment as-tu su que tu voulais devenir écrivain ?
V.O. : J’avais 7 ans quand j’ai décidé que je voulais être écrivain. Dans la cour de récréation, je disais déjà que j’allais devenir écrivain. J’étais une grande lectrice, et j’inventais beaucoup d’histoires. J’étais aussi une grande menteuse, car je n’étais pas très heureuse dans ma famille, et je m’évadais par l’imagination. Par exemple, je disais à mes camarades que je partais tous les mercredis en Angleterre alors qu’en réalité, je restais enfermée chez moi.