Dalia Grinkevičiūtė : l’histoire d’une vie d’exil au CRDM
Le Centre de la Résistance, de la Déportation et de la Mémoire (CRDM) de Blois accueille jusqu’au 29 novembre 2024 une exposition intitulée L’histoire de l’exil d’une jeune femme, consacrée à Dalia Grinkevičiūtė, une écrivaine et médecin lituanienne déportée sous le régime soviétique. Cette exposition fait partie de la Saison de la Lituanie en France 2024, et retrace l’histoire d’une adolescente arrachée à sa vie pour être envoyée dans l’une des régions les plus hostiles du monde : la Sibérie arctique.
Une enfance brisée par la déportation
Née en 1927 à Kaunas, alors capitale temporaire de la Lituanie, Dalia Grinkevičiūtė grandit dans une famille aimante. Son père, Juozas Grinkevičius, est un économiste respecté et sa mère, Pranė, est une femme dévouée à sa famille. Avec son frère aîné Juozas, Dalia mène une enfance heureuse et insouciante, entourée de l’amour de ses proches, des visites culturelles et des sorties au théâtre.
Cependant, cet équilibre est brutalement bouleversé en juin 1941, lorsque les troupes soviétiques, suivant les ordres de Staline, lancent une campagne de déportation massive des Lituaniens vers les camps de travail en Sibérie. La famille de Dalia fait partie des milliers de personnes ciblées : intellectuels, membres du clergé, enseignants, et autres citoyens considérés comme des « menaces » par le régime soviétique. Séparée de son père, qui mourra de faim dans un camp de l’Oural, Dalia, sa mère et son frère sont envoyés dans le froid glacial de l’Altaï, puis encore plus loin, sur l’île arctique de Trofimovsk, dans le delta de la rivière Lena.
La survie en Sibérie : l’enfer de Trofimovsk
Sur l’île de Trofimovsk, les conditions de vie sont inimaginables. La température peut descendre jusqu’à -50 degrés Celsius, et les blizzards rendent la survie presque impossible. Les exilés, mal nourris et mal équipés, luttent chaque jour pour conserver leur humanité face à un environnement impitoyable. Dalia, alors adolescente, doit faire face à la faim, au froid, aux maladies et aux poux, dans un cadre où la survie n’est jamais garantie.
Malgré ces épreuves, Dalia trouve en elle une force incroyable et commence à écrire ses expériences pour documenter cette réalité brutale. Plus tard, elle cachera ses écrits, les enterrerant dans un bocal dans le jardin familial, espérant que la vérité sur les horreurs de l’exil soviétique sera un jour révélée au monde.
Un retour clandestin en Lituanie et une vie d’oppression
En 1949, après plusieurs années d’horreur en Sibérie, Dalia réussit à s’échapper avec sa mère et à revenir clandestinement en Lituanie. Cependant, leur retour est loin d’être la fin de leurs souffrances. Cachées pour échapper aux services de renseignement soviétiques, elles vivent dans la clandestinité, craignant constamment d’être arrêtées de nouveau. En 1950, sa mère décède, et Dalia est contrainte de l’enterrer en secret, sans cérémonie, dans le sous-sol d’une maison.
Dalia sera finalement arrêtée une nouvelle fois et déportée en Yakoutie. Ce n’est qu’après la mort de Staline, en 1953, que les conditions pour les exilés s’assouplissent quelque peu. Elle obtient alors le droit d’étudier la médecine à Omsk, en Russie, et retourne en Lituanie en 1956, où elle achève ses études à Kaunas, devenant médecin en 1960.
Une mémoire préservée, un héritage durable
Dalia Grinkevičiūtė dédie ensuite sa vie à son métier de médecin, tout en continuant à écrire ses souvenirs de l’exil. Elle vit cependant sous la constante surveillance des autorités soviétiques, qui ne tolèrent pas sa liberté d’esprit et sa volonté de témoigner. En 1974, elle est finalement renvoyée de son poste, mais elle continue à écrire, déterminée à préserver la mémoire de son expérience et celle de ses compatriotes déportés.
Son manuscrit, caché dans un bocal, sera retrouvé par hasard en 1991, peu après la fin de l’occupation soviétique en Lituanie, lorsqu’un buisson de pivoines est transplanté dans le jardin familial. Ce témoignage, d’abord publié en 1988, est devenu un symbole puissant de la résistance silencieuse et de la résilience. En 1997, ses mémoires sont publiées sous le titre Prisonnière de l’île glacée de Trofimovsk, et l’UNESCO les inscrit au registre de la mémoire mondiale.
L’exposition L’histoire de l’exil d’une jeune femme : un hommage interactif et artistique
L’exposition au CRDM rend hommage à cette histoire à travers une série d’installations artistiques. La scénographie de l’exposition se divise en plusieurs sections, chacune conçue pour illustrer une facette différente de son parcours : les photos de famille dans des caissons lumineux ; l‘installation “Mère/Fille”, avec un effet de “morphing” entre les visages de Dalia et de sa mère ; “Seulement où est cet endroit ? Où et comment l’enterrer ?” met en scène des extraits des écrits de Dalia sur la mort de sa mère et leur enterrement clandestin ; “Et dans le ciel – une vraie splendeur”, une installation basée sur le film Purga, transporte le visiteur dans l’Arctique sibérien.
Cette exposition, financée par l’Institut de la culture lituanienne et l’Institut français, incite à la réflexion sur l’oppression et sur la capacité de l’art à préserver et transmettre ces histoires. L’œuvre de Dalia Grinkevičiūtė, désormais inscrite dans le patrimoine culturel mondial, continue d’informer, rappelant à tous que même dans les moments les plus sombres, il existe une force capable de persévérer.