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CultureLes échos littéraires d'Annie HuetLittératureVie locale

Éric Fottorino : « Le roman, c’est quand même la liberté »

C’était le dernier rendez-vous littéraire de la saison pour Annie Huet. Ce mercredi 4 juin, dans la salle des mariages de l’hôtel de ville de Blois, elle recevait Éric Fottorino, écrivain, journaliste, ancien directeur du Monde et fondateur de l’hebdomadaire Le 1. L’invitation portait sur Des gens sensibles (Gallimard, 2025), un roman singulier où la fiction et l’intime se mêlent, où la littérature se vit comme épreuve et révélation, où la mémoire du monde éditorial de la fin du XXe siècle sert d’arrière-plan à une introspection brûlante.

Dans un dialogue nourri, Annie Huet et Éric Fottorino ont déroulé les fils de cette œuvre où l’on reconnaît, dès les premières pages, la signature d’un auteur pour qui la littérature reste un territoire vital. L’échange, ponctué d’une lecture à deux voix et un instant musical signé Clarisse Millet, a fait surgir l’architecture sensible du roman, entre figures tutélaires, relations ambivalentes et exploration identitaire. Un public dense et attentif a suivi avec curiosité cette plongée dans une œuvre profondément marquée par la fragilité des êtres, la complexité des liens, et une fidélité tenace à l’acte d’écrire.

Un roman de filiation et de formation

Dans Des gens sensibles, Éric Fottorino met en scène Fosco, un jeune homme de vingt ans aspirant à devenir écrivain, qui se confronte à un monde éditorial dont il ignore tout. C’est dans ce contexte qu’il rencontre un éditeur charismatique, et Clara Hassen, attachée de presse exigeante et lumineuse. Deux figures qui incarnent, chacune à leur manière, le pouvoir des mots et la dure loi du livre. Il y a aussi Saïd, écrivain algérien brisé par la guerre civile, exilé, hanté — personnage central autour duquel s’articule une relation complexe, à la fois fraternelle, littéraire et peut-être amoureuse.

Le roman se structure comme une exploration du passage : celui qui mène un jeune homme d’une vie informe à une vocation assumée, d’un silence intérieur à l’éclosion d’un style. La quête d’identité se double d’un triangle relationnel où se redéfinissent les pôles classiques de la filiation : le père absent, l’adulte révélateur, la mère protectrice, la femme initiatrice.

« J’ai eu deux pères, et j’ai écrit beaucoup de romans sur la quête du père », confie Éric Fottorino, qui ne cache pas les résonances autobiographiques de son œuvre. Ce n’est pas un secret : Fosco, c’est lui, transposé, déplacé, réinventé — mais jamais trahi.

Clara, Saïd, Fosco : la géométrie mouvante du désir

Annie Huet relève avec finesse une ambiguïté majeure du roman : s’agit-il d’un triangle amoureux ? Ou plutôt d’un couple intense — Clara et Saïd — auquel vient se greffer un troisième personnage, chargé de tous les manques, de tous les désirs inassouvis ? Éric Fottorino ne tranche pas : « On peut tout imaginer dans la géométrie amoureuse. Mais d’abord, il y a une amitié forte entre Fosco et Saïd, une amitié entre un jeune homme et un homme mûr. » Cette relation, asymétrique en apparence, est traversée par une exigence commune : celle de l’écriture. Dans ce trio, chacun semble jouer un rôle révélateur. Fosco, en miroir, absorbe les failles de l’un et les exigences de l’autre. L’écriture devient l’espace où se rejoue, en silence, le drame des origines.

« Ce roman, c’est comme un préquel », lance Annie Huet. Et de fait, Des gens sensibles peut se lire comme la genèse de toute l’œuvre à venir. « Il précède les vingt-six livres que tu as écrits ensuite », poursuit-elle. Éric Fottorino acquiesce. C’est un texte qui revient sur les commencements, sur ce moment d’électricité où tout semble possible — et où tout est encore à écrire.

Autofiction ? Non, roman

L’ambiguïté persiste. Ce texte si proche de l’intime est-il de l’autofiction ? Une autobiographie déguisée ? Éric Fottorino s’inscrit en faux : « J’aime trop le roman. C’est la liberté. » Il assume que 80 % de ce qu’il raconte est vrai. Mais la vérité des faits n’est pas ce qui l’intéresse. Ce qui compte, c’est l’osmose, l’hommage, le regard qu’on porte sur des instants fondateurs. L’autobiographie fige. Le roman ouvre. Il invente des angles, des voix, des silences. Il permet de faire entendre ce qui ne pourrait être dit autrement. Des gens sensibles, à ce titre, est un livre de seuil. Entre la vie vécue et l’œuvre à bâtir, entre la vérité nue et la fiction littéraire.

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