A Blois, des voix pour dire l’humain derrière les politiques migratoires

Jeudi 18 décembre 2025, en fin d’après-midi, une petite centaine de personnes s’est rassemblée en bas des Escaliers Denis Papin, à Blois, à l’appel de la Ligue des Droits de l’Homme, du Collectif de soutien aux sans-papiers et aux demandeurs d’asile, de la Cimade, et d’autres structures. Un rassemblement organisé à l’occasion de la Journée internationale des migrants, instaurée par l’Organisation des Nations unies, pour rappeler, au cœur de l’espace public, les conséquences humaines des politiques migratoires françaises.
In situ, le cadre était posé : « Né·es ici ou venu·es d’ailleurs, pour une France de liberté, d’égalité et de solidarité ». Une formule qui structure l’ensemble des interventions et rappelle l’objet du rassemblement : dénoncer une politique migratoire qualifiée de « fabrique de sans-papiers », attentatoire aux droits et à la dignité des personnes étrangères.
Les intervenant·es ont énuméré les mécanismes à l’œuvre : restrictions drastiques des conditions d’accueil pour les demandeur·euses d’asile, refus de régularisation, refus de premier titre de séjour ou de renouvellement, remise en cause des aides au logement pour les étudiant·es étranger·es, obligations de quitter le territoire français systématisées, placements en rétention. Autant de dispositifs qui, selon les organisations présentes, organisent une précarisation administrative et sociale durable.
La loi immigration du 26 janvier 2024 et la circulaire Retailleau du 23 janvier 2025 ont explicitement été mises en cause. Les textes sont décrits comme ayant des conséquences humaines « catastrophiques » pour les personnes étrangères souhaitant travailler, étudier, se soigner, se marier ou vivre en famille en France. « Tout est organisé pour leur rendre la vie impossible », ont lancé les intervenant·es, évoquant une violence sociale, administrative et institutionnelle quotidienne, jugée incompatible avec les principes démocratiques.
Les régularisations par le travail ou au titre de la vie privée et familiale sont présentées comme devenues, en pratique, inaccessibles. Les blocages préfectoraux, la lenteur des renouvellements de titres et la dématérialisation des démarches conduiraient, selon les collectifs, à des situations dramatiques : ruptures de contrats de travail, pertes de droits sociaux, expulsions de logements. Une réalité analysée non comme une défaillance technique, mais comme le résultat d’une politique qualifiée de discriminatoire et xénophobe.
La question des OQTF a occupé une place centrale dans les prises de parole. En 2024, la France a prononcé entre 130 000 et 140 000 obligations de quitter le territoire français (OQTF), selon les chiffres communiqués par les autorités. Ce volume place la France parmi les pays de l’Union européenne qui prononcent le plus d’OQTF en valeur absolue, même si seule une minorité de ces décisions donne lieu à un éloignement effectif. Une majorité de ces décisions étant inexécutables, leur fonction est analysée comme un outil de pression et de répression, maintenant les personnes exilées dans une vulnérabilité administrative, sociale et économique permanente.
Les intervenants ont dénoncé également les effets politiques et médiatiques de cette orientation. Selon eux, elle alimente les discours de l’extrême droite, favorise la surexploitation des travailleurs et travailleuses migrants, avec ou sans papiers, et banalise le traitement inégalitaire des personnes étrangères. Les médias détenus notamment par le groupe Bolloré sont cités comme contribuant à diffuser peurs et affirmations mensongères, nourrissant un climat de division.
À plusieurs reprises, une ligne est clairement posée : « Ce n’est pas la France que nous souhaitons ». Les organisations présentes revendiquent une France de liberté et d’égalité, où les droits à l’éducation, à la santé, au travail, au logement, à la protection sociale, aux loisirs et à la culture seraient garantis pour toutes et tous. Une France décrite comme accueillante, inclusive et solidaire, considérant les personnes étrangères non comme une menace ou une variable d’ajustement économique, mais comme une richesse pour la société.
Au terme de ces prises de parole structurées, un moment suspendu est venu rompre le registre institutionnel. Une enfant prend la parole, Madalena, sur les marches mêmes de l’escalier. Elle parle doucement, sans slogan. Elle raconte ce qu’elle voit chez elle : la tristesse de sa mère, la peur de ne pas réussir à « avoir sa maison ici, en France ». Elle dit l’inquiétude qui en découle, les difficultés à se concentrer à l’école, les nuits sans sommeil, l’envie de jouer qui disparaît. Elle explique que les enfants comprennent ce qui arrive à leurs parents, qu’ils essaient de faire de leur mieux, mais qu’il arrive que la confiance s’effrite. Elle conclut en s’adressant virtuellement aux autres enfants : ne pas s’inquiéter, croire en soi, « ne jamais oublier qu’on est spécial. » Le rassemblement se tait alors, laissant ces mots simples résonner. Avant d’applaudir.

Une autre prise de parole, celle de Didier Richefeux, membre de la Ligue des droits de l’homme et secrétaire du collectif de soutien aux sans papiers et demandeurs d’asile, s’inscrit dans la continuité de la première. Il évoque le cas de Mamadou Garanké Diallo, jeune Guinéen de 21 ans, employé chez un artisan boucher près de Rouen. Après un deuxième OQTF, il aurait tenté de rejoindre l’Angleterre. Son corps a été retrouvé lors de la traversée, en septembre 2025. La presse nationale parle alors du « destin tragique d’une intégration ordinaire » et forge l’expression « mort par OQTF », qualifiée de « meurtre institutionnel » par les collectifs. Ce cas est présenté comme emblématique d’une série de tragédies : à Calais, aux frontières espagnole et italienne, dans les Alpes, et en Méditerranée, qualifiée d’« immense cimetière » où environ 3 000 personnes disparaissent chaque année dans une indifférence politique dénoncée.
À Blois, ce 18 décembre, sur les marches des Escaliers Denis Papin, les mots ont cherché à dire, précisément, ce que produisent les politiques publiques lorsqu’elles s’écrivent loin des vies qu’elles traversent.


