Les faits divers, ces incidents de la vie quotidienne qui se transforment en tragédies inattendues, ont toujours fasciné le public, malgré le fait que l’expression elle-même n’ait été utilisée qu’à partir du XIXe siècle. L’attrait universel pour ces événements singuliers peut être tracé jusqu’aux anciennes civilisations, comme le révèle l’affaire du meurtre de Sextus Roscius en 81 avant J.-C., dans le quartier de Subure, le plus sordide de Rome.
L’énigme de qui a tué ce richissime citoyen, dont la fortune est estimée à six millions de sesterces et proche de Sylla, le nouveau leader de la République, est entrée dans l’histoire comme l’un des premiers faits divers à avoir eu un retentissement important. Le fait divers représente une intrusion de l’extraordinaire dans le quotidien le plus ordinaire. Il suggère que notre réalité, souvent perçue comme fade, cache une richesse et un mystère insoupçonnés.
Au cours de l’histoire, ces anecdotes de la vie ordinaire, les faits divers, se sont révélés être bien plus que de simples divertissements. Roland Barthes, philosophe et professeur au Collège de France, l’a exprimé en 1964 dans ses Essais critiques : « Désastres, meurtres, enlèvements, agressions, accidents, vols, bizarreries, tout cela renvoie à l’homme, à son histoire, à son aliénation, à ses fantasmes, à ses rêves, à ses peurs… ». En ce sens, les faits divers sont le reflet de l’âme humaine, ajoutant du piquant au « roman national ».
Les faits divers ont également un potentiel politique. Leur couverture peut orienter l’opinion publique, voire même dissimuler des scandales d’État. Un exemple marquant est le meurtre d’Antoine Fualdès, ancien procureur impérial, à Rodez en 1817. Pour étouffer les rumeurs de complot royaliste, l’État a réussi à faire passer ce meurtre pour un simple crime crapuleux, déclenchant ainsi le premier procès judiciaire médiatisé au monde et marquant le début de la « justice spectacle ».
Les faits divers ont également influencé la littérature. Gustave Flaubert s’est probablement inspiré de deux affaires réelles pour écrire Madame Bovary, tandis que Guy de Maupassant a puisé dans divers cas de prostitution pour ses contes au début des années 1880.
Ces incidents étranges et souvent tragiques nous fascinent car ils sont à la fois réels et extraordinaires. Comme le disait Cicéron lors du procès de Sextus Roscius, « Cui bono? », « A qui profite le crime? ». Les faits divers remettent en question notre compréhension du bien et du mal, et nous rappellent que même les événements les plus quotidiens peuvent se transformer en tragédies extraordinaires.