Blois : neuf structures éphémères pour réapprendre à voir la Loire

De la contemplation à la réflexion urbaine, la deuxième édition du projet « Regards sur le Val de Loire » transforme le paysage ligérien blésois jusqu’à septembre. À l’initiative d’Agglopolys et de la Ville de Blois, en lien avec la Mission Val de Loire, cette aventure collective a réuni jeunes concepteurs, enseignants, élus et agents publics autour d’un site emblématique : la levée en Vienne entre les ponts Jacques-Gabriel et François-Mitterrand.

En bord de Loire, le vent du printemps fait frémir les installations nouvellement posées sur la digue. Au fil d’une promenade de 1,7 km, le regard du visiteur est guidé, provoqué, invité à se poser : sur le fleuve, la ville, la végétation, ou le simple usage d’un banc. Neuf dispositifs temporaires ont vu le jour cette année, conçus et réalisés par les étudiants de l’École de la nature et du paysage de l’INSA Centre-Val de Loire et les élèves du DN MADe Objet du lycée Camille Claudel. Tous ont été encadrés par leurs enseignants et accompagnés par le designer Alexis Reymond. Après une première expérience, cette deuxième édition prend une tout autre dimension.

Jeanne Dumont, chargée de mission paysage pour Agglopolys, l’affirme sans détour : « Le site était vraiment exceptionnel pour faire des projets. On n’était pas allés jusqu’au bout de tout ce qu’on pouvait faire comme idées à développer. Cette année, on s’est rendu compte qu’on avait encore eu vraiment de nouvelles idées. On est allés beaucoup plus loin dans la mise en valeur du paysage. » Le passage de l’idée à la réalisation a été au cœur du dispositif. L’ensemble du processus — conception, prototypage, fabrication, installation — a été mené par les élèves, en lien étroit avec les services de l’agglomération. Ils ont récupéré, découpé et assemblé des matériaux, se sont confrontés à la construction en taille réelle.

Parmi les structures imaginées par les élèves de Camille Claudel en DNMADE mention Objet, Les légendes courant la Loire (Thomas Biraud, Wendy Ménon, Maxime Tèche) évoque un pare-battage échoué, transformé en repère de contemplation, invitant à l’écoute des récits fluviaux. Une pause sur la Loire (Mattéo Blanchard, Panpy Haristoy, Solenn Pilette) imite un filet de pêche suspendu, suspendu au-dessus de la digue, offrant au passant un espace aérien pour s’arrêter et observer. Porte sur Loire (Carine Bouhouss, Meidine Djedjou, Anaïs Lemaitre) trace un seuil symbolique : en franchissant la structure, le promeneur passe de l’urbain au ligérien. Avec Qui l’eût crue ?, Dorine Chesnot et Aësa Perrot matérialisent les crues historiques de 1907, 2003, 2018 et 2024 sur les marches d’une cale, dans une installation aussi poétique que pédagogique.

Du côté de l’INSA, l’équipe de Détente ligérienne (Cerise Rousseau, Manon Landier, Liz Rusak, Marius Kessler, Victor Chrika, Alban Thuleau, Jean Huguet du Lorin) a conçu un ponton en retrait du cheminement, propice à la contemplation de la biodiversité. Marche ligérienne (Maxime Recalt, Léandre Guillot-Dumas, Timnah Boko-Boumba) introduit une marche subtile dans le talus, ponctuée d’un mur en pisé. Les Assises contemplatives (Paul Pouchin, Luce Degouzon, Éloi Vautrin, Mei-Li Tambay, Marine Burcon, Sophia Marmaroli, Nathanaëlle Privat, Malak Ziani) serpentent la pente d’un escalier en épousant ses courbes. Les lignes douces de ce mobilier favorisent autant la convivialité que l’observation silencieuse du paysage.
Deux autres propositions, Empreinte sur la digue (Jeanne Parachini, Maud Ciampi, Juliette Pasquet, Camille Perez, Anneliese Benoit, Catherine Purorge, Solenn Triguel, Apolline Brousse) et Entre ciel et terre (Valentine Guillou, Élodie Foure, Jade Camus, Blanche Louvet, Léo Citerin, Romane Orsaz, Walid Ouhabi, Emma Chambon), expérimentent d’autres échelles d’aménagement. La première installe une plateforme mobile en bois sur un replat de l’escalier, pour encourager la pause. La seconde propose une assise discrète en bord de fleuve, dans une percée végétale créée lors des travaux d’entretien du lit de la Loire, ouvrant un panorama jusqu’alors insoupçonné.

Le chantier dépasse le simple exercice pédagogique et interroge les usages du fleuve, l’adaptation au risque inondation, les pratiques urbaines et les besoins contemporains. « C’était ça le gros challenge de ce site. Ils sont allés vraiment beaucoup plus loin sur la prise en compte du risque d’inondation que l’année précédente. Et c’est ça qui va beaucoup nous aider pour la suite du projet, quand on va faire des aménagements pérennes », souligne Jeanne Dumont. Car l’expérimentation vise aussi à préparer l’avenir du site.
L’originalité de la démarche réside dans la collaboration entre deux établissements à l’ancrage disciplinaire très différent. Pour Yann Chamaillard, directeur de l’INSA Centre-Val de Loire, « marier la compétence design d’objet avec l’aménagement du paysage, c’est quelque chose de très rare, peut-être d’unique en France ». Il évoque une aventure « exceptionnelle » qui a fédéré les équipes, produit des propositions cohérentes et donné lieu à une appropriation sensible du site, par les élèves comme par le public. « Ce qui est frappant, depuis la pose des projets, c’est l’adhésion du public, observe Jérôme Gaucher, enseignant au Lycée Camille Claudel. On le sent : c’est une forme de soft concertation. Visiblement, des citoyens le perçoivent déjà comme ça. »

Le chantier a mobilisé de nombreux partenaires, des élus aux associations locales comme la Ralingue, en passant par les agents municipaux, les services de l’État. Il a impliqué les services de la régie bâtiments, voirie, environnement, risques, parcs et jardins. Une mobilisation collective qui s’est accompagnée d’un vrai changement de regard sur le lieu. « Il faut savoir qu’il y a deux ans, tout le long de la promenade, on ne voyait pas du tout la Loire », rappelle Jeanne Dumont. Grâce à des ouvertures ponctuelles dans la végétation, le paysage s’est révélé. « Ce n’est pas naturel, en fait, le paysage qu’on peut observer aujourd’hui. »
Christophe Degruelle, président d’Agglopolys, voit dans cette dynamique un retour bienvenu à l’essence de la cité. « Finalement, Blois existe parce qu’il y a eu des rois qui s’y sont implantés, qui ont créé et construit les châteaux. Mais avant tout, Blois, c’est une ville fluviale. Jusqu’à l’arrivée du chemin de fer, ce fleuve, c’était une autoroute, un lieu de vie exceptionnel. Et proposer aux habitants de redécouvrir ce lieu — en regardant, tout simplement, en réapprenant le regard — c’est quelque chose auquel on est très attaché. »

Il se dit fier de cette seconde édition, d’autant que les inondations survenues après la première ont mis à l’épreuve la durabilité des structures. « Beaucoup des objets avaient été noyés sous l’eau. Et en même temps, cette inondation nous rappelle que le rapport au fleuve est quelque chose de fondamental dans l’histoire de Blois. »
« Je pense qu’on peut dire qu’on est passés d’un site où on passait à toute vitesse dans un couloir en pied de digue à un site qui est vraiment essentiel pour la ville », conclut Jeanne Dumont. « Pour la santé mentale, pour la santé physique aussi, puisque les gens viennent courir, se ressourcer… Et c’est un lieu important, peut-être, pourquoi pas, pour réfléchir à l’avenir de la ville. »

Le projet REGARDS ne s’arrête pas là. L’initiative revient en 2025 en bord de Loire. Elle sera renouvelée en 2026, cette fois sur un nouveau site : La Vacquerie, un espace maraîcher à Blois. « L’idée est de travailler sur l’appropriation de ce lieu par les habitants, avec des conceptions graphiques et du mobilier urbain », explique Nicolas Orgelet, élu écologiste très impliqué dans le projet. « Contrairement aux bords de Loire, La Vacquerie est moins soumise aux aléas naturels, ce qui permettra de penser des aménagements pérennes. »
